Ludovic Tézier, Verdi
(Sony)

Giuseppe Verdi (1813–1901)

Airs d’opéra extraits de : :

La forza del destino (« Morir ! Tremenda cosa ! … Urna fatale del mio destino … Ah, egli è salvo ! Gioia immensa »),
Don Carlos (« C’est moi, Carlos ! … C’est mon jour suprême … Carlos, écoute »),
Ernani (« E questo il loco ? … Gran Dio ! Costor sui sepolcrali marmi », « Vieni meco, sol di rose »),
Falstaff (« E sogno ? O realtà ? »),
Il trovatore (« Tutto è deserto … Il balen del suo sorriso »),
La traviata (« Di Provenza il mar, il suol »),
Macbeth (« Perfidi ! All’anglo contro me v’unite ! … Pietà, rispetto, amore »),
Nabucco (« Dio di Giuda ! L’ara, il tempio »),
Otello (« Vanne, la tua meta già vedo … Credo in un Dio crudel »),
Rigoletto (« Cortigiani, vil razza dannata »),
Un ballo in maschera (« Alla vita che t’arride », « Alzati ! Là tuo figlio … Eri tu che macchiavi quell’anima »),
Don Carlo (« Son io, mio Carlo … Per me guinto è il di supremo … O Carlo, ascolta »).

Orchestra del Teatro Comunale di Bologne, direction : Frédéric Chaslin.

1 CD Sony Classical.

 

Enregistré à l’auditorium Manzoni de Bologne en janvier 2020.

Doit-on se réjouir ou s’offusquer de découvrir le premier album de l’un de nos plus grands artistes, à un âge si avancé ? Certes il n’est jamais trop tard, mais quel dommage tout de même d’avoir attendu si longtemps pour faire enregistrer Ludovic Tézier, baryton chéri dans son pays et acclamé sur les plus grandes scènes… A plus de cinquante ans et une carrière jalonnée de succès, Tézier peut désormais tout se permettre et aborder les plus grandes pages verdiennes qui n’ont évidemment plus de secret pour lui. Dirigé avec soin par Frédéric Chaslin à la tête de l’orchestre du Comunale di Bologna, ce premier album publié chez Sony est une pépite, un disque-phare et essentiel pour qui voudrait savoir aujourd’hui comment on doit chanter Verdi.

 

Être baryton-Verdi ne va pas de soi, l’auteur de Rigoletto, de Simon Boccanegra et de Falstaff ayant passé sa vie à écrire pour cette tessiture les rôles et les partitions le plus riches mais aussi les plus ambitieuses vocalement et dramatiquement. Quoi de comparable en effet entre la noirceur fuligineuse de Iago, l’élégance offusquée du Conte di Luna, la quête de reconnaissance de Nabucco et la bonhomie contagieuse de Falstaff ? Rien et pourtant Verdi n’a jamais su se passer de cette voix qui lui inspira les portraits les plus contrastés et les héros plus passionnants. Héritier de Gobbi, Bastianini, Cappuccilli, Bruson, Milnes et Nucci que l’on associe les yeux fermés au compositeur italien, Ludovic Tézier n’a jamais caché son désir d’embrasser un jour ce large corpus. Commencée avec prudence, la carrière du français n’a jamais brûlé les étapes, le baryton gagnant rôle après rôle ses galons pour pouvoir progresser en tant que chanteur et en tant qu’interprète et atteindre aujourd’hui cet Himalaya.

Comme à la scène, se succèdent ainsi naturellement dans cette gravure officielle, Germont Père, rôle abordé très tôt par Tézier et dont le public aixois ou parisien a su à plusieurs reprises constater la parfaite adéquation. Dans les conditions d’un studio, si le personnage n’est pas exempt d’une certaine monotonie de ton dans « Di Provenza il mar » extrait de La Traviata, le chant plein et le phrasé épanoui demeurent d’incontestables atouts pour tout interprète rigoureux. Le souffle, l’assise, la ligne aux contours nuancés, la manière aristocratique de servir le texte et la musique sont sans équivalent aujourd’hui dans Il Trovatore, avec « Il balen del suo sorriso » opéra dans lequel Tézier a triomphé à Paris en 2016. Dans Ernani, le baryton évoque Bastianini dans la façon de colorer la phrase et de conférer à son émission la sérénité et la souplesse attendues dans ce type de répertoire. Dans cet autre rôle défendu en son temps par Bastianini qui en avait fait l’un de ses chevaux de batailles, celui de Don Carlo di Vargas dans La forza del destino, Tézier sidère par sa présence vocale magnétique, son autorité naturelle et sa puissance d’incarnation, ce personnage éminemment verdien, pétri de haine et de ressentiment gagnant ici à avoir été testé en scène notamment auprès de Jonas Kaufmann, partenaire de prédilection, (à Munich en 2014 dans la mise ne scène de Martin Kusej) avec lequel il partage fréquemment l’affiche Aida, Don Carlo, Otello… Si Nabucco (rôle non encore abordé à la scène) convient idéalement à l’instrument résistant du chanteur français, tout comme le célèbre et ô combien désespéré « Cortigiani, vil razza dannata » de ce Rigoletto immortalisé par Gobbi, également Falstaff de génie, Tézier atteint le sublime dans Macbeth, son « Pieta, rispetto, amore » le montrant à son meilleur, apôtre d’une diction sans faille, d’un legato de miel et d’une vision du rôle proprement habitée. De tous ces portraits si caractéristiques de l’art de Verdi, dont chaque linéament ressort ici avec la précision d’un artisan et l’imagination d’une sculpteur, celui de l’odieux Iago (Otello) fait froid dans le dos tant il laisse apparaître la laideur et la noirceur, par-delà une odieuse distinction – aussi unique que chez Carlos Alvarez, seul Iago actuel à pouvoir lui être opposé – parfaitement dessinée par le chef Frédéric Chaslin qui sait épouser et mettre en valeur chaque situation et chaque élément du décor. Les deux airs de Renato du Ballo in maschera, le mari jaloux qui deviendra l’assassin de son monarque admiré, tombent sans un pli sur l’organe de Tézier qui sait comme personne draper de velours et de soie l’intraitable vengeance de ce personnage bafoué, les deux versions de la mort du Marquis de Posa étant impossibles à départager. Comme à Paris en français dans la mise en scène de Warlikowski aux côtés de Kaufmann en 2017, ou en italien toujours sur la scène de la Bastille mais en 2009 cette fois (Vick à la régie et Secco en Carlo), Tézier ouvre et conclut ce programme en beauté ; Posa, sans doute le plus beau, le plus touchant et le mieux écrit pour sa tessiture trouvant dans cette double interprétation, le plus éminent passeur verdien et, nous le parions sans hésiter, pour longtemps.

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François Lesueur
Après avoir suivi des études de Cinéma et d'Audiovisuel, François Lesueur se dirige vers le milieu musical où il occupe plusieurs postes, dont celui de régisseur-plateau sur différentes productions d'opéra. Il choisit cependant la fonction publique et intègre la Direction des affaires culturelles, où il est successivement en charge des salles de concerts, des théâtres municipaux, des partenariats mis en place dans les musées de la Ville de Paris avant d’intégrer Paris Musées, où il est responsable des privatisations d’espaces.  Sa passion pour le journalisme et l'art lyrique le conduisent en parallèle à écrire très tôt pour de nombreuses revues musicales françaises et étrangères, qui l’amènent à collaborer notamment au mensuel culturel suisse Scènes magazine de 1993 à 2016 et à intégrer la rédaction d’Opéra Magazine en 2015. Il est également critique musical pour le site concertclassic.com depuis 2006. Il s’est associé au wanderesite.com dès son lancement

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