Proposé en streaming à partir du 26 mars 2021, à 20h sur medici.tv avec table ronde préparatoire à 19h (accessible du site de l'Opéra de Lyon)
Le directeur général de l’Opéra de Lyon, Serge Dorny a inventé la formule « Festival thématique », chaque printemps, proposant deux productions importantes et un format plus léger dans un autre lieu sous un même thème. Le dernier Festival avant son départ pour Munich est donc numérique, retransmis par des canaux divers, que nous précisons dans cette page. Il quittera ainsi Lyon en ayant vécu deux dernières années étranges, et les productions prévues seront pour la plupart reprises les saisons suivantes par son successeur Richard Brunel avec le retour du public.
L’idée de répéter en une seule soirée Le Château de Barbe Bleue, de Béla Bartók, et en deux visions différentes du même metteur en scène est de Serge Dorny, avec la complicité du dramaturge Georges Banu, comme le raconte Andriy Zholdak dans l’interview qu’il nous a donnée (en ligne, voir le lien ci-dessous). Et Zholdak a voulu deux Judit et un Barbe-Bleue, pour souligner l’importance de la figure de la femme, mais aussi les projections mentales d’un Barbe-Bleue en perpétuel besoin de femmes, ou de la femme, vue à travers des prismes divers. Cela impose deux Judit différentes, mais aussi deux univers différents et deux manières différentes de considérer la partition. Pour le spectateur, pour le critique, c’est une leçon d’interprétation et de mise en scène de l’opéra en général, et pas de celui-ci en particulier.
La double lecture du livret propose ainsi une première partie vue comme un couteau qu’on aiguise et qui jette des étincelles, selon les termes mêmes du metteur en scène, et une seconde partie plus rêveuse, plus cosmique, plus abstraite aussi, mais oblige à lier l’une à l’autre, car les deux faces de ce même Janus sont interdépendantes, et constituent un spectacle complet, le sens de l’une dépendant du sens de l’autre en un lien de correspondance biunivoque, diraient les mathématiciens.
Il serait donc difficile de traiter un acte après l’autre car on donnerait l’impression de deux « clusters » (mot très mode) séparés par un entracte, alors que ce que nous montre ce travail c’est que l’œuvre est une et multiple et les deux parties se contaminent. Dans son unicité, elle est multiple parce qu’elle touche non pas à li'dée plus commune d'une nième version du péché originel né de la curiosité féminine, d'où viendrait tout le mal, mais plutôt à la co-responsabilité de l'homme et de la femme qui mutuellement se prennent la voix et s'entraînent, et à la complexité de la relation entre deux êtres qui ont décidé de s’aimer. Il est d’ailleurs intéressant de mettre en perspective l’Ariane de Dukas, et la Judit de Bartók, si l’on s’attache aux figures mythologiques originelles, l’une a décidé d’aimer et a offert à Thésée le fil qui est la clef de sa survie, l’autre s’est glissée dans le lit d’Holopherne pour le décapiter. Je t’aime d’un côté et je te tue de l’autre.
À Judit est attachée l’idée de sang, et en ce sens la première partie du spectacle baigne dans le sang et la cruauté, au point que l’Opéra de Lyon sur son site avertit le spectateur. À la dialectique lumière/nuit si liée à l’amour (voir l’acte II de Tristan), qui baigne l’œuvre, Zholdak substitue une perspective de clôture et d’ouverture, la première partie se déroulant dans le huis clos d’un appartement vaste et décati, où errent des ombres étranges, de tous âges, et de tous genres, femmes, hommes, enfants, trans, autour de Barbe-Bleue, ce Moloch à qui tout fait sexe. Un Moloch à la voix étrangement suave, étrangement ailleurs, celle de Karoly Szemeredy, un Barbe Bleue à la fois monstrueux et doux, au timbre rassurant et chaleureux. Rien de l’ogre, rien de la voix de basse coupante ou effrayante. Ce Barbe-Bleue est rassurant, et ce dès le prologue qu’il prononce lui-même, et qui n’est pas le prologue original de Béla Balázs, mais un magnifique poème sur l’Hadès de Louise Glück (("A MYTH OF DEVOTION"
When Hades decided he loved this girl
he built for her a duplicate of earth,
everything the same, down to the meadow,
but with a bed added.
Everything the same, including sunlight,
because it would be hard on a young girl
to go so quickly from bright
light to utter darkness
Gradually, he thought,
he’d introduce the night,
first as the shadows
of fluttering leaves.
Then moon, then stars.
Then no moon, no stars.
Let Persephone get used to it slowly.
In the end, he thought,
she’d find it comforting.
A replica of earth
except there was love here.
Doesn’t everyone want love ?
He waited many years,
building a world, watching
Persephone in the meadow.
Persephone, a smeller, a taster.
If you have one appetite, he thought,
you have them all.
Doesn’t everyone want
to feel in the night
the beloved body, compass, polestar,
to hear the quiet breathing that says
I am alive, that means also
you are alive, because you hear me,
you are here with me.
And when one turns,
the other turns—
That’s what he felt,
the lord of darkness,
looking at the world he had
constructed for Persephone.
It never crossed his mind
that there’d be
no more smelling here,
certainly no more eating.
Guilt ? Terror ? The fear of love ?
These things he couldn’t imagine ;
no lover ever imagines them.
He dreams, he wonders what
to call this place.
First he thinks : The New Hell.
Then : The Garden.
In the end, he decides to name it
Persephone’s Girlhood.
A soft light rising above
the level meadow,
behind the bed. He takes her
in his arms.
He wants to say I love you,
nothing can hurt you
but he thinks
this is a lie, so he says in the end
you’re dead, nothing can hurt you
which seems to him
a more promising beginning, more true.
-Louise Glück est prix Nobel de littérature 2020-)) dont le début dit tout : “quand Hadès décida qu’il aimait cette fille, il fit construire pour elle le double de la terre…”. Quoi de plus conforme à l’histoire que veut raconteur Zholdak qu’un amour d’Hadès, le souverain des Enfers et du royaume des morts.
Et le royaume de Barbe-Bleue est un Enfer, qu’on découvre après avoir passé le miroir du prologue, une sorte d’Alice au pays des horreurs, un univers à la fois trash (cuisine maculée de sang, salles de bains infectes) et à la fois vaguement bourgeois.
Au départ, un corridor lieu de passage d’une pièce à l’autre, d’une porte à l’autre, disposé sur une tournette qui tourne et nous fait découvrir chaque pièce, dans une tension croissante où à chaque geste de tendresse correspond un cri ou des gestes monstrueux, égorgements, scarifications, qui en même temps proposent et créent du plaisir, Il y a quelque chose de l’univers pasolinien de Salò, comme si Barbe Bleue proposait à Judit une expérience des limites, qui excite à la fois désir et curiosité. Dans cette première partie, se faire du bien en se faisant mal est une pratique répétée et de moins en moins supportable plus on s’aime, en un crescendo de l’extrême : Judit et Barbe-Bleue dansent tendrement, tandis qu’au-dessus de la scène défilent des scènes insupportables oscillant entre Sade et Sacher-Masoch, meurtres, sodomie, tortures sexuelles, et nettoyage très soigneux du couteau coupable. Zholdak pense que le monde est un mélange de sexualité éperdue jouant sur le fil du rasoir de la mort, jouant sur le fil de la faux.
Cette expérience des limites est en quelque sorte vue comme le don extrême de l’amour dans un tourbillon qui a tout à voir avec les cercles d’un Enfer dantesque. Outre Salò de Pasolini, on pense aussi à L’Empire des sens de Nagisa Ōshima. Univers clos, piège ambigu du désir de sexe et de sang, dans le sillage du Théâtre de la cruauté d'Artaud.
Zholdak élargit la vision par la présence permanente sur scène d’une caméra – Live, et au-dessus du décor sont vues à l’écran les scènes reprises en gros plans, ou d’autres scènes complètent à l’inverse ce qu’on voit par ce qu’on ne voit pas et qui est plus terrible encore. L’amour éperdu est à l’opposé du romantisme et des fleurs heureuses, et ce que nous montre Zholdak, ce sont les fleurs du Mal dont l’amour se nourrit aussi. L’expérience de la limite, comme off-limits en quelque sorte.
Et cette expérience de la limite est ce qui ouvre le prologue de la deuxième partie où Barbe-Bleue court vers un précipice (un paysage rocheux, qui est projeté tel un gouffre) et qui s’arrête juste au bord. Comme si la fin du I était en fait le début du II et qu’on était déjà au-delà…
Le décor du II est celui du corridor central vu au I, mais avec la seule partie gauche (côté jardin) des portes qu’on ouvre sans voir sur quoi elles ouvrent, ce qu’on verra des intérieurs, ce sont des images projetées de l’acte I, comme des réminiscences, comme des souvenirs, comme si quelque chose avait été appris (« Apprendre c’est se souvenir », dit Platon). Car à la différence du I où l’on passe de porte en porte et de pièce en pièce, tout se déroule au II dans le corridor, où traversent quelques femmes, mais sans cris ni meurtre. Deux objets au long du corridor, seuls meubles, une vieille machine à coudre à pédale, et une harpe, objet essentiel qui explique le passage du I au II, du couteau à la musique…
Ainsi la moitié gauche est le décor connu du I et la moitié droite un vide obscur, où seule la nouvelle Judit s’aventure, comme pour échapper, comme si elle passait en quelque sorte, elle-même les limites. Et sur ce côté droit, des projections, des roches, des ciels, de l’eau, des volutes, comme des éléments essentiels, primaires, comme si après l’expérience de la limite et du Off-limits on passait à l’essence des choses.
En fait, sans être contemplatif, ce deuxième acte est plus éthéré, ailleurs, comme un monde presque fantasmatique de Barbe-Bleue insatiable dans sa quête, où à la Judit acérée du I succède celle éthérée du II. A la voix agressive, coupante, au bord de la rupture d’Eve-Maud Hubeaux succède la voix ronde, lumineuse, rassurante, tranquille de Victoria Karkacheva. Pour bien saisir la différence vocale et musicale nécessaire entre les deux parties, on aurait pu donner Judit I à Birgit Nilsson et Judit II à Jessie Norman (les deux l’ont chantée et c’est métal contre miel) : il n’y a pas d’univers scénique sans l’univers sonore qui lui correspond.
La Judit II est une voix qui chanterait presque « Je vois se dérouler des rivages heureux », l’idéal baudelairien ou plutôt les archipels sidéraux chers à Rimbaud. Du premier acte il reste le miroir, car les deux Judit le traversent, mais le deuxième acte apparaît par l’effet de son prologue comme un état ultime, la dernière femme en quelque sorte. Même si dans l’interview qu’il nous a accordée, Andriy Zholdak nous a confié qu’il aurait bien vu une dernière partie, un III où une femme mythique et Sirène chanterait jusqu’à ce que son chant transforme Barbe-Bleue en femme, comme aspiré par son désir.
Zholdak nous montre le tragique de la quête, une sorte de chemin vers un absolu qui se dérobe et qui passe par toutes les formes, du sanglant à l’éthéré, de la violence à la douceur, mais à chaque fois insupportable par le constat que le désir n’est pas rassasié. Judit et Barbe Bleue s’aiment, mais la quête des portes est une volonté permanente d’aller plus loin, de pousser vers des espaces de plus en plus impossibles. La Judit de la première partie pousse la septième porte et disparaît, celle de la deuxième meurt, se suicide sans doute, parce qu’il n’y a plus de solution, toujours au bord du gouffre, c’est elle qui décide de passer la porte de la fin.
Mais Barbe-Bleue n’en est qu’à une fin provisoire, car au final, la porte miroir s’ouvre de nouveau, et une petite fille (qui avait déjà scarifié les amants, pour l’échange des sangs et leur mélange – qui n’a d’ailleurs pas lieu ou « à distance »), elle s’installe à la harpe et joue la musique, comme passage à la limite, comme annonçant peut-être le Chant de cette future Sirène qui mènerait Barbe-Bleue enfin au bout de son désir fusionnel et insatiable. La harpe d’Apollon, parce que tout le reste est poésie.
Au-delà des aspects peut-être difficiles pour certains spectateurs, il s’agit là d’une mise en scène d’une intelligence prodigieuse, d’un regard visionnaire sur les rapports humains, les rapports homme-femme, et sur le désir, naturellement insatiable et toujours recommencé, comme la mer de Valéry. Il y a dans ce travail une force poétique peu commune, qui transcende la vision, qui transcende même le théâtre au sens où le système d’écho qu’il construit entre deux visions montre en même temps quelque chose comme une aporie, l’impossibilité de traverser le mur final, qui sans cesse se dérobe, échappe, dans l’impossibilité de rien saisir.
Mais il serait injuste de le pas associer à la grande réussite de ce spectacle le travail éminent du chef Titus Engel, qui traite les deux parties comme deux partitions différentes, avec des indications agogiques, des nuances, des volumes différents de l’une à l’autre. En ce sens, on peut dire que cette production est une leçon d’opéra, qui marque l’indispensable manière de tresser regard scénique et regard sonore. Titus Engel, dont on se souvient qu’il a dirigé à Genève Einstein on the Beach, premier spectacle de l’ère Aviel Cahn, se révèle être ici un artisan scrupuleux d’une opération artistique singulière.
Il est évident que devant produire deux fois la même œuvre, il ne peut produire le même son là où la scène dit autre chose. Et d’ailleurs, une partie est légèrement plus longue que l’autre de quelques minutes. Sa première partie répondant à l’ambiance violente du plateau, mais aussi à ces personnages multiples qui le traversent, est plus « théâtrale » au sens presque de théâtre fin de siècle à la Ibsen, un théâtre dont la violence est tout aussi exprimée, qu’intérieure, un théâtre de multiples personnages et de multiples figures très concrètes : à ce théâtre il faut des lignes claires, un son incisif aussi, aux lignes bien dessinées, il faut un rythme de la parole un peu différent. Le chef d’opéra digne de ce nom doit produire un son qui correspond à ce qu’il voit. Il ne peut arriver avec son propre Barbe-Bleue et produire dans ce contexte deux photocopies. Si la première partie était peinte, ce serait de la peinture au trait, avec l’inscription de la couleur dans des formes bien délimitées au stylet.
Musicalement la deuxième partie est sensiblement différente, et Titus Engel a remarquablement redessiné la partition et montré là où elle doit être pensée différemment. L’exercice théâtral imposé par Zholdak s’applique du même coup au chef et on a là une véritable Gesamtkunstwerk au sens wagnérien. Le travail du chef est hautement artisanal, un travail d’horloger qui va traiter en première partie les contrastes et oppositions, la tension inhérente à la vision scénique, et en deuxième partie un étonnant travail sur la couleur, sur la valorisation de tel ou tel pupitre, là les cordes, quand en première partie au même moment c’était les bois : on n’entend la même œuvre, mais pas tout à fait la même musique. C’est en deuxième partie du travail à la couleur, aux imperceptibles variations, sfumato plus que trattato. Il faut aussi que la voix de Judit II, plus ronde et moins âpre dans la deuxième partie, soit accompagnée par un orchestre qui lui corresponde, tout en étant aussi puissante que la Judit I.
C’est tout l’art et la subtilité de ce travail d’orchestre qui du même coup, fait redécouvrir ce qu’est une partition, un agencement sonore, à mettre en son comme on met en scène. Et ici immédiatement apparaît la richesse de la palette sonore de Bartók qui sous la même baguette peut apparaître à la fois identique et différent, qui procède par touches ici expressionnistes (partie I) et là impressionnistes (Partie II), un travail supérieurement intelligent et sensible qui révèle toute la profondeur, toute la complexité, toute la joie de l’art en quelque sorte. Un des exercices les plus stimulants qui soient pour le spectateur.
Mais le chef peut travailler dans la différence parce qu’il a deux personnalités radicalement différentes en Eve-Maud Hubeaux et Victoria Karkacheva, et un même Barbe-Bleue, Karoly Szemeredy, le même chanteur, la même voix mais forcément de subtiles différences entre première et seconde partie : ne jouant pas la même chose, avec une partenaire différente, il est forcément différent. J’ai souligné plus haut sa voix équilibrée, son timbre suave, d’une douceur jamais insinuante, qui dans la première partie fait plusieurs fois le geste d’égorger, avec presque la douceur enveloppante voulue : je te tue mais je t’aime. Il a l’immense avantage de chanter dans sa langue, avec une diction impeccable, et un magnifique phrasé, mais en même temps quelque chose de confiant, de confortable à qui on va se livrer d’emblée.
Dans la deuxième partie, qui se déroule toute dans le corridor, où les personnages se mesurent, se regardent, se tournent autour dans un huis clos presque aussi terrible que la première partie parce qu’il est tout en implicites et en rappels. Ce Barbe-Bleue est au bout du bout, et il est légèrement plus désespéré qu’en première partie où le dynamisme de Judit l’entraîne sans cesse plus loin. Ce mouvement d’entrainement visible en première partie (le décor tourne, les personnages se déplacent) devient plus statique, presque plus pétrifiant en deuxième partie, et le spectateur doit le percevoir. Le chanteur à ce titre est vraiment remarquable parce qu’il fait percevoir çà et là ces différences, aidé par une partenaire tout à fait autre.
Eve-Maud Hubeaux, Judit I, n’a peut-être pas la qualité vocale intrinsèque de la Judit II, mais elle est justement autre, on attend d’elle des ruptures, des cassures, des failles, on attend d’elle quelquefois des sons inconfortables, et en même temps une puissance qui darde la parole. Elle est tout cela, avec en plus un engagement scénique qui ne faiblit jamais, chatte sur un toit brûlant, caline et provocante, érotisée et victime, elle montre une Judit à facettes qui traverse ces différentes pièces, au milieu des hurlements, du sang, de la violence sans en être affectée, poursuivant son but, qui est la séduction et l’amour : elle cherche évidemment à distraire Barbe-Bleue du spectacle des autres, car « elle est elle », et pas une autre. Décidée, traversant l’espace scénique comme une succession de stations qu’on passe parce qu’on a un but unique, elle finit pourtant par être « comme les autres », et rentrer dans l’anonymat des autres figures féminines. Cette femme décidée finalement n’agit pas et de singulière finit par se soumettre au rituel habituel, non sans que l’opéra ne se finisse en jeu de massacre dont elle est à peu près la seule survivante : Eve-Maud Hubeaux est tout cela, variée, diverse, à la voix très expressive. Très belle incarnation, très travaillée.
Victoria Karkacheva est sur une autre planète, vocale et scénique. La mise en scène lui demande peu : elle bouge peu, elle tourne autour de Barbe-Bleue, mais revient sans cesse vers lui parce que cette deuxième partie est un jeu de planètes qui se heurtent et s’attirent, au milieu des réminiscences, des figures féminines qui traversent le corridor pour disparaître dans le noir ou derrière une porte, sans qu’on ne sache ni où elles vont ni ce qu’elle font. Cette Judit a beaucoup moins à jouer qu’à chanter. Elle n’a d’érotisme que dans la voix, on lui demande ce chant chaleureux, puissant, magnifiquement coloré et timbré, un chant lyrique plein, dont on sent la puissance et les réserves et qui est l’indice d’une probable belle carrière. Ainsi s’opposent une Judit jeu et voix, et une Judit son et voix qui doit par sa seule voix séduire, telle la Sirène dont Zholdak lui-même parlait. Mais cette Judit n’est pas un mythe, c’est d’abord l’expression d’un chant intérieur, qui, plus elle avance et plus le chant se développe et enveloppe, avance vers une fin. Un chant vibrant qui est chant suicidaire, puisqu’elle ne peut rien changer au désir et au destin de Barbe-Bleue, peut être en route vers une autre femme… Victoria Karkacheva incarne somptueusement cette Judit au chant voluptueux qui vire au désespoir, chant du cygne enamouré.
C’est un travail musical et scénique d’exception, qui mérite que vous vous précipitiez sur le site de L’Opéra de Lyon ou sur Medici.tv le 26 mars prochain.