Pene Pati comme son frère, chanteur lui-aussi, n’imaginait sans doute pas lorsqu’il était apprenti musicien dans sa région natale, ou plus tard choriste à Auckland, qu’une carrière internationale allait bientôt s’offrir à lui. Après un passage au New Zealand Choir et des cours particuliers à Cardiff auprès du ténor Dennis O’Neill, le jeune artiste s’est pourtant rapidement retrouvé sur scène. Sa voix douce et légère d’essence lyrique, à l’émission haute, la suavité de son legato, la clarté de sa diction et sa virtuosité naturelle en font un digne héritier du premier Pavarotti, avec lequel il partage ce timbre ensoleillé et facile.
Rien d’étonnant à ce que sa voix distinguée au Concours Operalia 2015 (Second Prix et Prix du du Public dans sa catégorie) corresponde aujourd’hui à celle que l’on se fait de Roméo, du Duc de Mantoue, de Nemorino ou de Des Grieux, jeunes premiers idéaux pour débuter. Ce premier legs discographique aux allures de « carte de visite » chic, ne fait donc pas l’impasse sur ces œuvres bien connues et qui malgré leur célébrité, gagnent toujours à être réécoutées lorsqu’elles sont bien servies. Les trois airs du Duc si souvent hurlés, bâclés ou hors de portée de tant de ténors vont ici droit au but, abordés avec justesse et équilibre, chantés sainement avec des intentions simples, mais un goût et une musicalité incontestables, notamment dans les récitatifs. Avec lui le numéro de cirque que peut devenir « La donna è mobile » est banni, au profit d’une exécution où l’élégance et la sincérité sont de mise.
Emmanuel Vuillaume à la tête d’un impeccable Orchestre National Bordeaux Aquitaine, l’accompagne d’ailleurs avec une légèreté bienvenue et un plaisir évident de le laisser briller dans la cabalette si souvent esquivée, « Possente amor mi chiamo », couronnée par un retentissant contre ré. « En fermant les yeux » extrait de Manon, chanté dans un français immaculé, se déroule sans heurt, grâce à une ligne de chant solidement ancrée, qui lui permet d’alléger la phrase de manière touchante et poétique. Réentendre son Roméo permet de faire le point sur ce que ce juvénile musicien peut donner en public avec l’urgence de la scène et le stress qui va avec et la prise plus calme et posée du studio. La beauté vocale est similaire, le souffle aussi long, mais curieusement un soupçon d’incertitude plane dans les notes de passage qui précèdent l’aigu, élément que pointent les micros et qui mettent en lumière de menus détails qui restent encore à travailler. Une fois parvenu à « Parais », Pene Pati se libère pourtant et semble profiter subrepticement du moment de plénitude procuré. Nemorino et sa « Furtiva lagrima » convient sans surprise au chanteur qui infuse toute la douceur et la mélancolie du personnage à cette délicieuse évocation amoureuse.
Si le répertoire actuel du ténor est celui-ci, il est évident que le musicien ne va pas y rester longtemps cantonné. Avec l’évolution des moyens, le désir de montrer d’autres aspects de sa personnalité et la volonté de répondre aux propositions de son directeur artistique Alain Lanceron, que l’on sent proche et extrêmement attentif à son poulain, Pene Pati a choisi d’étoffer ce premier rendez-vous discographique en multipliant les pistes.
Rarement enregistré, l’air d’Arrigo « O magnanima e prima delle città lombarde » issu de La Battaglia di Legnano confirme que le chanteur, à l’image de Pavarotti, explorera très certainement les ouvrages du jeune Verdi, passage obligé avant d’aborder Traviata, Ballo in maschera, Luisa Miller et autres partitions plus musclées. Plus encore qu’avec Polyeucte de Gounod air où l’on admire son phrasé délicat et son timbre caressant, celui du Jocelyn de Godard (gravé récemment par Julien Behr) est superbement rendu, planant et éthéré, dans la lignée de ceux écrits par Delibes pour Gérald dans Lakmé. En enchaînant avec celui de L’étoile du nord « Quel trouble affreux » de Meyerbeer, la question de l’interprétation se fait cependant sentir, aucune distinction particulière n’existant entre les trois personnages, nimbés dans un halo de douceur qui mériterait un traitement plus différencié. Heureusement la grande scène d’Arnold de Guillaume Tell « Asile héréditaire… Amis, amis » et son contre ut tenu pendant 14’ procure une sensation musicale de tout premier ordre, qui ne se remet pas en question, la tessiture ardente du Raoul des Huguenots étant joliment restituée, même si en suivant un peu tôt les traces de l’illustre Nicolaï Gedda, Pene Pati sait qu’il prend des risques, tout en sachant qu’il en a les moyens.
Ce tour de piste ne pouvait être complet sans une incursion vers le bel canto que le chanteur a déjà abordé avec Percy (Anna Bolena) ; la grande scène du IIIème acte de Roberto Devereux du même Donizetti n’est sans doute pas la plus valorisante, mais Pene Pati s’en titre plutôt bien, épaulé par le chœurs vigoureux de l’Opéra de Bordeaux, le duo de Moise et Pharaon de Rossini, (titre qu’il s’apprête à chanter l’été prochain à Aix-en-Provence), avec un Mirco Palazzi fatigué, permettant au ténor de prouver qu’il sait vocaliser avec rigueur et sans esbroufe.
Voilà donc un bel artiste en devenir que l’on se réjoui d’accueillir parmi la cohorte de chanteurs de sa catégorie, même si nous attendons avec impatience la relève parmi ceux qui seront capables d’interpréter demain Otello, Samson, Tannhäuser ou Tristan et de lutter contre la pénurie qui s’annonce….