Enregistré en live au mois de juin 2021 lors de représentations à la Seine Musicale, ce Lucio Silla dirigé par Laurence Equilbey possède de nombreux atouts musicaux : un Insula Orchestra engagé et qui souligne fort bien la musique du jeune Mozart (16 ans lors de la composition de l’œuvre), une distribution équilibrée, mais aussi le Cecilio remarquable de Franco Fagioli… On ne peut que regretter, dès lors, de n’avoir droit qu’à un Lucio Silla partiel et amputé de certaines pages – et quelles pages ! Pas de « Parto, m’affretto » de Giunia, morceau de bravoure certes, mais qui n’est pas sans intérêt dans l’action ; adieu également au très beau « Ah se a morir mi chiama » de Cecilio et au « Se il labbro timido » de Celia, ainsi qu’au rôle d’Aufidio, purement et simplement rayé de la partition. Les récitatifs sont également largement raccourcis ou supprimés « pour un meilleur confort d’écoute », nous dit le livret accompagnant l’album.
On comprend l’intérêt que peut avoir une version abrégée de l’œuvre. On reconnaît également les longueurs, parfois, des récitatifs au disque et les difficultés que peut représenter l’enregistrement d’une intégrale. Mais on regrette que cette distribution tout à fait convaincante n’ait pas eu l’occasion de graver cet opéra dans son intégralité, opéra dont la discographie reste un peu légère pour une œuvre mozartienne.
Lucio Silla trouve en effet en Alessandro Liberatore un interprète solide et éloquent, dans un rôle qui offre peu d’occasions de briller vocalement – si l’on entend par là la sollicitation de l’aigu ou les pyrotechnies vocales. Son « Il desio di vendetta » notamment parvient à dessiner les contours dramatiques d’un rôle qui n’a rien d’anecdotique lorsqu’il est chanté avec ce niveau d’engagement théâtral.
En Cecilio, Franco Fagioli domine la distribution, reprenant un rôle confié le plus souvent à une mezzo-soprano. Vocalises remarquablement perlées, aigu sûr et brillant (dans « Quest’improvviso tremito » notamment), grave sonore et expressif, le contre-ténor possède toutes les qualités vocales exigées par une partition particulièrement difficile. On retiendra également le récitatif accompagné du début de l’acte II, « Ceciclio, a che t’arresti » où s’imposent les qualités scéniques de l’interprète.
Autre rôle exigeant de l’œuvre, Giunia prend ici la voix d’Olga Pudova qui possède tout à fait les moyens de l’héroïne. Le timbre assez corsé de la soprano donne de plus au personnage une couleur un peu différente des interprètes auxquelles on a pu être habitués au disque comme à la scène, mais cela n’empêche pas la virtuosité, doublée d’une ligne toujours bien dessinée dans les vocalises – son « Ah se il crudel periglio » ne manque pas de musicalité, y compris dans les passages les plus virtuoses. Encore une fois, on aurait aimé que « Parto, m’affretto » lui laisse l’occasion de confirmer ces qualités.
Interprète désormais bien connue au disque, Chiara Skerath endosse le costume de Lucio Cinna et on regrette que la tessiture du rôle ne mette pas mieux en valeur la voix de la soprano. Relativement grave, la partition ne lui permet en effet pas de s’épanouir autant qu’on aurait pu l’espérer. C’est peut-être son dernier air qui lui convient le mieux, sollicitant davantage le haut-medium. On reste donc un peu sur notre faim, mais en raison du choix du rôle plus qu’à cause de son interprétation. Ilse Eerens trouve au contraire avec Celia l’occasion de faire entendre une très jolie voix, élégante, et qui esquisse la jeunesse et le charme du personnage : l’un des atouts indéniables de l’enregistrement.
Enfin, si le Jeune Chœur de Paris chante peu dans cette œuvre, il le fait bien : on perçoit en effet de manière équilibrée les différents pupitres sans que cela ne nuise pour autant à l’homogénéité de l’ensemble.
Si Lucio Silla n’est pas l’opéra le plus abouti de Mozart, le compositeur n’a pas manqué d’inspiration pour l’orchestration de la partition ni pour ses audaces harmoniques, lorsqu’il s’agit de mettre en relief le drame qui se joue dans le livret. Ce que l’on apprécie particulièrement dans la lecture de Laurence Equilbey est l’attention qu’elle porte à ces effets, et la finesse avec laquelle elle les intègre dans le jeu de l’orchestre. Ce dernier est toujours présent, affirmé, et le son toujours d’une belle rondeur. Loin de disparaître derrière les pyrotechnies vocales, les musiciens sont un soutien aussi bien qu’un interlocuteur pour les chanteurs. Malgré les coupes opérées sur la partition, il y a donc bien des raisons d’écouter ce Lucio Silla et d’en apprécier l’interprétation.