Compositrices. New Light on French Romantic Women Composers.

Oeuvres de Mel Bonis, Lili Boulanger, Nadia Boulanger, Marthe Bracquemond, Cécile Chaminade, Hedwige Chrétien, Marie-Foscarine Damaschino, Jeanne Danglas, Louise Farrenc, Clémence de Grandval, Marthe Grumbach, Augusta Holmès, Madeleine Jaeger, Marie Jaëll, Madeleine Lemariey, Hélène de Montgeroult, Virginie Morel, Henriette Renié, Charlotte Sohy, Rita Strohl et Pauline Viardot

Orchestre National du Capitole de Toulouse – Leo Hussain, Orchestre national de France – Débora Waldman, Orchestre national de Metz Grand Est – David Reiland, Les Siècles – François-Xavier Roth, Victor Julien-Laferrière & Théo Fouchenneret, Cyrille Dubois et Tristan Raës, Ismaël Margain et Quatuor Hanson, Yann Beuron et David Zobel, Aude Extremo et Étienne Manchon, Alexandre Pascal, Héloïse Luzzati et Célia Oneto Bensaid, Anna Egholm et Franck Braley, Roberto Prosseda et Alessandra Ammara, François Dumont, Marie Vermeulin, Nathalia Milstein, Mihály Berecz

Coffret de 8 disques, livret de 102 pages, Palazzetto Bru Zane BZ 2006

 

Enregistré à Venise, Paris, Toulouse, Torucoing et Metz entre entre 2029 et 2022

La postérité a longtemps pris bien soin de les oublier, mais il existe depuis bien longtemps des femmes qui composent de la musique, et il y en eut de plus en plus au fil des siècles. Le Palazzetto Bru Zane se penche cette année sur leur défense et illustration, avec un superbe coffret regorgeant de trésors, qui donne envie d’en entendre davantage encore. 

C’est peut-être une révolution comparable à celle opérée jadis par les baroqueux. Depuis quelques années, grâce aux efforts opiniâtres des uns (des unes ?) et des autres, le répertoire des orchestres, des pianistes et des chanteurs s’enrichit de partitions longtemps négligées, longtemps dédaignées pour la seule et mauvaise raison qu’elles étaient l’œuvre de celles qu’on qualifiait jadis de « femmes compositeurs », et qu’il paraît mieux venu aujourd’hui d’appeler compositrices.

Le Palazzetto Bru Zane, qui agit depuis maintenant plus de dix ans pour la réévaluation de la musique française du XIXe siècle et du début du XXe  pouvait-il rester plus longtemps insensible à cette lame de fond ? Non, bien entendu. Il n’avait d’ailleurs pas attendu les bras croisés, puisque dès 2016 le troisième volume de sa collection de « Portraits » de compositeurs délaissés était consacré à Marie Jaëll. Malgré tout, on chercherait en vain une compositrice dans la série « Opéra » du Centre de musique romantique française ; quant à leurs disques consacrés à la mélodie, seules sœurs Boulanger y ont jusqu’ici fait leur entrée, en 2020. Mais comme dirait Golaud, à présent tout cela va changer, car la saison 2022–23 du PBZ, qui a déjà vu la reprise de l’opéra La Sérénade de Sophie Gail,  se terminera en juin avec la résurrection de l’opéra Fausto de Louis Bertin. Et en plus d’une riche programmation de concerts, c’est un coffret de huit disques qui sort en ce mois de mars, tout entier consacré aux compositrices. De quoi réviser bien des jugements, en espérant que toutes ces créatrices n’auront bientôt plus besoin d’être défendues isolément mais (re)prendront place aux côtés de leurs homologues masculins, certes bien mieux traités de leur vivant et par la postérité.

Quoi qu’il en soit, s’il y a ghetto, c’est un ghetto de riches, qui inclut bien des trésors. Ces huit disques représentent une dizaine d’heures de musique, répartie sur un gros siècle qui va de 1811 à 1922, avec une concentration sans doute assez inévitable entre 1880 et 1920. Pas moins de vingt et une compositrices : la plus éloignée de nous dans le temps sont nées au XVIIIe siècle, comme Hélène de Montgeroult (1764–1836) ou Virginie Morel (1799–1862), les plus proches sont décédées il y a moins de cinquante ans, comme Nadia Boulanger (1887–1979) ou Marthe Bracquemond (1898–1973). Leur degré de notoriété est variable, et il est vraisemblable que, pour certaines d’entre elles, le combat est déjà gagné. Lili Boulanger, qui obtint en 1913 le premier Grand Prix de Rome décerné à une femme (et encore fallut-il qu’elle le partage avec Claude Delvincourt), est ici une présence assez discrète, peut-être parce que son génie reconnu depuis un certain temps a éveillé des évocations parmi les meilleurs interprètes et a fait l’objet de nombreux enregistrements. On pourrait en dire presque autant de Pauline Viardot, qui n’a jamais été tout à fait oubliée par l’histoire de la musique, du moins comme interprète et inspiratrice, sa réévaluation en tant que compositrice étant, elle, assez récente.

Celle pour qui le combat se mène depuis quelques décennies et qui est ici très abondamment défendue, c’est Mel Bonis (1858–1937), qui troqua son prénom de Mélanie contre le moins ouvertement féminin « Mel ». Elle est présente sur six des huit disques du coffret, qui montrent toute la diversité de son talent, tant dans la mélodie que dans la musique pour piano à deux ou quatre mains, dans la musique de chambre et dans les compositions pour orchestre. Presque aussi généreusement traitée, Cécile Chaminade (1857–1944) s’était vu consacrer un double disque par une personnalité aussi en vue qu’Anne Sofie von Otter, il y a plus de vingt ans : on la retrouve ici sur quatre des huit disques, elle aussi à travers ses facettes les plus diverses, mélodie, piano quatre mains, suite de ballet pour orchestre, concertino pour flûte et orchestre. Malgré le « Portrait » mentionné plus haut, malgré plusieurs parutions discographiques ici et là, Marie Jaëll est encore loin d’avoir livré tous secrets. Le coffret se penche notamment sa musique vocale : le poème symphonique avec voix Ossiane (1879), et un extrait du recueil La Mer, suite de six mélodies pour voix et piano sur des poèmes de Jean Richepin. On n’entend ici que la première, mais le résultat est si fascinant qu’on n’a qu’une hâte : connaître l’œuvre dans son intégralité (et maudit soit donc Saint-Saëns, son professeur de composition, dont le verdict découragea Marie Jaëll, qui cessa de composer après 1894 !).

Au chapitre des regrets, signalons que d’autres compositrices n’ont hélas droit qu’à une présence fragmentaire. Les œuvres orchestrales et pianistiques semblent avoir été mieux respectées, mais la musique vocale est plus d’une fois réduite à des extraits. On écoutera enregistrées ailleurs la totalité des magistrales Douze mélodies sur des poésies russes de Pauline Viardot, mais qui osera nous faire entendre en entier l’ode-symphonie Ludus pro patria d’Augusta Holmès, dont bien des orchestres ont gravé l’intermède « La Nuit et l’amour », que l’on retrouve ici ? Evidemment, il faudrait pour cela un chœur – formation absente du coffret – et un récitant. Un jour, peut-être… D’Augusta Holmès également, pourquoi n’avoir retenu que deux des incroyables Sept Ivresses ? Cyrille Dubois s’y donne à corps perdu, mais peut-être le cycle complet appelle-t-il une voix de format plus wagnérien.

Le ténor français n’en est pas moins l’un des héros de coffret en ce qui concerne l’interprétation vocale : deux des huit disques prennent même l’aspect de récitals venant s’ajouter à sa discographie déjà riche dans ce domaine. Après son intégrale Fauré avec son complice le pianiste Tristan Raës, la présence de Cyrille Dubois s’imposait ici, et l’on retrouve toute la subtilité de son art, cette manière de révéler des partitions avec une fraîcheur inimitable qui fait merveille dans le « Sonnet » de Rita Strohl, par exemple, ou dans les superbes Verlaine mis en musique en 1913 par la très mystérieuse Madeleine Lemariey, dont on ignore à peu près tout. On se réjouit que Yann Beuron ait mis son talent au service de quelques pages de Mel Bonis, lui qui a si bien su servir la mélodie française. Aude Extrémo s’approprie Pauline Viardot (on avait pu visionner pendant le confinement ce concert enregistré à huis-clos à Venise) et revient pour le rôle-titre de la cantate La Sirène, qui valut en 1908 le second Prix de Rome à Nadia Boulanger ; la compositrice y déploie une admirable science de l’orchestration, dans une partition très post-wagnérienne qui semble plagier le deuxième acte de Tristan et Isolde et dont Anaïs Constans et François Rougier se montrent à la hauteur des exigences vocales.

Du côté des pianistes, la liste est assez impressionnante : outre Tristan Raës, dont Cyrille Dubois ne se sépare plus, avec raison, on trouve Frank Braley, Théo Fouchenneret, Ismaël Margain, Marie Vermeulin, David Zobel et bien d’autres ; Victor Julien-Laferrière au violoncelle, et pour les chef(fe)s, Leo Hussain, David Reiland, François-Xavier Roth et Débora Waldman. Le Palazzetto n’a pas lésiné, et il a eu bien raison.

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.

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