Après Die Schöne Müllerin parue en 2020, le ténor Ian Bostridge et la pianiste Saskia Giorgini délaissent les paysages germaniques pour l’Italie et la lande écossaise avec cet album sobrement intitulé « Respighi Songs », enregistré pour le label Pentatone.
Avec ses vingt-quatre pièces tirées de différents cycles et recueils, cet enregistrement constitue une somme assez vaste et très représentative des pièces vocales d’Ottorino Respighi où pointe le goût du compositeur pour une poésie d’inspiration symboliste empreinte de nostalgie, d’antique et de paysages, ainsi que son attachement au folklore ; le compositeur et les poètes qu’il a choisis (Rubino, d’Annunzio, Negri, Moréas, Pompilj) y défendent un retour de l’homme à la nature, souvent source de mélancolie voire peuplée de personnages mythologiques. Plus qu’une série de poèmes mis en musique, cet album est ainsi le reflet de toute une esthétique musicale et littéraire du début du XXème siècle, convoquant tour à tour chez l’auditeur le souvenir de Debussy, Mallarmé, Ravel, et peut-être plus que tout autre Henri de Régnier.
L’album se divise en deux grandes parties séparées par un Notturno pour piano (extrait des 6 pièces pour piano, P44) : la première partie, principalement en italien (à l’exception de trois mélodies en français), est une succession de tableaux impressionnistes où Respighi se plaît à dépeindre des atmosphères oniriques, souvent crépusculaires et sylvestres où apparaissent tour à tour le dieu Pan, des faunes ou des naïades. Ces pièces sont un savant mélange de références antiques et d’une musique inventive, servie par des chromatismes dramatiques (Nebbie, « La Sera »), des rythmes de valse (« Egle » et « Crepusculo » de Deità silvane), ou des progressions harmoniques denses et changeantes à l’image du « Repos en Egypte » – surprenante scène nocturne sur un poème d’Albert Samain. Autant de pièces superbes dont se détachent plus particulièrement « La naiade », « Notte » (avec ses croches lancinantes au piano), et les extraits des 6 Liriche, P90 au raffinement peut-être inégalé dans ce programme.
La seconde partie de l’album est quant à elle consacrée à des pièces inspirées de mélodies populaires : les 4 Scottish songs (sur des textes anonymes) et quatre mélodies italiennes. Le matériau mélodique et harmonique y est beaucoup plus simple que dans les œuvres précédentes mais Respighi, tout en réalisant un travail de musicologue, montre une fois encore son talent à définir des atmosphères et son attention aux détails du texte : libre ensuite aux interprètes de se saisir de toutes les subtilités rythmiques qu’il distille dans ces tableaux musicaux pour en faire ressortir le caractère.
Pour ce qui est de l’expressivité, Ian Bostridge n’en manque pas : une diction italienne d’une clarté impeccable, une voix tantôt dense (« La Sera ») et tantôt presque détimbrée (« Au milieu du jardin »), un lyrisme qui ne demande qu’à se déployer (La Statua)… Mais là où les qualités de mélodiste du chanteur sont les plus évidentes est sans doute les 4 Scottish songs où le texte est ciselé et les consonnes explosives, donnant du relief à la ligne et racontant avec toute l’énergie nécessaire ces histoires écossaises : c’est encore avec cette langue que le ténor joue le mieux et qu’il semble avoir le plus de liberté, bien que son italien et son français soient parfaitement compréhensibles (le seul reproche que l’on pourrait lui faire est de ne pas suffisamment nasaliser certaines voyelles). Ian Bostridge a également l’intelligence d’aborder de manière différente les deux versants du programme et de ne pas chercher à tout prix à « faire entendre » sa voix : le souci de la juste atmosphère l’occupe davantage que la démonstration vocale, quitte à sacrifier la rondeur de la voix à l’expressivité.
La pianiste Saskia Giorgini occupe également une place centrale dans cet exercice de mélodiste et confère un beau sentiment d’intimité à cet album. Si l’écriture de Respighi pour le piano pourrait sembler ici (à tort) de l’ordre du tapis sonore ou de l’arrière-plan, il revient au pianiste d’en faire émerger les couleurs et l’éclat pour ne pas disparaître derrière le chanteur : Saskia Giorgini trouve à ce sujet un juste milieu en construisant toujours un écrin adapté à la voix, plein de couleurs, mais en faisant aussi entendre les quelques élans presque romantiques du piano (La Statua) ainsi que les passages exigeant plus de vélocité (« The Piper of Dundee »). Elle trouve un équilibre jamais menacé avec Ian Bostridge, permettant de rendre aux Liriche toute la délicatesse qui les caractérise. Mais la pianiste a également l’occasion de se faire entendre seule dans ce programme, et dans une pièce assez longue : le « Notturno » extrait des 6 Pièces pour piano lui permet en effet de montrer davantage de ses qualités pianistiques et de déployer un son plus ample et plus lyrique. Une pause bienvenue au milieu d’un programme dense, et qui dévoile aussi une autre facette du répertoire de Respighi.
Si ces mélodies sont très bien servies par leurs interprètes, qui les abordent avec sérieux, conviction, raffinement, on reste surtout saisie par la beauté de ces pièces – pour la plupart assez rarement jouées ou enregistrées. Poétiques sans être hermétiques, regardant vers le passé tout en étant ancrées dans leur époque : ces mélodies méritent amplement d’être découvertes ou redécouvertes.