
Avec ce plein programme puisé dans le corpus haendelien où se succèdent à un rythme effréné airs et duos et quelques morceaux orchestraux, les interprètes ont souhaité mettre en avant l’un des thèmes récurrents du compositeur, celui de la spiritualité. Connu pour ses nombreux ouvrages lyriques, l’auteur d’Alcina et de Giulio Cesare a tout au long de sa carrière célébré la musique religieuse en écrivant quelques-unes de ses plus belles pièces, qu’il s’agisse du Messie, de ses Chandos ou Coronation Anthems, de ses cantates ou de ses oratorios. Bien que profondément fidèle et respectueux, croyant de surcroit, Haendel par son sens inné du théâtre et une écriture savante est l’un des rares à avoir su louer la spiritualité des textes tout en réussissant à faire cohabiter, grâce à la sacralité de sa musique, la chair et l’esprit.
Les artistes réunis ici, la mezzo Lea Desandre, le contre-ténor Iestyn Davies et le chef Thomas Dunford n’ont eu qu’à se pencher sur le vaste héritage haendelien pour composer ce lumineux album, justement intitulé « Eternal Heaven ». Paradis éternels, cieux éternels, il en est question dès le duo introductif extrait non pas d’une messe ou d’un oratorio, mais de l’Ode à la naissance de la Reine Anne, cantate écrite en 1713, où les instrumentistes de l’orchestre Jupiter, un effectif réduit idéal pour favoriser l’intimité entre le ciel et la terre, entre l’humain et le divin, exprime grâce à une sonorité pleine, la sérénité et la quiétude que génère cette composition profane commandée pour l'anniversaire de la reine Anne et le traité d'Utrecht qui mit fin à la guerre de Succession d'Espagne. Thomas Dunford est un excellent chef pour qui la musique baroque n’a pas de secret et dont les affinités avec les œuvres de Haendel sont à chaque nouvel extrait évidentes. L’énergie qui parcourt la plupart des passages vifs et agités, tels l’air d’Athamas « Despair no more shall wound me » (Semele), ou celui issu de Occasional Oratorio « Fly from the threat’ning vengeance » n’est jamais gratuite et apporte un contraste bienvenu avec les moments plus recueillis, graves et solennels que l’on retrouve dans le lamento de Theodora (« With darkness deep »), de Saul (« O Lord whose mercies numberless »), ou de The Triumph of time and truth (« Guardian angels oh protect me »). Très efficacement soutenus par une direction souple et assurée, le contre-ténor et la mezzo claire partagent conjointement ce même élan, ce même dialogue spirituel. La voix caressante et soyeuse de la cantatrice passe sans difficulté de la sourde gravité dans laquelle est plongée Theodora lorsqu’elle chante « With darknesse deep », à l’extase vocal exprimé au cours de l’air à vocalises « Prophetic raptures » (Joseph and his Brethren »), ou encore aux savoureux vertiges de la coquette Semele « No, no I’ll take no less » où la hardiesse du chant n'est pas sans rappeler l’agilité de Joyce DiDonato lorsqu’elle aborde Haendel. Le timbre désincarné, sans véritable matière oblige souvent Iestyn Davies à se réfugier dans l’aigu qu’il a limpide et facile (à défaut d’un bas medium inexistant), comme le prouve l’air du Choice of Hercules « Yet can I hear », où celui langoureux mais insipide de Saul « O Lord » qui n’est pas sans rappeler « Ombra mai fu ». Dépassé par les montagnes russes demandées dans le fameux « Hence Iris, hence away » de Semele, interprété d’une voix blanche et trouée, le chanteur s’accorde en revanche parfaitement aux couleurs de sa partenaire avec laquelle il trouve le ton juste dans plusieurs duos notamment celui de Semele « You’ve undone me » et d’Esther « Who calls my parting soul from death ». Grâce à leur conviction, à leur musicalité et à leur diction – mention spéciale pour l’anglais de Lea Desandre – le programme qui aurait pu facilement sombrer dans une play-list détox-méditation-détente avec son côté air pur venu des montagnes et son appel à la prière, parvient à nous tenir en alerte, jusqu’à la surprise finale que je vous laisse découvrir…
