Richard Wagner (1813–1883)
Parsifal (1882)
Bühnenweihfestspiel in drei Akten
(Festival scénique sacré en trois actes)
Livret du compositeur

Direction musicale : Frank Beermann
Mise en scène : Aurélien Bory
Scénographie : Aurélien Bory, Pierre Dequivre
Costumes : Manuela Agnesini
Lumières : Arno Veyrat

Assistante à la chorégraphie : Stéphanie Fuster

Amfortas : Matthias Goerne
Titurel : Julien Veronese
Gurnemanz : Peter Rose
Parsifal : Nikolai Schukoff
Klingsor : Pierre-Yves Pruvot
Kundry : Sophie Koch
Erster Gralsritter : Kristofer Lundin
Zweiter Gralsritter : Yuri Kissin
Vier Knappen : Marion Tassou, Juliette Mars, Enguerrand de Hys, François Almuzara
Klingsor Zaubermädchen : Andreea Soare, Marion Tassou, Adèle Charvet, Elena Poesina, Céline Laborie, Juliette Mars
Altsolo : Juliette Mars

Chœur et Maîtrise du Capitole / Chœur de l'Opéra national de Montpellier-Occitanie
Orchestre National du Capitole

Toulouse, Théâtre du Capitole, 31 janvier 2020

Le hasard a voulu que l'Opéra du Rhin et le Théâtre du Capitole programment la même saison et à la même heure deux nouvelles productions de Parsifal. Si tout oppose ces deux versions du "festival scénique sacré", elles nous renseignent sur la double distance – géographique et esthétique – qui séparent ces deux maisons. À Strasbourg la primeur d'une mise en scène signée Amon Miyamoto où l'onirique et le symbolique produisent des idées à flux tendu mais sans réellement former un tout cohérent, à Toulouse la primeur aux voix avec un plateau de grande qualité qui fait rapidement oublier la minceur intellectuelle de l'écrin scénographique d’Aurélien Bory. Dans les deux cas, la direction d'orchestre est remarquable, avec des qualités qui varient en fonction des solutions acoustiques qu'on aura pu trouver pour adapter les salles et faire oublier l'atavisme bayreuthien de la résonance véritable du chef d'œuvre de Wagner. Le spectacle toulousain donne à voir un spectacle visuellement très confortable, avec comme fil conducteur la symbolique de la lumière comme pureté originelle. La soirée est l'occasion d'entendre un plateau de premier plan, couronné par la prestation de Matthias Goerne et Sophie Koch. La mise en scène d'Aurélien Bory ne marque guère les esprits, heureusement rattrapée par la  direction robuste de Frank Beermann.

Nikolai Schukoff (Parsifal) © Cosimo Mirco Magliocca

Le retour du chaste fol dans la ville rose s'est fait attendre. Il faut en effet remonter à 1987 pour trouver une production signée Jean-Pierre Ponnelle et dirigée par Michel Plasson à la Halle aux Grains et plus loin encore, en 1960 dans l'ancien Théâtre du Capitole, une production scénique dirigée par Arnold Quennet (avec le Parsifal de Fritz Uhl et la Kundry de Rita Gorr), puis sous la direction de George Sebastian en 1969 avec un cast allemand (Karl Josef Hering, Isabel Strauss, Hubert Hoffmann, Eduard Wollitz et Gustav Neidliger). La version 2020 s’inscrit dans la tradition locale des grandes voix, au détriment d’une scène où Aurélien Bory tente désespérément de faire exister une série de thèmes et variations sur la question du végétal, de l’ombre et de la lumière. On ne retrouve pas ici les mérites d’une première incursion à l’opéra avec un Orphée et Eurydice monté à Favart avec des références au tableau éponyme de Corot et la dimension du souvenir et du regard. Les options choisies pour Parsifal relèvent plus ou moins d’une mise en espace améliorée, respectant pleinement les codes de la version de concert sans accorder à la direction d'acteur une dimension suffisante pour réellement parler de scénographie. Quatre heures durant, les alternances de lumières et ténèbres guident le spectateur dans un réseau sémantique conceptuellement peu perturbant, le tube néon servant d'élément récurrent qui fait officie de référence symbolique à qui n'aurait pas saisi l'association de la lumière avec la pureté et la noirceur au péché. À sa décharge, on concèdera que le procédé a le mérite de garantir aux voix des conditions de chant très confortables, ce qui souligne un parti-pris et une esthétique parfaitement assumés.

Le procédé qui entre en action dès le prélude, fait intervenir une dizaine de figurants munis de néons et avançant en ligne derrière le rideau opaque, créant un effet de passage du flou au net – procédé déjà vu et revu, notamment chez Bob Wilson et Romeo Castellucci. La ligne de pointillés lumineux se disloque par effet domino passant de l’horizontal (le Graal) au vertical (la lance). Les néons dessinent une série cryptographique rappelant vaguement des runes (nous sommes chez Wagner ne l'oublions pas…), ou bien le contour de certains mots emblématiques en alphabet latin ou hébraïque (Satan, INRI etc.) et plus prosaïquement, des formules mathématiques dont le célèbre E=mc2 – un peu perdu dans ce joyeux bric-à-brac liminaire.

La société du Graal est prisonnière de ses remords et de ses regrets, comme en témoigne cette grille métallique qui, entre échiquier et barreaux de prison, maintient les protagonistes dans des espaces confinés, assis en rang d'oignons sur de petits tabourets. Seul un faisceau lumineux éclaire par en-dessous et projette les ombres fantastiques et effrayantes d'une forêt stylisée – nouvelle allusion à l’art d’un Castellucci mettant en scène le premier acte de son Parsifal à la Monnaie dans un réseau mystérieux de feuillages. Ce jeu d’ombres chinoises est utilisé à l’envi, y compris lorsque le chaste fol débarque, tout de blanc vêtu, tenant dans ses mains une lanterna magica qui tient davantage du jeu d’enfant projetant les contours du cygne qui prend son envol et chute sur le sol, transpercé d’une flèche. Saisi au col par des chevaliers tout de noir vêtu, au crâne glabre et à l'allure patibulaire, Parsifal est sommé d’assister à une cérémonie du Graal en forme de jeu sinistre pour adultes consentants. Le Graal apparaît à la faveur d’un jeu de lumières entre photogramme abstraits de László Moholy-Nagy et reflets façons Sonia et Robert Delaunay. Amfortas bénéficie de moins d’abstraction dans la façon dont il surgit de l’arrière-scène, transporté sur une civière que manipulent à vue six figurantes arborant des masques anti coronavirus, tandis que Titurel est relégué dans un trou, dissimulant sa haute carcasse derrière un feuillage.

Peter Rose (Gurnemanz), Matthias Goerne (Amfortas) © Cosimo Mirco Magliocca

Il faudra l'intervention d'un Klingsor en costume blanc de prestidigitateur pour sortir de cette torpeur visuelle et musicale. Ce Mandrake maléfique en frac et cape blanche est secondé par un assistant qui imprime avec la lance-néon des symboles pseudo kabbalistiques sur une toile photosensible. L’effet de cette lumière absorbée par le noir désigne le personnage de Klingsor, à la fois impur et inverti. Le jardin enchanté est peuplé de Filles-fleurs à la beauté froide et morbide, vêtues de toges austères et chorégraphiant une séduction dont on a du mal à saisir la portée, sauf à considérer les corps nus qui qui maculent la toile sur toute sa hauteur durant le duo Kundry-Parsifal. Cette déclinaison et floraison en jaune et brun rappelle l’art d’un Yves Klein dans la série des Anthropométries et les Peintures de feu – références dilapidées quand la lance refait irruption et clignote pour signaler au public qui se serait assoupi, qui est le nouveau propriétaire.

Retour à un austérité maximale au dernier acte, avec un Gurnemanz qui a retrouvé ses cheveux, éclairant à la pile électrique un décor plongé dans le noir absolu et débusquant une Kundry cachée sous des branchages (littéralité quand tu nous tiens…). Parsifal arrive juste à temps pour admirer le rideau d'ampoules tombant des cintres en guise de Vendredi Saint. Débarrassé de sa tenue  de kendo avec lance néon, il arbore désormais un crâne rasé qui lui donne un air insolite de Jean Nouvel. Il assiste au retour d’Amfortas allongé sur un lit de souffrance monté sur roulettes, entouré par les chevaliers quasi invisibles et un Titurel définitivement mis en bière. C’est le moment pour Parsifal de sortir de l’ombre pour administrer au souverain doloriste une bien curieuse luminothérapie à l’aide d’une lance démultipliée qu’il lui applique dans le dos. Amfortas finit par se redresser mais rejoint l’anonymat des chevaliers, cédant la première place à Parsifal qui a troqué sa lance contre un rameau feuillu – dernière image de ce storytelling moralisant.

Matthias Goerne (Amfortas) © Cosimo Mirco Magliocca

On l’aura compris, l’intérêt majeur de cette production se concentra donc sur un plateau qui réunit un panel d’artistes majeurs avec lesquels Christophe Ghristi, l’actuel directeur du Capitole, a noué des liens étroits. Plusieurs fois Kurwenal et récemment Roi Marke (https://wanderer.legalsphere.ch/2019/09/petites-deceptions-et-belles-surprises/), Matthias Goerne campe un Amfortas de grande tenue. Le baryton allemand connaît l'art de substituer par la présence scénique les rares faiblesses d'une voix toujours limitée dans l'aigu. La densité du registre grave et l'élégance de la projection force l'admiration et compose un contraste très équilibré qui ne manquera pas de séduire le public viennois dans la reprise de la production Hermanis en avril prochain. Le vétéran Peter Rose chante un Gurnemanz jamais déshonorant, à défaut de marquer le rôle du sceau par une caractérisation inédite. L’incarnation gagne surtout en vigueur au III, trouvant l’équilibre qui manquait à son récit du Graal. D’un bout à l’autre de l’ouvrage, la Kundry de Sophie Koch est étonnante d'énergie et d'engagement, plus concentrée sur la beauté de l'expression que sur les nuances schizophrènes de son personnage. Succès garanti (et mérité) pour une artiste qui triomphait déjà la saison dernière au Capitole dans le très bel opéra de Paul Dukas, Ariane et Barbe-Bleue. On ne placera pas au même niveau la prestation de Nikolai Schukoff dont, ni le timbre ni l’émission ne s'embarrasse des détails qui auraient pu livrer un Parsifal plus raffiné que ce personnage assez brut de décoffrage, dont la naïveté n'est qu'apparence et les ambitions, celles d'un Heldentenor. Pierre-Yves Pruvot aboie son Klingsor, moins marquant que le Titurel sonore et maîtrisé de Julien Véronèse. Enguerrand de Hys et François Almuzara (écuyers) émergent parmi des rôles secondaires de bon niveau, avec un bouquet de Filles-Fleurs à l’ivresse et au parfum soulignés par l’émission d’Andrea Soare, le sourire de Marion Tassou et Adèle Charvet, les couleurs d’Elena Poesina, Céline Laborie et Juliette Mars dont la voix d’Altsolo tombe des cintres comme un rayon de lumière noire.

Inconnu en France, Frank Beermann a longtemps officié en tant que Generalmusikdirektor à l’Opéra de Chemnitz. Chef doté d’un sens des équilibres et des plans sonores, il sait mettre en avant les forces vives de l'Orchestre National du Capitole, grâce à une direction finement ciselée et attentive à la couleur d’ensemble. La lecture est moins explicitement charpentée par la présence des cuivres, ce qui permet de découvrir des détails aux bois et dans certaines interventions solistes, d'ordinaires masquées par le flux instrumental. La première cérémonie du Graal ouvre sur une sorte d'extase suspendue qui laisse admirer la belle présence des Chœurs et la maîtrise du Capitole, renforcés pour l'occasion par ceux de l'Opéra de Montpellier-Occitanie. On se consolera de l’atonie du prélude du III et la vilaine réverbération des cloches enregistrées avec les étonnantes voix d’enfants de la Maîtrise du Capitole qui colorent d’un jour inédit l’empyrée wagnérien.

Nikolai Schukoff (Parsifal), Sophie Koch (Kundry) © Cosimo Mirco Magliocca
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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.

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