Plateau jonché d'accessoires et d’objets hétéroclites, un piano mécanique, un bassin transparent, un étrange lustre-coléoptère aux bras animés zébrés de lumières et un gracile escalier en colimaçon, nous voici comme toujours avec James Thierrée catapulté dans un monde imaginaire, fantasque et clownesque où tous nos repères sont brouillés pour mieux aiguiser nos sens. Chez cet artiste protéiforme et depuis son tout premier spectacle intitulé La symphonie du Hanneton, les corps volent, les mains s’agrippent, les êtres s'affrontent, s'affolent, se heurtent, dansent et jonglent avec le plus grand naturel, comme par magie, mus par d’irrépressibles forces, au gré de scènes-tableaux où les gags alternent avec les exploits sportifs les plus gracieux et émouvants qui soit.
Comme toujours chez Thierrée, il est difficile de déceler dans cette succession de situations cocasses et saugrenues une véritable narration ou un récit à proprement parlé, les personnages/performers allant leur chemin, exécutant de subtils numéros où sont convoqués tous les arts du cirque et de la scène : de la plus pure acrobatie, au mime, à la contorsion, à l’équilibrisme, en passant par d’inénarrables chorégraphies empruntant au smurf et au hip hop, en renouvelant d’anciennes figures telles celles des corps désarticulés ou de ces silhouettes aux mouvements ralentis ou décomposés comme des automates, tout est prétexte à la fantaisie et à la poésie.
Entouré par d'excellents « comédiens-gymnastes » capables de répondre à la moindre de ses sollicitations et de résoudre les plus improbables tours – sauts, plongeons, trapèze parfaitement réalisées par Sonia Bel Hadj Brahim, Samuel Dutertre ou Hervé Lassïnce – , James Thierrée incarne ce personnage qui a fait sa notoriété spectacle après spectacle (et dont le plus impressionnant demeure à ce jour La veillée des abysses en 2003), loufoque et lunaire, drôle et touchant avec sa mèche rebelle, éternel virtuose en apesanteur, musicien, cascadeur et funambule, poursuivi par d'étranges ennemis et lui-même lancé à la recherche d'un idéal, de l'amour ou de la paix : qui sait ?
Emporté dans cette course folle rythmée tantôt par de brefs extraits musicaux où l'on reconnaît Mozart et où le violon domine, tantôt par quelques troublantes mélopées composées par Thierrée lui-même, chantées par la voix langoureuse d'Ofélie Crispin, le spectateur assiste médusé à ce voyage insolite, peuplé de monstres, de machines bruyantes et fumantes et de mystérieux animaux rampants tout droits sortis de l’imagination de Victoria Thierrée, sœur et créatrice de ce bestiaire très personnel, décidément sans équivalent.
Entraperçue cachée dans les plis d'un immense rideau rouge, la grenouille annoncée et attendue 1h30 durant, d'abord minuscule, revient au final, énorme, toile de nylon blanche gonflée par un ventilateur, pour avaler sans distinction ces curieux personnages (mais au fait a‑t‑elle raison ?) et mettre ainsi un terme à cette magnifique fable labyrinthique pour petits et grands.