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Ce n'est pas avec Gabriel Fauré, dont les Rencontres Musicales d’Évian 2024 rendent hommage à l'occasion du centenaire de la mort, mais Ravel et Schubert que le Quatuor Hagen donne ce premier concert dans la Grange au Lac. Répondant à la commande de Fauré de composer un quatuor en hommage à celui de Debussy, Ravel écrivit à 25 ans une des pages majeures de la musique de chambre. Stylistiquement très différente de l'illustre modèle qui lui servait de prétexte, cette œuvre trouve sous l'archet des Hagen une expressivité étonnante, voire même inédite. Éclairés par une économie de son et de projection, la souplesse des entrelacs thématiques de l'Allegro moderato prennent un relief doucereux qui confine à un imaginaire origami de lignes et de chant. Littéralement "très doux", le thème introductif rejoint le second entre épure et rêve éveillé. On peut regretter les angles émoussés dans les pizzicatos cristallins de l'"Assez vif" ou le jeu assez timoré de Rainer Schmidt dans la conduite des deux longues lignes thématiques dans le Troisième mouvement "Très lent"… mais la vivacité du final met tout le monde d'accord. On reste en famille en seconde partie avec ce redoutable Quintette à cordes en ut majeur, chef‑d'œuvre posthume s'associe la violoncelliste Julia Hagen. Contemporain des trois dernières sonates pour piano et plusieurs des Lieder du Schwanengesang, cette partition trouve sous les doigts des Hagen une vibration qui éclaire de l'intérieur l'Allegro ma non troppo. L'équilibre des pupitres donne au cadre général, une expression apaisée qui regarde déjà vers un second mouvement où l'ataraxie ne cède en rien à la volonté de faire avancer le discours par le choix judicieux d'un tempo allant et cursif. Construits en regard l'un de l'autre, le Scherzo offre à l'Allegretto une pulsation intérieure, jamais démonstrative mais soulignant l'étonnant travail de la justesse des accords et du phrasé.
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Rendez-vous le lendemain matin au Théâtre municipal d'Evian, bonbonnière aux faux-airs de Favart et Châtelet dont le faux rideau sert de décor au piano de Lucas Debargue pour le troisième épisode de l'intégrale de musique de chambre de Gabriel Fauré. Composée à l'été 1916 à Évian, cette Deuxième Sonate pour violon et piano op.108 vibre dès ses premières mesures d'un rythme syncopé qui éclate en accords brisés et enserrent d'un écrin nostalgique la belle sonorité d'Anna Agafia Egholm. Ce violon pur et volontaire est pour nous une belle découverte, particulièrement bien mis en valeur dans un andante dont le chant devient murmure et prière. Dans le troisième mouvement Allegro non troppo, la complexité des climats et du jeu des thèmes et des réexpositions se rompt aux entournures par la présence parfois débordante d'un clavier plus adéquat dans un Quintette pour piano et cordes N°1 op.89 avec au violon, Renaud Capuçon et Eva Zavaro, Gérard Caussé et Edgar Moreau à l'alto et au violoncelle. La fausse placidité du molto moderato contraste avec l'énergie des arpèges et la belle tenue du contrepoint des cordes qui se développe progressivement dans un Adagio où domine le cantabile sans limite. La plénitude vigoureuse de l'Allegretto moderato trouve dans les variations modulantes une épaisseur sentimentale soutenue à la fois par l'écoute et la spontanéité.
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Dirigés par l'archet et le geste de leur Konzertmeister Giovanni Guzzo, les musiciens de la Camerata Salzburg offrent à la Grange au Lac une puissante version de l'ouverture Coriolan de Beethoven. Le premier thème est traité avec l'aplomb et la rugosité qui en souligne le caractère véhément et contraste avec le second, en forme de réponse apaisée qui sollicite de belle manière la petite harmonie et vient démontrer les qualités quasi chambristes de l'ensemble. Ce préambule vient souligner dans le Concerto pour piano de Schumann une couleur et une énergie qui confine parfois à la dureté quand éclate les premiers accords sous les doigts d'Hélène Grimaud. Très à son aise dans la façon de donner à la phrase un élan volontaire, elle fait entendre une maîtrise qui se souvient des riches heures où elle enregistrait l'œuvre avec David Zinman. Mais le phrasé devient souvent péremptoire et semble désormais passer en force là où auparavant, le chant seul suffisait. Très à l'aise dans les sauts d'octaves et les arpèges de l'intermezzo, le jeu retrouve dans l'allegro vivace une forme de brillant qui cherche moins à dire qu'à démontrer. Admirablement soutenue par une petite harmonie très nuancée, la tension se fait volontiers lyrique et emporte l'allegro vivace vers une coda de belle carrure. Du beau chant encore et un phrasé coloré et aérien avec cet andante du 2e Concerto pour piano de Chostakovich qui referme cette première partie. Les musiciens de la Camerata Salzburg jouent debout cette Symphonie no 1 en ut mineur de Mendelssohn, ajoutant une touche de spectaculaire à un jeu très articulé et volubile (Allegro di molto). Les belles lignes de l'andante sont négociées avec une longueur d'archet qui en déploie toutes les couleurs, là où les accents syncopés de l'Allegro molto rappellent ceux du Songe d'une Nuit d'été. La lecture puissante du fugato emporte l'Allegro con fuoco dans un torrent furieux et parfaitement maîtrisé – belle démonstration d'un effectif dédié à l'excellence.
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