Les expositions consacrées à l’histoire du costume sont un exemple de manifestation dont on suppose qu’elle peut tenter une « clientèle » différente : aller voir des tableaux, c’est une démarche relevant de la culture « savante », mais aller voir des vêtements, c’est presque du lèche-vitrine. A Paris, les agrandissements du Palais Galliéra (en sous-sol) permettent désormais à ce musée d’offrir une présentation permanente, mais sa vocation est depuis longtemps celle d’un musée de la mode. D’autres institutions accueillent en leur sein un département du costume et se rappellent de temps à autre leur mission, qui est d’exposer leurs divers types de collection : en ce moment, le Kunstmuseum (ex-Gemeente Museum) de La Haye propose, sous le titre « Global Wardrobe », une sélection de vêtements, du XVIIIe siècle à nos jours, inspirés par la notion d’exotisme, qu’il s’agisse du tissu utilisé – les « indiennes » imprimées, les châles indiens – ou de la coupe choisie. A Genève, le Musée d’art et d’histoire a présenté cet automne, à côté de ses collections permanentes de peinture ancienne et de ses salles réservées aux arts décoratifs, une exposition intitulée « Pour la galerie – Mode et portrait », qui juxtaposait toiles appartenant pour la plupart au Musée et vêtements prêtés par la Fondation Alexandre Vassiliev, rapprochement thématique plutôt que chronologique, et sans véritable ambition pédagogique.
Avec « A la mode, l’art de paraître au XVIIIe siècle », il en va tout autrement. Cette exposition, présentée d’abord au Musée d’arts de Nantes, puis au Musée des beaux-arts de Dijon à partir du printemps 2022, a pour singularité de se focaliser sur une période clairement délimitée – les objets présentés vont de 1720 à 1800 – et de vouloir traiter son sujet de manière informative et détaillée. La « collaboration exceptionnelle » du Palais Galliera, mais aussi de plusieurs autres institutions conservant des vêtements anciens (le musée lyonnais des Tissus, le musée de la toile de Jouy, le musée de la Chemiserie et de l’élégance masculine à Argenton-sur-creuse…) garantit une approche quasi exhaustive de l’aspect costume : les vitrines réparties tout au long du parcours proposent des exemples des différents modèles, depuis une somptueuse « robe volante » dans années 1730, taillée dans un tissu jaune citron aux motifs géométriques d’une étonnante modernité, jusqu’à un manteau de Représentant du peuple destiné aux membres du Conseil du Directoire (1798). Des exemples d’étoffes sont présentés, ainsi que de rares ensembles de passementerie (« pièce d’estomac », « tour de gorge », nœuds de manches et rubans) ou broderies de gilet.
Du côté des peintures et gravures mises en regard, deux remarques s’imposent. D’une part, même avec la collaboration du château de Versailles qui a prêté de nombreux portraits, même en sollicitant les musées de Stockholm (pour une ravissante Marchande de modes de Boucher, notamment), de Londres ou d’Amsterdam, il n’a pas toujours été possible de rassembler toutes les toiles qu’on souhaiterait voir réunies, dans un monde idéal. Jean-François de Troy, inventeur du « tableau de modes », dont les œuvres sont reproduites dans toutes les Histoires illustrées du costume, ne peut ici être présent qu’à travers une peinture, Le Rendez-vous à la fontaine, ou l’Alarme, empruntée au Victoria & Albert Museum, le reste de son abondante production devant être évoqué par le biais de gravures. Gravures aussi, bien sûr, pour les Figures de modes de Watteau, mais aussi, on s’en doute, pour L’Enseigne de Gersaint ou L’Embarquement pour Cythère : on imagine mal le Louvre ou le château de Charlottenbourg se séparant un moment de ses chefs‑d’œuvre, même si le Musée d’arts de Nantes a la chance d’avoir dans ses collections un Watteau de jeunesse, Arlequin empereur dans la lune.
D’autre part, malgré la présence de quelques noms illustres – on a cité Watteau et Boucher, mais Vigée-Lebrun et David sont aussi de la partie – la plupart des peintures figurant dans l’exposition ont été retenues selon des critères moins liés à leur pure valeur esthétique qu’à leur caractère de document, parce qu’elles permettent de voir porter telle robe, tel habit. Ce qui n’empêchera pas quelques jolies (re)découvertes : le Suédois Alexandre Roslin, avec surtout son Portrait de madame de Flandre de Brunville (1761), qui reprend pour l’épouse d’un fermier général une robe fort semblable à celle dans laquelle Nattier avait peint Marie Leszczynska en 1748, la reine ayant choisi, grande innovation, d’être reprrésentée en habit de ville et non en tenue d’apparat ; Joseph-Siffred Duplessis et son beau Portrait d’Abraham Fontanel (Montpellier, musée Fabre) ; Marie-Geneviève Bouliard, dont le musée de Nantes conserve un beau portrait de la famille Olive ; ou Adélaïde Labille-Guillard, qui occupait un des quatre sièges réservés aux femmes à l’Académie royale de peinture et de sculpture beaux-arts, et donc le Musée d’Orléans vient justement d’acquérir le Portrait de Marie-Jean Hérault de Séchelles, président de la Montagne à la Convention.
De l’une des grandes élégantes du XVIIIe siècle, la marquise de Pompadour, on ne verra ici aucun des célébrissimes effigies dues à Quentin de La Tour (Louvre, 1755) ou à Boucher (Munich, 1756) : ce que révèlent en revanche les deux portraits plus intimes visibles à Nantes, signés Van Loo (1755) et Drouais (1763), c’est le confortable double menton qu’arborait la favorite de Louis XV, soigneusement dissimulé par leurs confrères.
On appréciera aussi la section consacrée aux liens entre mode et théâtre (le Rijksmuseum a prêté un joli costume « à la Van Dyck » comme Fragonard ou Gainsborough aimaient à en vêtir leurs modèles), liens qui s’illustrent jusque dans les motifs destinés aux bas de gilet des messieurs, parfois inspirés des opéras à la mode : une Armide retenue par l’Amour alors qu’elle s’apprête à poignarder Renaud doit tout à Lully et à Gluck, tandis qu’une jeune femme éplorée dans un paysage n’est autre que l’héroïne de Nina ou la folle par amour de Dalayrac.
L’évocation du négligé intime, avec une révérence inévitable aux Regrets sur ma vieille robe de chambre de Diderot, et la « robe-peignoir » de la duchesse de Polignac, qu’allait imiter Marie-Antoinette dont le portrait « en chemise » fit scandale au Salon de 1783, débouche sur la mode des vêtements blancs et sur le retour à l’Antiquité. En complément, « un espace atelier permet aux enfants comme aux adultes d’approfondir l’exposition de manière ludique ».
Catalogue : Editions Snoeck, 28 euros, ISBN 978–94–6161–710‑1