Exposition « Arts et Préhistoire ». Musée de l’Homme, du 16 novembre au 22 mai 2023.

Commissariat scientifique : Patrick Paillet et Eric Robert, préhistoriens, professeurs au MNHN

Commissariat d’exposition : Marie Merlin, muséographe, Magdalena Ruiz Marmolejo, conservatrice du patrimoine, Mathilde Beaujean, responsable audiovisuels et multimédia.

Scénographie : Eric Benqué ; Studio Vaste

 

Catalogue de Patrick Paillet et Eric Robert, MNHN Editions.  39 euros.

Paris, Musée de l'Homme, le 15 novembre 2022

Exposer les œuvres d’artistes préhistoriques, c’est facile lorsque ce sont de petits objets qui se laissent enfermer dans des vitrines. Mais lorsqu’il s’agit de peintures ou de sculptures revêtant les parois de cavernes plus ou moins accessibles, comment fait-on ? Sans se transformer en grotte, le Musée de l’Homme propose quelques solutions judicieuses, et trouve même le moyen d’inclure l’art moderne et contemporain dans sa nouvelle exposition, « Arts et Préhistoire ».

La saison 22–23 sera très artistique au Musée de l’Homme puisque, avant l’arrivée d’une exposition « Picasso et la Préhistoire » à partir de février prochain, l’institution hébergée au Trocadéro présente  une manifestation plus focalisée sur le Paléolithique, « Arts et Préhistoire », qui se subdivise en fait en trois parties nettement différenciées.

Les premières salles sont conformes à ce que l’on peut attendre d’un établissement conservant des pièces archéologiques, avec vitrines et panneaux explicatifs. Le souci pédagogique éclate partout, avec de précieux rappels pour tous ceux qui n’ont plus que de lointains souvenirs de leurs cours d’histoire. Chronologies, plans et autres aide-mémoire viennent nous rappeler que les premières œuvres d’art préhistoriques datent d’il y a un peu plus de 40 000 ans avant notre ère, l’ère paléolithique se subdivisant elle-même en plusieurs périodes : Aurignacien, Gravettien, Solutréen et Magdalénien.

Vénus de Lespugue. Gravettien (entre 25 000 et 28 000 avant notre ère), ivoire de mammouth, 14,7 cm © MNHN – E. Blanc

L’exposition honore en premier lieu un thème qui ne constitue en fait qu’une faible proportion des œuvres : la représentation de l’humain, avec d’abord l’étonnant profil gravé sur la superbe « plaquette » (17 000 avant notre ère) découverte sur le site de La Marche, à une trentaine de kilomètres de Poitiers. Et l’on enchaîne avec les Vénus, comme on a pris coutume d’appeler ces statuettes parfois minuscules, la star étant la Vénus de Lespugue, exhumée en Haute-Garonne en août 1922 : pour son centenaire, elle a eu droit à une restauration complète, pour la débarrasser de tous les dépôts accumulés depuis un siècle, et elle est désormais allongée dans une sorte de boîte, ce qui ne permet hélas pas de l’admirer sous toutes ses facettes – mais la troisième partie de l’exposition y remédie, nous y reviendrons. Cette sculpture grande comme la main, taillée dans l’ivoire de mammouth, est parfaitement représentative des statuettes callipyges et rebondies du style gravettien – l’autre exemple le plus célèbre étant la Vénus de Willendorf, conservée en Autriche, qui  n’a évidemment pas fait le voyage. Sur la centaine de pièces réunies, si la plupart viennent des collections du Musée de l’Homme ou du Musée de Saint-Germain-en-Laye, l’exposition bénéficie aussi de prêts consentis par bien d’autres pays, notamment en ce qui concerne les Vénus plus filiformes, du style magdalénien, la première à avoir été découverte étant la « Vénus impudique », mise à jour en 1864 et ainsi baptisée par son inventeur, le marquis de Vibraye, à cause de sa fente vaginale bien visible, par opposition à la très classique Aphrodite pudique qui, elle cache ses atouts.

Les animaux étant la principale source d’inspiration des artistes de la Préhistoire, ils sont logiquement les héros des dernières salles d’art « mobilier », qu’il s’agisse d’objets utilitaires qui s’ornent de profils ou de formes évoquant le bestiaire, ou d’objets « symboliques » dont on ignore en fait la destination. Sans oublier les motifs abstraits, géométriques, également employés sur toutes sortes de supports.

Petit cheval de Lourdes (15 000 avant notre ère) © RMN-Grand Palais – MAN – Loic Hamon

 

Avec la deuxième partie de l’exposition, tout change. Le visiteur se trouve à présent dans la pénombre, entre des murs noirs, où sont suspendus des écrans. Car bien évidemment, la peinture rupestre n’est visible que dans les grottes ; sans vouloir le moins du monde reconstituer l’expérience d’une visite dans l’un des rares sites encore accessibles, ou même d’un fac-similé comme Lascaux IV, il a été choisi de refléter finement la réalité de cet art, notamment grâce à des projections à l’échelle 1, c’est-à-dire grandeur nature, non sur un écran plat, mais sur un moulage de paroi, l’exemple le plus saisissant étant le dernier que propose le parcours, qui reproduit deux chevaux peints dans la grotte de Pech Merle, dans le Lot. Sur un relief blanc, apparaissent successivement les motifs qui y ont été tracés au fil des années par les hommes, femmes et enfants ayant participé à sa décoration, il y a 25 000 ans. Avec les autres images projetées dans ces deux salles, c’est l’occasion de constater à la fois l’unité et la diversité de l’art pariétal, présent dans le monde entier et prenant les formes les plus diverses, de plus basiques aux plus élaborées (Cocorico : la France peut s’enorgueillir de posséder quelques-unes des plus belles grottes peintes, et l’abbé Breuil ne se trompait pas lorsqu’il qualifiait Lascaux de « chapelle Sixtine de la Préhistoire »). Les artistes préhistoriques ont su exploiter toutes les techniques dont ils pouvaient disposer, varier les motifs en inventant différents styles, pour créer des images qui continuent à faire couler beaucoup d’encre, nul ne pouvant prétendre détenir la vérité quant aux représentations les plus énigmatiques.

Quatre théranthropes en marche – Schaaplaats (Afrique du Sud) – Holocène (non daté) © Jean-Loic Le Quellec

 

La troisième partie fait avec beaucoup d’intelligence ce que trop de musées font pour sacrifier à la mode. Introduire l’art contemporain dans les musées dédiés au passé est depuis peu une tendance à laquelle il est bien difficile d’échapper, mais le Musée de l’Homme justifie parfaitement le procédé en consacrant son « Balcon des Sciences » à l’influence qu’a pu exercer la Vénus de Lespugue – encore elle ! – sur les artistes. Offerte au Muséum d’histoire naturelle par ses découvreurs, monsieur et madame de Saint-Périer, entrée au Musée de l’Homme en 1939, la sculpture incluse dans le début d’exposition est ici présente sous la forme de moulages plus ou moins anciens, dont un qui s’efforce même de la reconstituer telle qu’elle était avant le coup de pioche qui permit son exhumation mais qui la mutila aussi de manière définitive. Elle est ensuite rapprochée de toute une constellation d’œuvres signées Brancusi, Jean Arp, Yves Klein ou Louise Bourgeois ; en 1966, Zadkine conçut même une série de lithographies accompagnant le poème Lespugue du Vénézuélien francophone Robert Ganzo, fasciné par la Préhistoire. Dans ce contexte, les créations d’artistes vivants s’inscrivent dans le prolongement direct des œuvres modernes, et n’ont pas ce caractère artificiellement plaqué qu’ont trop souvent les interventions contemporaines dans nos musées. On découvre ainsi, entre autres, le travail de Muriel Décaillet ou de Gabriel Sobin, clairement inspiré par les formes de la Vénus de Lespugue.

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.
Crédits photo : © MNHN – E. Blanc
© RMN-Grand Palais – MAN – Loic Hamon
© Jean-Loic Le Quellec
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