« Ingres avant Ingres » et « Revoir le XIXe siècle » au Musée des Beaux-Arts d’Orléans

« Ingres avant Ingres », du 18 septembre au 9 janvier.
Commissaire : Mehdi Korchane

Catalogue sous la direction de Mehdi Korchane, coédition Le Passage Paris-New York édition / Musée des Beaux-Arts d’Orléans, 272 pages, 179 illustrations, 35 €

« Revoir le XIXe siècle », nouveau parcours conçu par Olivia Voisin, directrice des musées d’Orléans

Orélans, Musée des Beaux Arts, visite le vendredi 17 septembre 2021 9–15h

En 2016, le musée des Beaux-Arts d’Orléans présentait ses nouvelles salles de peinture allant du Moyen Age à la fin du XVIIe siècle, en 2018 était venu le tour de l’étage 1715–1815. On attendait donc avec impatience la réouverture des salles XIXe siècle, qui coïncide cet automne avec une exposition consacrée aux débuts de l’un des grands artistes français de cette même période, « Ingres avant Ingres ».

« Ce siècle avait deux ans… » Ce XIXe siècle, bien sûr, car telle est la période doublement mise à l’honneur par le musée des Beaux-Arts d’Orléans, avec d’une part une exposition consacrée aux premières années d’Ingres, et d’autre part la réouverture des salles 1830–1870 avec un accrochage intégralement repensé. Une superbe défense et illustration du XIXe siècle, voilà ce qu’offre la préfecture du Loiret, en explorant les aspects moins fréquentés d’un très grand nom et en révélant toute une série d’artistes qui, pour n’être plus aujourd’hui très connus, n’en furent pas moins des gloires en leur temps.

 

Jean Auguste Dominique Ingres, Jean Charles Auguste Simon, dit Simon fils, an 11 (1802–1803) Fusain et estompe, crayon noir, rehauts de craie blanche sur papier vélin, 42,2 x 37,7 cm Orléans, musée des Beaux-Arts, inv. 791 © Musée des Beaux-Arts d’Orléans / François Lauginie 

Jean Auguste Dominique Ingres, Jean Charles Auguste Simon, dit Simon fils, 1806 Crayon de graphite-antimoine, 26,6 x 21,1 cm Orléans, musée des Beaux-Arts, inv. 792 © Musée des Beaux-Arts d’Orléans / François Lauginie 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pour Ingres, tout part des deux œuvres conservées par le cabinet des arts graphiques du musée d’Orléans, léguées à la fin du XIXe siècle par un descendant du modèle : deux portraits dessinés par Ingres d’un certain Jean-Charles-Auguste Simon, l’un en 1802, l’autre en 1806. Le premier est le chef‑d’œuvre d’un jeune artiste qui n’a pas encore trouvé sa manière personnelle, le second laisse entrevoir une formule qui lui vaudra d’innombrables succès. Autour de ces deux dessins, Mehdi Korchane, responsable de la conservation des arts graphiques à Orléans, a eu la judicieuse idée de s’intéresser à la période pendant laquelle Ingres s’est formé, signant d’abord « Ingres fils » puisque son père était également peintre ; Joseph Ingres en vint bientôt lui-même à signer « Ingres père », lorsque son fils se fut fait un nom en remportant le Grand Prix de Rome en 1801.

C’est un prix de peinture qui valut à Ingres fils un séjour à la Villa Médicis, mais c’est bien à travers le dessin que l’on voit l’artiste naître, grandir et s’affirmer, comme l’exposition le montre de façon très claire. Les premiers portraits dessinés subissent l’influence paternelle (au point que leur attribution fait parfois débat), puis celle de Jean-Baptiste Isabey, très visible dans les œuvres de la toute fin du XVIIIe siècle et du début du suivant, jusque dans des travaux plus « commerciaux ». En effet, pour un débutant, le marché de la gravure offrait une occasion de gagner sa vie : Ingres en savait quelque chose, lui qui élabora une version de La Belle Ferronnière de Léonard de Vinci destinée à la reproduction, et dont on peut aussi voir à Orléans quelques exemples d’images du « Musée français », série de volumes représentant en gravures diverses sculptures antiques. Même dans ce travail de commande, Ingres réussit à introduire une touche personnelle, en prêtant à chaque statue une ombre portée parfois déconcertante.

Jean Auguste Dominique Ingres, d’après Jacques Louis David, Le Serment des Horaces, vers 1802 Plume et encre noire, lavis gris, graphite et rehauts de blanc sur papier crème, 53,4 × 69,5 cm Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques (RF 5272) © RMN – Grand Palais (musée du Louvre) / Thierry Le Mage 

Avant de trouver son identité propre, Ingres copia beaucoup les maîtres anciens, comme en témoigne l’une des salles de l’exposition : les italiens, bien sûr, et Poussin, mais aussi, de façon plus inattendue, Dürer et les Flamands. Devenu élève de David en 1797, Ingres écoute les leçons du maître, mais ne tardera pas à s’en affranchir. C’est par le dessin qu’il s’essaie aux sujets tirés de l’histoire antique, comme Les Adieux de Coriolan, très davidien dans sa composition, mais d’autres orientations possibles se font jour, notamment la tentation de l’archaïsme, qui conduit le Grand Prix de Rome 1801 à prendre pour modèles l’art grec dans sa version la plus ancienne, la moins réaliste : une étonnante Mort de Phèdre utilise les postures figées et ce refus de la troisième dimension dont, un siècle plus tard, Nijinski allait s’inspirer pour sa chorégraphie du Prélude à l’après-midi d’un faune.

Jean Auguste Dominique Ingres, Philémon et Baucis recevant Jupiter, vers 1802–1803 Plume et encre noire, plume et encre brune, lavis gris sur traits de graphite, 30,3 x 39,2 cm Le Puy-en-Velay, musée Crozatier, inv. 833.2 © Musée Crozatier / Luc Olivier 

Le drapé se fait de plus en plus décoratif, aplati, et apparaissent déjà les « belles goitreuses » chères à l’artiste, ces personnages féminins dont le cou s’allonge au-delà du raisonnable que l’on retrouvera tout au long de la carrière du peintre. C’est notamment le cas du premier sujet mythologique traité par Ingres après son prix de Rome, Vénus blessée par Diomède (1805), prêté par le musée de Bâle. Ce sont aussi ces femmes aux yeux globuleux et au profil de mouton, qui figurent déjà sur un dessin que Mehdi Korchane place dans le droit fil des croquis pris sur le vif, La Communion à Rome (1806). Après son retour d’Italie, Ingres devra néanmoins renier en partie cette originalité, pour éviter l’incompréhension suscitée par des œuvres que la critique qualifie de « gothiques » comme son Napoléon sur le trône impérial (1806).

Léon Cogniet, Tête de femme et d’enfant (esquisse pour la Scène du massacre des Innocents), 1824 Huile sur toile © Orléans, musée des Beaux-Arts 

Ce siècle avait quinze ans, et c’est avec la chute de Napoléon Ier que commence le nouveau parcours XIXe siècle du musée d’Orléans, « après trois ans de travaux de réaménagement, de restaurations et d’étude des collections », pour évoquer la période « 1815–1870 en 348 œuvres ». Pour ce faire, le musée s’appuie premièrement sur le legs consenti par Léon Cogniet, Grand Prix de Rome 1817, soit 1300 dessins et 200 peintures. Si Cogniet est aujourd’hui assez oublié, il n’en eut pas moins une grande influence en son temps, notamment à travers ses innombrables élèves, tant à l’Ecole des Beaux-Art que dans ses ateliers privés. Autour de lui, la génération romantique est privilégiée dans ces nouvelles salles, jusqu’à la fin du Second Empire, avec quelques points forts liés à la ville : la famille d’Orléans est présente, comme mécènes ou comme artistes ; on découvre le peintre orléanais Alexandre Antigna, entre réalisme (L’Incendie, 1850) et misérabilisme (Pauvre femme, 1857). En tête d’affiche, une toile très remarquée lors de la récente exposition du Musée du Luxembourg consacrée aux « Peintres femmes 1780–1830 » : une magistrale Etude de femme, une œuvre d’Aimée Pagès, épouse Brune.

Alexandre Antigna, L’Incendie, 1850 Huile sur toile © Orléans, musée des Beaux-Arts 

Après des moments forts autour du portrait, à la sculpture ou à l’orientalisme, la visite se termine en apothéose dans la salle des grands formats, réunion d’œuvres ambitieuses, parfois grandiloquentes, comme le Salon les aimait. Rassemblement spectaculaire, incluant des toiles saisissantes, comme la splendide Jeanne d’Arc de l’Anglais Etty (1847) ou le Prométhée enchaîné d’Arthur Mercier (1857). Ce siècle avait soixante-dix ans quand le parcours se termine, avec quelques fort belles entorses à l stricte chronologie, comme le Martyre de sainte Cécile d’Alfred de Richemont (1888) ou L’Apothéose de la canaille ou le Triomphe de Robert Macaire de Louis-Maurice Boutet de Monvel (1884). Rendez-vous dans quelques années pour la rénovation du sous-sol du musée d’Orléans, qui ira de 1870 à nos jours, à partir de La Vague peintre en 1870 par Courbet.

Louis-Maurice Boutet de Monvel, L’Apothéose de la canaille ou Le Triomphe de Robert Macaire, 1884 Huile sur toile © Orléans musée des Beaux-Arts 

Catalogue :
Sous la direction de Mehdi Korchane,
Coédition Le Passage Paris-New York édition / Musée des Beaux-Arts d’Orléans, 272 pages, 179 illustrations
ISBN : 978–2‑84742–463‑8
Date de publication : 30/09/2021
Dimensions du livre : 22 x 27 cm / relié cartonné
Prix public : 35 € 

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.
Crédits photo : © Musée des Beaux-Arts d’Orléans / François Lauginie
© RMN – Grand Palais (musée du Louvre) / Thierry Le Mage
© Musée Crozatier / Luc Olivier
© Orléans musée des Beaux-Arts

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