Francis Poulenc (1899–1963)
Dialogues des Carmélites
Opéra en trois actes et douze tableaux.
Texte de la pièce de Georges Bernanos avec l'autorisation de Emmet Lavery d'après une nouvelle de
Gertrude Von Le Fort et un scénario du R.P. Brückberger et de Philippe Agostini
Créé en italien à la Scala de Milan le 26 janvier 1957, et en français à l’opéra de Paris le 21 juin 1957

Olivier Py (Mise en scène)
Pierre André Weitz (Décors et costumes)
Bertrand Killy (Lumières)
Nicolas Cavallier (Marquis de la Force)
Patricia Petibon (Blanche de la Force)
Stanislas de Barbeyrac (Chevalier de la Force)
Matthieu Lécroart (Thierry / Le médecin / Le geôlier)
Anne Sofie von Otter (Madame de Croissy)
Véronique Gens (Madame Lidoine)
Sophie Koch (Mère Marie)
Sabine Devieilhe (Sœur Constance)
Sarah Jouffroy (Mère Jeanne de l’Enfant-Jésus)
Lucie Roche (Sœur Mathilde)
François Piolino (Père confesseur)
Enguerrand de Hys (Premier Commissaire)
Arnaud Richard (Second Commissaire)

Chœur du Théâtre des Champs Elysées
Ensemble Aedes
Mathieu Romano (Chef du chœur)

Orchestre National de France
Jeremy Rhorer (Direction musicale)
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, dimanche 11 février, 17h00

 

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, dimanche 11 février 2018, 17h00

Présentés avec un succès retentissant en 2013 (cf article sur Le Blog du Wanderer) sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées, ces Dialogues des Carmélites imaginés par le prolifique Olivier Py n’ont cessé depuis cette date de se rappeler à nous, d’abord avec la parution d’un magnifique dvd chez Erato, réalisé par François-René Martin, qui fait référence, puis avec une récente reprise bruxelloise. Cette production majeure revient donc à Paris, après cinq ans d’absence, avec une distribution légèrement renouvelée, plus époustouflante encore. Dans les mains d’Olivier Py, de Jérémie Rhorer et de ses interprètes, le chef d’œuvre de Poulenc atteint des sommets qu’il sera désormais difficile d’égaler.

 

Parmi les œuvres mises en scènes par Olivier Py, directeur de théâtre et de festival, comédien, poète, ouvertement homosexuel et catholique, Dialogues des Carmélites de par son sujet et sa portée mystique est très certainement « le plus cher à son cœur », comme peut l'être Blanche de la Force pour la Prieure (« Vous êtes la dernière et pour ce fait la plus chère à mon cœur, oui de toutes mes filles la plus chère, comme l'enfant de la vieillesse » 1er acte 4ème tableau). Tout dans l'œuvre de Bernanos portée à l'opéra par Poulenc en 1957 entre en effet en résonance avec les préoccupations intellectuelles et artistiques de Py : la peur et le courage, le questionnement et la prise de conscience, l'angoisse et l'insouciance, la fermeté et la compassion, une gamme de sentiments humains et d'émotions portés par une partition unique d'une extraordinaire puissance.

Le Carmel de Compiègne, à l'abri du monde, devient ainsi l'épicentre de toutes les dérives charriées par la Terreur. Menacées, les religieuses longtemps repliées sur elles-mêmes, sont destituées, écartelées puis emprisonnées avant d'être guillotinées en véritables martyres. Pareil huis-clos ne pouvait que passionner l'auteur des Illusions comiques et lui inspirer l'un de ses spectacles les plus aboutis. Longuement commentée à sa création en 2013, cette production récemment remontée à Bruxelles avant Caen((26 et 28 février)) et Bologne ((11–16 mars)), n'a rien perdu de sa beauté visuelle, ces décors coulissants, ces troncs d'arbres, ces parois à claire-voie ou ces perspectives qui laissent filtrer la lumière, signés une fois de plus par le merveilleux scénographe Pierre-André Weitz, permettant à l'intrigue de se dérouler sans heurt, avec la plus parfaite limpidité.

La direction d'acteur au cordeau, le camaïeu de couleur noir, gris, blanc tout juste rehaussé par la chevelure cuivrée de Blanche, accordés à la précision des déplacements et à l'apparition troublante de quelques scènes sulpiciennes muettes – une Annonciation, une Pietà, une Cène et une crucifixion – élèvent ce travail au plus haut degré de perfection. Parmi les moments-clé, la mort de Mme de Croissy clouée à plusieurs mètres du sol, dans son lit vertical devenu crucifix est une trouvaille exceptionnelle, tout comme la prison ascétique où sont jetées les Carmélites, sans oublier la scène finale où celles-ci ne s'écroulent pas au son du couperet, mais font mine d'être touchées au ventre par un impact de balle et se dirigent, bras en croix telles des anges, vers un ciel piqué d’étoiles, hanteront pour longtemps nos mémoires.

Pour incarner ces combattantes de Dieu, Olivier Py (et son assistant Daniel Izzo) disposent comme à l'origine de ce projet, d’une distribution de rêve. Actrice habitée, dont la crinière rousse la différencie d'emblée des autres, Patricia Petibon est une Blanche magistrale. Son chant ferme et transparent, libéré des fixités qui lui avaient été reprochées, son timbre pur aux milles nuances et ses aigus jaillissants comme source claire, tirent à plusieurs reprises les larmes. Maladivement angoissé, son personnage lutte contre la peur et la fragilité, « sacrifiant tout, abandonnant tout, renonçant à tout, pour qu'il (Dieu) lui rende l'honneur » (acte 1 fin du 1er tableau). A ses côtés, Véronique Gens et Sophie Koch présentes en 2013, rivalisent d'humanité, la première avec un chant limpide comme s'il était parlé, d’un généreux lyrisme, sans qu’à aucun moment le trait n’ait l’air d’être forcé ou que la tessiture ne soit contrainte par des aigus assassins ; la seconde moins tendue qu’il y a cinq ans, moins revêche et donc plus adoucie dans ses relations avec les Carmélites, apparaissant à jamais blessée de les voir mourir sans pouvoir les sauver. Aussi douce que bonne, Sabine Devieilhe est une adorable Sœur Constance, frêle comme un oiseau tombé du nid (privée toutefois de projection en raison d'un refroidissement), Nicolas Cavallier nouveau venu, comme Stanislas de Barbeyrac formant un couple père-fils d'une remarquable présence physique et d'une implication vocale supérieure à celles de leurs prédécesseurs, Philippe Rouillon et Topi Lethipuu.

Succédant à Rosalind Plowright et à Sylvie Brunet, toutes deux saisissantes à Paris et à Bruxelles, Anne-Sophie von Otter est une déchirante Mme de Croissy, dont la diction parfaite, l'autorité naturelle et l'intensité renouvellent l'approche de ce personnage magnifique dont le délire fait froid dans le dos. François Piolino remarquable Père confesseur, Matthieu Lécroart (Thierry, médecin et geôlier), Enguerrand de Hys (Premier Commissaire) et Arnaud Richard (Second Commissaire) complétant ce plateau haut de gamme.

Au pupitre, Jérémie Rhorer récidive, malgré le changement notable de phalange, le Philharmonia Orchestra se substituant à l'Orchestre national de France, avec une lecture âpre et rigoureuse de la partition, qui soigne les textures instrumentales et conjugue souplesse et fermeté grâce à des tempi un rien raides, mais toujours singulièrement investis.

 

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François Lesueur
Après avoir suivi des études de Cinéma et d'Audiovisuel, François Lesueur se dirige vers le milieu musical où il occupe plusieurs postes, dont celui de régisseur-plateau sur différentes productions d'opéra. Il choisit cependant la fonction publique et intègre la Direction des affaires culturelles, où il est successivement en charge des salles de concerts, des théâtres municipaux, des partenariats mis en place dans les musées de la Ville de Paris avant d’intégrer Paris Musées, où il est responsable des privatisations d’espaces.  Sa passion pour le journalisme et l'art lyrique le conduisent en parallèle à écrire très tôt pour de nombreuses revues musicales françaises et étrangères, qui l’amènent à collaborer notamment au mensuel culturel suisse Scènes magazine de 1993 à 2016 et à intégrer la rédaction d’Opéra Magazine en 2015. Il est également critique musical pour le site concertclassic.com depuis 2006. Il s’est associé au wanderesite.com dès son lancement

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