Si la postérité a gardé du King Arthur de Henry Purcell quelques moments musicaux dont la valeur tient à la fois de la pièce détachée et du "tube", l'essentiel de la partition est occupé par une langue parlée qui justifie à elle seule la catégorie de semi-opéra. La direction musicale et la mise en scène sont confiées à deux artistes argentins en la personne de Marcial Di Fonzo Bo et Leonardo García Alarcón.
D'abord comédien dans la troupe d'Alfredo Arias puis auprès de Luc Bondy, Matthias Langhoff et Olivier Py, Marcial Di Fonzo Bo alterne désormais entre mise en scène et direction (La Comédie de Caen depuis 2016). Après des premiers pas dans l'univers lyrique avec un Cosi et surtout une étonnante Grotta di Trofonio de Salieri dirigée par Christophe Rousset à Lausanne, il revient au répertoire baroque avec ce King Arthur d’Henry Purcell à l'Opéra des Nations à Genève. Monté dans la précipitation, le projet a fait l'impasse sur la version originale du livret de John Dryden à laquelle s'est substituée une version française déclamée à pleins poumons et grands renforts de gestes histrionesques.
Leonardo Garcia Alarcon a pratiqué des emprunts à d’autres musiques de scènes de Purcell comme The Virtuous Wife, Abdelazar et Dioclesian pour augmenter un matériel musical trop étriqué et quasiment dépourvu d'indications pour pouvoir rivaliser face à la voix parlée. En choisissant de conserver la douzaine d'acteurs prévue par Dryden, Marcial Di Fonzo Bo a cherché à rapprocher l'ouvrage d'une dimension générale proche du théâtre élisabéthain et de Shakespeare en particulier. La légende arthurienne est transformée en féérie baroque qui fait de la quête initiatique d’Arthur, le sujet central d'une intrigue amoureuse pour arracher sa fiancée aveugle, Emmeline, des griffes du chef de guerre saxon Oswald. En marge de cette quête, on trouve le conflit qui oppose Merlin l’enchanteur au magicien Osmond. La victoire d'Arthur sera célébrée dans une conclusion en forme d'apothéose par Vénus et l’Honneur, la première bénissant l’Angleterre et le second l’Ordre de la Jarretière.
L'impossible réunion du chant et de la parole fait remonter à la surface des défauts majeurs comme cette tendance pour les comédiens à se hausser du col pour déclamer tandis que les chanteurs s'agitent maladroitement dans des costumes hors d'âge. Les décors reproduisent des agrandissements de gravures de Gustave Doré, écrin subtil qui jure avec les costumes improbables de Pierre Canitrot qui imagine Bretons et Saxons cintrés dans un attirail de cuir et de latex qui laisse apercevoir des tatouages dignes de bikers californiens. Manipulé à vue, le plateau se scinde régulièrement en deux parties pour permettre un dialogue entre le proscénium et l'arrière-scène. La présence décalée et insolite d'un cerf empaillé et d'un sanglier monté sur roulettes font office d'allusion modernisée aux animaux des contes de fées. Un conte où le code urbain du jean-basket cohabite avec l'onirisme de Gustave Doré, autre forme de cohabitation étrange qui s'ajoute à celle du chant anglais et des dialogues en français. La très attendue scène du génie du froid manque de verser dans l'opéra-comique, avec ce pauvre Grigory Shkarupa dont la tête émerge d'une immense couverture en fausse fourrure qui recouvre la totalité du plateau et respire avec une alternance de systole – diastole tandis que tombe la neige…
Limité à des rôles secondaires, le plateau vocal présente de bonnes surprises, à commencer par le "Come if you dare" du haute-contre Ed Lyon et le " Let not a moon born-elf " d'Ivan Thirion, excellent dans le rôle de Grimbald. Malgré l'incongruité des accoutrements qui lui servent de costumes le Cupidon agile de Bernarda Bobro se change en Venus pour un sublime "Fairest Isle" tandis que la soprano Keri Fuge se distingue dans un " Hither this way" à la fois délicat et très souple. Admirablement préparé par Alan Woodbridge, le Chœur du Grand Théâtre de Genève fait oublier des scènes à l'aspect visuel assez pénible, comme ces nymphes et sylphes ou ces paysans affublés de chapeaux melon et vestes façon Union Jack…
Parmi la troupe d'acteurs, on s'intéressera particulièrement à Thomas Scimeca qui campe un Osmond à la croisée de la fourberie et de l'humour décalé. Le Roi Arthur de Simon Guélat manque de présence alors que l’Emmeline de Laure Aubert peine à passer la rampe dans son rôle d'héroïne éplorée. Le numéro dégingandé de Paul Laurent ou les rodomontades outrées de l'Oswald de Benjamin Jungers finissent par lasser au fil de ce qui ressemble à un interminable numéro à la Monty Python.
D'une tenue impeccable et rarement entendue en fosse, Leonardo García Alarcón conduit la Cappella Mediterranea qui réussit l'exploit de faire oublier les errements du théâtre. La délicatesse et l'équilibre des bois et des cordes étonnent d'autant plus que l'acoustique peu flatteuse de l'Opéra des nations met à nu le moindre décalage. Le continuo est assuré par deux claviers et un théorbe subtilement accordés aux interventions du Chœur du Grand Théâtre.