Réduit au silence pendant de longs mois, comme son confère Dimitri Hvorotsovsky, le baryton Simon Keenlyside a choisi la scène du Met pour faire son retour, qui plus est dans Don Giovanni, rôle qu'il n'avait encore jamais interprété à New York. Si le chanteur est depuis quelques années attiré par les grands Verdi de Posa à Macbeth en passant par Rigoletto, Don Giovanni n'a jamais quitté son répertoire, ce personnage accompagnant chaque étape de sa carrière et bénéficiant de son évolution et de sa maturité artistique. Ainsi l'aura-t-on vu et entendu dans toute son insolente jeunesse dirigé par Claudio Abbado (DG 1997), d'un rare perversité dans les mains de Sven-Eric Bechtholf (Zürich 2007 DVD EMI), effrayant dans la production de David Mc Vicar à Londres (2008 Dvd Opus Arte), ou pervers déjanté chez Calixto Bieito (Barcelone 2008 ), chacune de ses facettes composant un portrait kaléidoscopique en perpétuel mouvement. Nous aurions bien sûr préféré retrouver Simon Keenlyside dans un spectacle moins simpliste et routinier que celui de Michael Grandage qui se contente de suivre le livret à la lettre en abandonnant les protagonistes à eux-mêmes. Contraints d'arpenter sans directives précises le vaste plateau du Met, encombré par un lourd décor tout ensemble façade d'immeuble décrépie et cour intérieure entourée de galeries, ces figures pourtant toutes liées les unes aux autres, n'en paraissent que plus anecdotiques, le pire étant les scènes de foule réglées à la diable sans aucune subtilité.
Face au manque d'inspiration et au nombre limité de répétitions, la chanteur compose un personnage mûrissant, pas encore totalement blasé, mais qui connaît le monde et la vie, et veut encore en jouir sans entrave. Séducteur invétéré, il manipule son entourage sans cynisme, plutôt par habitude, n'ayant jamais eu à lutter contre plus fort que lui, jusqu'à ce que le Commandeur croise son chemin… La voix intacte, tout juste moins colorée que par le passé, sonne avec vigueur sur tout le registre opérant de subtiles variation entre la hardiesse du maître et la douceur de l'amant qu'il ne peut s'empêcher d'être. Cet excellent acteur méritait mieux que ce valet empesé et sans la moindre fantaisie confié à Adam Plachetka. Au lieu de réagir à ses attaques et à ses provocations, il se contente de faire profil bas et de chanter ce Leporello de façon terne et monotone : c'est évidemment Luca Pisaroni ou Kyle Ketelsen qu'il aurait fallu face à Keenlyside.
Kwangchul Youn et Matthew Rose ne sont pas passionnants dans les rôles du Commandeur et de Masetto ; fort heureusement Paul Appleby rehausse le niveau avec un interprétation fouillée d'Ottavio, exécutée dans la meilleure tradition. Choisie pour son volume Hibla Gerzmava ne rend pas justice au rôle d'Anna qui demande une pureté de ligne, une clarté de style et un aigu solaire qui lui font défaut, notamment dans le second aria, tendu comme un arc, « Non mi dir », dans lequel elle échoue à recréer l'atmosphère éthérée. Comédienne engagée, Malin Byström affronte avec fougue et témérité le personnage d'Elvira qu'elle à malheureusement tendance à enfermer dans l'hystérie sans chercher d'autres alternatives. C'est d'autant plus dommage que ce soprano possède un vrai tempérament et une endurance vocale qui lui permettraient d'apparaître plus subtile, surtout dans le redoutable « Mi tradi » du second acte. Elle sera sans doute plus à sa place en Donna Anna lors de la prochaine reprise de cette production. Quant à Serena Malfi (Zerlina), mieux vaut passer sous silence sa très mauvaise prestation. Chef pour le moins compétent dans ce répertoire, Fabio Luisi annonce dès l'ouverture remarquablement ciselée, comme l'homme de la situation, développant tout au long du drame un discours d'une tenue et d'un style extrêmement soignés, magnifiés par l'orchestre du MET qui compte parmi les meilleurs.