Salle des Combins comble pour cette inauguration où le fondateur du Verbier Festival Martin T :son Engstroem a annoncé de manière prémonitoire qu’en 2018, les problèmes de la pluie sur le toit de la salle seraient résolus. Il pleut en effet souvent lors des inaugurations du festival de Verbier. Les spectateurs qui ont entendu, mêlée à la musique de Strauss, le son brutal d’une pluie déchaînée à la fin de l’opéra, ont pris donc leur mal en patience, mais les éléments saluaient sans doute une Salomé d’une vraie puissance et d’une grande qualité. Verbier c’est cela, une ambiance sympathique et bon enfant, de la musique partout, des jeunes (plus sur la scène que dans le public hélas), et de l’enthousiasme à revendre, avec une exigence de chaque instant sur la qualité des concerts. Il en résulte de très grands moments. Cette Salomé en fut un.
La distribution composée avec soin – notable aussi par les « petits » rôles, tous bien choisis, comme le premier juif de Rouwen Huther ou le premier nazaréen de Pawel Konik – et dominée naturellement par Gun-Brit Barkmin, une Salomé à la voix très bien posée et projetée, aux aigus sûrs et charnus, une voix dramatique qui se joue des difficultés, notamment à la fin où elle a dû combattre contre la pluie battante qui étouffait la musique. Sa voix affirmée ne rend peut-être pas assez la fragilité adolescente de la jeune fille, car c’est une voix de femme qui est donnée à entendre, une voix déjà mûre, sans doute parfaite pour la scène finale, un peu moins pour le début. Mais il faut noter aussi en dépit de la « version de concert », la volonté de rendre le personnage vivant, de colorer le discours et aussi la volonté de faire exister, par certains gestes et mouvements, le corps, cet élément si important de l’opéra de Strauss. Magnifique performance.
À ses côtés, le couple royal, dérisoire et terrible, l’Herodias de Jane Henschel, un peu timide au début, mais s’imposant très vite avec des aigus coupants, lancés ou criés, et une science du dire éblouissante qui fait du personnage un de ces monstres dont l’opéra affectionne. Jane Henschel n’a pas son pareil pour imposer en scène un caractère ou une figure, et elle réussit ce prodige dans une version de concert d’exister non seulement par le chant et le discours, mais aussi comme personnage, avec une économie de gestes et un chant habité, elle incarne Herodias, qui s’impose à nous y compris dans son jeu. Prodigieux.
De même Gerhard Siegel, dont on connaît les qualités comme ténor de caractère (il fut un excellent Loge à Aix, par exemple), s’impose comme Hérode, à la fois veule et pervers, au chant littéralement sculpté, incroyablement expressif, jouant des inflexions, susurrant avec un style inimitable. Une prestation qui est une leçon de chant et d’interprétation.
Le Jochanaan de Egils Silins a le style, mais l’expression reste un peu en retrait. La voix ne s’impose pas immédiatement, et n’a pas les harmoniques ni le volume qui donnent à Jochanaan comme une voix d’outre-tombe. La prestation est honorable sans nul doute, mais reste un peu plus pâle et rend moins compte du personnage. C’est un peu dommage.
Le Narraboth d’Andrew Staples est stylistiquement lui aussi très au point, mais du point de vue de l’expression n’arrive pas à rendre du personnage sa désespérance, c’est comme souvent chez ce chanteur, très juste et très appliqué, mais moins incarné : un Narraboth a peu de temps pour s’imposer, mais, en tant que première victime de Salomé, il doit être très présent, déchirant, lacérant ; ce n’est pas tout à fait le cas ici. Joli page en revanche de Idunnu Münch.
L’ensemble de la distribution a fait de toute manière honneur et à l’œuvre et au Festival, d’un incontestable niveau.
Ils étaient soutenus par un orchestre particulièrement engagé, sans scorie aucune, dirigé avec attention est précision par Charles Dutoit (presque) régional de l’étape (il est lausannois), un Charles Dutoit très attentif à rendre les couleurs de cette musique, jouant avec délices de la palette instrumentale (très beaux pupitres des bois, très beaux cuivres aussi), valorisant aussi les moirures des cordes. Son interprétation est clairement plus orientée vers le post-romantisme que vers les innovations de la seconde école de Vienne, c’est une musique très chatoyante, qu’il nous faut entendre, en ce sens, il tire vers le décadentisme – c’est aussi un des caractères de l’écriture de Wilde -, et vers une sorte de complaisance délicieuse à faire émerger les volutes orientalisantes de cette musique. Pour certains, cela peut sembler une vision plus « traditionnelle », mais le rendu n’en reste pas moins d’une grande séduction et met en valeur de manière sensible le merveilleux travail de l’orchestre, qui a déployé un sympathique calicot "Merci Charles" au moment des saluts. C’est Valéry Gergiev qui devrait lui succéder l’an prochain.
Une ouverture de Festival très relevée, ce qui sur ces hauteurs magiques du Valais, ne saurait être plus juste.