Grand Théâtre de Genève
Saison 2021–2022

Prokofiev, Guerre et paix
Monteverdi, L'Incoronazione di Poppea
Donizetti, Anna Bolena
Bizet, Les pécheurs de perles
Eötvos, Le Dragon d'or (à la Comédie de Genève)
Strauss, Elektra
Lully, Atys
Eötvos, Sleepless
Janáček, Jenůfa
Puccini, Turandot
 

La saison 2021–2022 du Grand Théâtre de Genève


C’est déjà la troisième saison d’Aviel Cahn à Genève, mais on souhaite ardemment que ce soit la première complète, sans fermeture covidienne, car pour l’instant ce sont deux saisons tronquées que les genevois ont subies, avec quelques streamings, qui ne peuvent remplacer la présence en salle.
Aviel Cahn est à la fois très attentif à la nouveauté, mais aussi très soucieux de laisser son public s’habituer à un nouveau style, un nouveau répertoire. Bousculer un peu, rassurer un peu, explorer un peu : de tout un peu, mais au total une offre originale et tout de même singulière dans le paysage lyrique européen que le mensuel
Opernwelt a bien ciblé en conférant au GTG le titre envié d’Opernhaus des Jahres. Provocateur dans le motto de la saison « Faites l’amour… », on peut dire qu’à l’instar de Tartuffe (mais loin d’en faire son modèle, bien entendu) on pourrait dire : « De l’amour sans scandale et du plaisir sans peur ».
 


Neuf opéras dans l’année (à peu près un par mois) et une offre à la palette très large, Puccini et Donizetti pour les amateurs de chant italien, Strauss pour les amoureux du répertoire allemand, Bizet parce qu’il faut un opéra français et on ne choisit pas, on le verra, le plus populaire, Janáček parce qu’il s’est imposé dans toutes les salles du monde, Monteverdi et Lully pour le baroque, Prokofiev pour l’étonnement, et Peter Eötvös qui sera la première création en trois ans, Covid oblige.
Les titres, on le verra, sont pour la plupart soit nouveaux, soit rares à Genève, ce qui devrait stimuler la curiosité et attirer le public, et surtout, leur niveau musical est incontestable au niveau du chant, et des chefs.
Il est toujours difficile de composer une saison dans le système stagione (dans un système de type zurichois ou munichois, on est beaucoup plus libre), car si le répertoire possible est immense, le nombre de titres est limité et il faut jouer savamment entre des œuvres populaires, d’autres plus exigeantes, mais aussi sur la diversité des répertoires en gardant un niveau d’exigence musicale à peu près constant. C’est la quadrature du cercle lorsqu’en plus, il faut glisser çà et là les titres supprimés ou reportés pour cause de Covid, mais aussi ceux qui ont bénéficié de streaming mais pas de spectateurs. Or un système stagione détermine un nombre de personnels plus limité qu’en système de répertoire, qui interdit une augmentation forte de l’offre.
À ce jeu, l’offre genevoise est plutôt séduisante, tout en restant équilibrée, et en essayant de tenir compte d’un public pas trop disponible pour les aventures qu’il faut ramener au théâtre avant d’en élargir l’assise.
Titre par titre, que faut-il en penser ?
Septembre 2021
Serguei Prokofiev, Guerre et Paix
(MeS : Calixto Bieito/Dir : Aléjo Pérez)
Avec Dmitry Ulyanov, Ruzan Mantashyan, Daniel Johansson etc…
Orchestre de la Suisse Romande
C’est une ouverture de saison grandiose et un risque, si le virus fait des siennes en septembre, mais Guerre et Paix, jamais présenté à Genève, est vraiment une production de celles qui mobilisent toutes les forces d’un théâtre, soixante-dix rôles, un chœur énorme, un récit qui se déplace dans des lieux aussi différents que des salons impériaux, un champ de bataille, des villes, des maisons privées, qui va de l’intime à l’épique.
L’intrigue reprend l’histoire de Guerre et paix de Tolstoï, en s’arrêtant sur l’histoire centrale de Pierre Bezoukhov, d’Andrey Bolkonsky et de Natacha Rostova sur fond de guerres entre Napoléon et le Tsar (et surtout du général Koutouzov)
L’œuvre a été créée en 1946 et composée en 1942, au moment où la Russie entrée en guerre devait repousser les allemands : elle a donc aussi une forte connotation patriotique au moment où Staline jette tout le pays dans la bataille.
Pour mettre en scène cette immense fresque, Aviel Cahn appelle Calixto Bieito, pour la première fois à Genève (alors qu’il est l’un des metteurs en scènes les plus réclamés en Europe depuis plus de vingt ans), qui s’interroge toujours sur la violence entre les hommes et celle que le pouvoir exerce sur l’humanité.
Dans la fosse, l’argentin Alejo Pérez, un des très bons chefs actuels, son répertoire très diversifié se concentre souvent sur la fin du XIXe et le XXe siècle.
Il va accompagner un cycle russe bienvenu qui s’ouvre ainsi à Genève. Ne manquer cette production sous aucun prétexte.
(6 repr.13–24 sept)
Septembre-Octobre 2021
Claudio Monteverdi, L’incoronazione di Poppea
(MeS et Dir : Ivan Fischer)
(2 représentaions 30/09–1/10)
Avec Jeanine de Bique et Valer Sabadus etc…
Budapest Festival Orchestra
Après L’Orfeo, c’est au tour du Couronnement de Poppée, présenté d’abord au Festival de Vicenza dans le cadre somptueux du Teatro Olimpico, puis notamment à Genève. Un des meilleurs chefs européens, un des meilleurs orchestres et une distribution dominée par de jeunes chanteurs exceptionnels, Jeanine de Bique, que les genevois ont déjà vue (dans le rôle d’Annio) dans La Clemenza di Tito de Currentzis à l’Opéra des Nations en 2017 et Valer Sabadus, l’un des contreténors les plus doués aujourd’hui qu’ils ont vu en 2017 également dans Il Giasone de Cavalli.
Malheureusement Ivan Fischer se mêle aussi de mise en scène et c’est beaucoup moins intéressant que sa musique… Espérons simplement que ce sera moins ridicule, voire catastrophique que L’Orfeo.
Octobre-Novembre 2021
Donizetti, Anna Bolena
(MeS : Mariame Clément/Dir : Stefano Montanari)
Avec Elsa Dreisig, Stéphanie d’Oustrac, Alex Esposito ; Edgardo Rocha
( 7 repr. du 22/10 au 11/11)
Là aussi, début d’un cycle qui verra les « trois reines » de Donizetti, Anna Bolena, Maria Stuarda, et l’Elisabeth 1ère de Roberto Devereux avec sans doute les mêmes participants sur scène et dans la fosse.. L’œuvre, qui met en scène Anne Boleyn et Jeanne Seymour qui lui succèdera fait s’opposer le soprano et le mezzo : ce sera Elsa Dreisig, qui devient l’un des sopranos les plus en vue de la jeune génération, et Stéphanie d’Oustrac, mezzo exceptionnel au répertoire qui s’élargit sans cesse, du baroque à Carmen. Face à elles, le remarquable Alex Esposito, la basse exceptionnelle dans Rossini comme le bel canto.et le ténor Edgardo Rocha, l’un des chanteurs excellents du moment.
En fosse, Stefano Montanari, l’un des chefs les plus doués de la si riche génération actuelle de chefs italiens, découvert par Serge Dorny à Lyon qui lui a confié de nombreuses productions. Montanari, qui est d’abord un violoniste spécialiste du baroque, est aujourd’hui non seulement remarquable dans son répertoire de prédilection, mais aussi dans Rossini et le bel canto. Vous ne regretterez pas de l’entendre.
On peut nourrir des doutes sur la future mise en scène de Mariame Clément, qui est une metteuse en scène prolifique (et notamment dans les théâtres qui n’aiment pas trop les mises en scènes) et qui affiche une modernité de bon aloi mais pas dérangeante et sans grand intérêt. Un choix un peu facile et sans risque. Wait and See, mais pour Montanari et le cast, c’est tout vu.
( 7 repr. du 22/10 au 11/11)
Décembre 2021
Bizet, Les pêcheurs de perles
(MeS : Lotte de Beer /Dir : David Reiland)
Avec Kristina Mkhitaryan, Frédéric Antoun, Audun Iversen, Michael Mofidian
Orchestre de la Suisse romande
Prod. Theater an der Wien
Œuvre typique que la Cancel Culture voudrait rayer des cadres, qui présente un orientalisme de pacotille vu et revu par le XIXe : cette fois-ci, c’est Ceylan qui est l’objet du désir occidental.
C’est le deuxième opéra le plus populaire de Bizet, après Carmen et on le représente assez rarement, intrigue mince : deux amis rivaux Nadir et Zurga pour le cœur de la belle Leila, prêtresse qui a faut vœu de chasteté et étroitement surveillée par le méchant prêtre Nourabad qui la surprend avec Nadir. Ils sont dénoncés, mais Zurga finira par les sauver. La néerlandaise Lotte de Beer, l’une des metteuses en scènes les plus intéressantes de la scène d’aujourd’hui avait signé en 2014 pour le Theater an der Wien une production distanciée, sarcastique, pleine d’humour qui cassait le romantisme et l’Orient de pacotille pour en faire la super-pacotille d’une émission TV. Cette production très connue est bienvenue à Genève, surtout pour les fêtes, avec une bonne distribution (notons le Nadir de Frédéric Antoun) et un chef belge particulièrement intéressant, David Reiland.
(8 repr. du 10 au 26/12).
Janvier 2022
Peter Eötvös, Le Dragon d’Or
(MeS : Julien Chavaz/Dir : Gabriella Teychenné)
Dans une saison qui présente une création importante du très grand compositeur Peter Eötvös (né en 1944), une autre création suisse, celle de cette pièce de théâtre musical sur un livret de Roland Schimmelpfennig d’après sa pièce éponyme, créée en 2014 à l’Opéra de Francfort. La vie d’un immeuble, et de ses habitants, dont un take away asiatique « Le Dragon d’Or », une méditation sur la condition humaine. C’est le jeune metteur en scène suisse Julien Chavaz, directeur du Nouvel opéra de Fribourg, que nous avons interviewé en juin dernier lors de son passage au théâtre de l’Athénée à Paris (voir ci-dessous « et pour compléter la lecture »), qui signe le spectacle. Comme c’est une des personnalités les plus attachantes et stimulantes du théâtre en Suisse (il devient directeur du théâtre de Magdebourg en septembre prochain), il faut résolument voir ce spectacle. Encore une stimulation à la curiosité que ce spectacle auquel s'associe le Grand Théâtre.
A la Comédie de Genève du 20 au 23 janvier 2022 (4 représentations)
Coproduction NOF-Nouvel Opéra de Fribourg Comédie de Genève, Ensemble Contrechamps, tarif spécial pour les abonnés du Grand Théâtre
Janvier-Février 2022
Strauss®, Elektra
(MeS : Ulrich Rasche/Dir : Jonathan Nott)
Avec Ingela Brimberg, Tanja Ariane Baumgartner, Sara Jakubiak
Orchestre de la Suisse romande
Elektra de Strauss n’est pas l’œuvre la moins représentée au Grand Théâtre, on en a vu des légendaires… D’autres grands titres straussiens ont eu moins de chance, comme Die Frau ohne Schatten par exemple… Il serait peut-être temps d’offrir à Genève cet autre Hofmannsthal, si merveilleux.
Mais l’occasion est double, d’abord d’entendre en fosse Jonathan Nott à la tête de son orchestre, ce n’est pas si fréquent. La distribution, sans être exceptionnelle, est très solide. Les genevois connaissent Ingela Brimberg s’ils ont assisté au Fliegende Holländer du BFM produit lors du « Festival Wagner » organisé en 2013 par Jean-Marie Blanchard (qui n’était plus Directeur du GTG), c’était une Senta puissante et vibrante, dans une salle aux dimensions cependant réduites. On va la voir deux fois cette saison, dans Elektra et dans Turandot, c’est dire la nature de la voix, de ces voix suédoises qui ont offert au monde lyrique des Nilsson, des Stemme, des Theorin. A ses côtés une Clytemnestre fascinante, qui marche dans les traces de Waltraud Meier, Tanja Ariane Baumgartner, une actrice-chanteuse fabuleuse qu’on a vue à Salzbourg dans l’Elektra de Warlikowski en 2020 et 2021. Et une Chrysothemis à mon avis moins fascinante, Sara Jakubiak, une chanteuse très correcte qui n’a jamais réussi ni à m’impressionner ni surtout à m’émouvoir. À noter aussi l’Orest de Karoly Szemeredy qui fut le magnifique Barbe-Bleue de la production lyonnaise du Château de Barbe-Bleue cette année dans la production d’Andriy Zholdak, un metteur en scène bien connu d’Aviel Cahn.
Le tout avec un metteur en scène nouveau venu dans l’univers lyrique, l’allemand Ulrich Rasche spécialiste de machines scénographiques impressionnantes et fascinantes qui ne manqueront pas de frapper le public : la machine tragique qui emprisonne les personnages dans ses engrenages en quelque sorte.
(6 repr. du 25/01 au 6/02)
Février-Mars 2022
Lully, Atys
(MeS-Chorégr : Angelin Preljocaj/Dir : Leonardo Garcia Alarcon)
Avec Matthew Newlin, Ana Quintana, Andreas Wolf, Valerio Contaldo etc…
Cappella Mediterranea
Encore une première en Suisse, et une nouvelle production qui devrait faire courir tous les baroqueux d’Europe : Atys est en effet une œuvre légendaire dans l’histoire récente des productions d’opéra parce qu’elle marque le début de la folie baroque de la fin du XXe en France. Certes le début des années 1980 avait vu des productions de Pier Luigi Pizzi (Orlando furioso de Vivaldi par exemple) toucher à ce répertoire, mais Atys de Lully dans la mise en scène de Jean-Marie Villégier, spécialiste de la période baroque et du théâtre français du XVIIe (par exemple Tristan L’Hermite) et William Christie allaient créer une manière de miracle en 1986. La production va tourner et rester dans les mémoires, la dernière reprise remonte à 2011 à l’Opéra-Comique à Paris.
Personne n’a osé remonter l’œuvre, comme pétrifiée dans le couple Villégier/Christie et Aviel Cahn avec Atys refait l’opération Einstein on the Beach, pour laquelle il avait cassé le mythe Bob Wilson.
Il ose donc une nouvelle production d’Atys, le premier « opéra » français la première tragédie lyrique adorée de Louis XIV qui en chantait des airs. Et il prend à revers la tradition. Au contraire d’autres œuvres de Lully, Atys n’est pas un opéra-ballet, mais une vraie tragédie lyrique. Il confie pourtant la mise en scène à Angelin Preljocaj, le chorégraphe mondialement connu qui à l’instar de Sidi Larbi Cherkaoui se confrontera à l’opéra. Expérience singulière qui ne manquera pas d’intérêt, même si depuis Béjart ce n’est pas le premier des chorégraphes à qui l’on confie un opéra et même si ce n'est pas toujours réussi.
Il fallait un travail radicalement différent de la production référentielle Christie/Villégier qui sera aussi visuellement original, puisque confié à la plasticienne Prune Nourry.
Et c’est le genevois d’adoption Leonardo Garcia Alarco qui l’accompagnera, avec sa Cappella Mediterranea en fosse, ainsi qu’une distribution particulièrement adaptée, le rôle d’Atys étant confié à l’excellent ténor Matthew Newlin. Les astres convergent pour faire de ce spectacle un grand moment de l’année lyrique genevoise.
(6 repr du 27/02 au 10/03)
Mars-Avril 2022
Peter Eötvös, Sleepless
(MeS : Kornél Mundruczó /Dir : Peter Eötvös/Maxime Pascal)
Avec Valeria Randem, Linard Vrielink, Hanna Schwarz, Roman Trekel, Tómas Tómasson etc…
Orchestre de la Suisse Romande
Création en Suisse de l’Opéra de Peter Eötvos dont la création mondiale aura lieu à Berlin, Staatsoper unter den Linden, en novembre 2021 sur un livret de Mari Mezei d’après Jon Fosse. Une histoire de couple entre vie et mort, dans les atmosphères grises et froides de Jon Fosse, le grand auteur norvégien. La mise en scène est signée Kornél Mundruczó, le grand cinéaste hongrois à qui l’on doit la production de L’Affaire Makropoulos de Janáček de la saison 2020/21 qui a miraculeusement été vue avec du public avant le confinement. Peter Eötvos lui-même dirigera les trois premières, et l’excellent Maxime Pascal (un des rares chefs français dignes d’intérêt) les deux dernières et ce sera l’occasion à Genève d’une série de manifestations en l’honneur d’Eötvös, l’un des plus grands compositeurs vivants avec György Kurtág, hongrois lui-aussi.
L’opération étant co-commissionnée par la Staatsoper de Berlin, la distribution est largement composée de membres de la troupe de Berlin, le héros Asie est chanté par le jeune ténor Linard Vrielink, particulièrement intéressant, vu à Berlin en 2019 dans Die lustigen Weiber von Windsor et à l’autre bout du spectre des âges, on aura la chance de voir en scène la mythique Fricka de Patrice Chéreau à Bayreuth, Hanna Schwarz.
L’œuvre de Jon Fosse n’est pas spécialement joyeuse, c’est une œuvre où les ambiances comptent énormément, les silences, les méandres de la psychè, un univers poétique, complexe, sensible … une opération de très haut niveau. Là aussi, une vraie convergence des astres.
(5 repr. du 29/03 au 05/04)
 
Mai
Leoš Janá
ček, Jenůfa (MeS : Tatjana Gürbaca /Dir : Tomáš Hanus)
Avec Corinne Winters, Evelyn Herlitzius, Misha Didyk
Orchestre de la Suisse Romande
Il est étonnant de constater comment en quarante ans Janáček est devenu inévitable sur les scènes lyriques, lui dont on ne jouait avant 1980 que Jenůfa, justement, son œuvre la plus célèbre et pourtant moins représentée ces dernières années (20 ans depuis la dernière production genevoise). Une histoire de trois générations de femmes, dont la plus importante n’est peut-être pas Jenůfa, mais sans doute la Kostelnička chantée ici par l’immense Evelyn Herlitzius. Trois générations, trois visions morales, trois âmes contraintes par les non-dits, les histoires de famille dans un univers rude. Au milieu de ces femmes, le ténor Misha Didyk, excellent lui-aussi dans le rôle de Laca le bâtard. Excellente distribution où l’on relève les noms de Ladislas Elgr, Michael Kraus et Renée Morloc, tandis que Jenůfa sera chantée par Corinne Winters, soprano lyrique américain à qui Aviel Cahn a fait appel en Flandres.
La mise en scène est confiée à Tatiana Gürbaca, qui travaille beaucoup à Zurich et en Allemagne, et dont le travail n’arrive jamais à me convaincre qui me laisse toujours des doutes. Espérons cette fois-ci qu’il en ira autrement. Et la direction sera assumée par Tomáš Hanus, l’un des chefs particulièrement inspirés dans ce répertoire. Excellence musicale au rendez-vous.
(6 repr. du 3/05 au 13/05)
Juin-Juillet
Giacomo Puccini, Turandot
(MeS : Daniel Kramer-teamLab/ Dir : Antonino Fogliani) avec final Berio
Avec Ingela Brimberg, Teodor Ilincai, Olga Busuioc
Pour finir la saison par une note spectaculaire, voilà reprogrammée la production de Turandot annulée en début de saison 2020/21.
Turandot est un opéra à grand spectacle, et ce sera le cas avec Daniel Kramer et teamLab : on en aura plein les mirettes d’effets spéciaux futuristes. Aviel Cahn sait alterner les ambiances et après avoir plongé son public dans les brumes de Jon Fosse ou les espaces désolés de Gabriela Preissova, base du livret de Jenufa, il les plonge dans un univers virtuel stupéfiant et tourbillonnant.
Trio de protagonistes intéressants : pour la deuxième fois de la saison il appelle Ingela Brimberg, la chanteuse suédoise comme bien des sopranos dramatiques de sa génération (Stemme, Theorin…) en Turandot, Liù sera la jeune moldave Olga Busuioc, qui a étudié avec Mirella Freni dont elle chante bien des rôles, et Calaf sera Teodor Ilincai, jeune ténor roumain qui ne m’avait pas du tout, mais pas du tout convaincu dans ce rôle il y a quelques années à Dresde…
Enfin on retrouve avec plaisir en fosse Antonino Fogliani, l’un des excellents chefs italiens d’aujourd’hui qui dirigera pour la première fois en Suisse le final composé par Luciano Berio (pas trop stimulant à mon avis) créé en 2002 à la Scala par Riccardo Chailly. Il y aura donc deux chefs italiens de pointe à Genève cette année. Une fin de saison en feu d’artifice
(7 repr. du 20/06 au 03/07)
A cette série très solide il faut ajouter une série de récitals très bienvenus dans leur régularité et dans le choix des voix. C’est aussi un moyen d’aborder l’opéra autrement, et l’univers du récital est essentiel pour comprendre la fascination pour les voix. Et Aviel Cahn a organisé une série de six très beaux rendez-vous (un tous les deux mois):
 
Récitals
26 septembre 2021, Stéphane Degout, baryton
19 novembre 2021, Ian Bostridge, ténor
31 décembre 2021, Patricia Petibon, soprano (Concert du Nouvel An)
10 février 2022, Pretty Yende, soprano
9 avril 2022, Anita Rashvelishvili, mezzo-soprano
6 juin 2022, Asmik Grigorian, soprano
Il faut saluer le choix des artistes, tous dans les plus hautes sphères de l’art lyrique, avec des figures presque mythiques comme Ian Bostridge, aussi réputé pour ses rôles à l’opéra que pour ses récitals. L’art du récital est un défi en soi, car c’est la personnalité vocale doit en plus dessiner un univers, faire rêver, tremplin pour l’imaginaire du spectateur et à ce jeu Ian Bostridge est un maître. Stéphane Degout avec son art du dire, sa manière extraordinaire de sculpter les mots et son timbre chaud est aussi un chanteur de mélodies de niveau exceptionnel. Patricia Petibon animera la soirée du 31 décembre, avec son sens de l’humour et sa personnalité séduisante. Moins habituée au genre, Pretty Yende s’y lance très jeune encore, avec sa voix délicieuse et fraiche, tandis que les déjà star Anita Rashvelishvili, l’un des plus grands mezzos actuels, et le soprano Asmik Grigorian, qui vient de faire crouler Bayreuth dans Der Fliegende Holländer et Salzbourg dans la Chrysothemis d’Elektra concluront ce cycle bienvenu auquel il faut que le public, aujourd’hui souvent assez rétif au récital, adhère, car c’est là où l’on peut toucher au plus près l’art du chant.
Enfin la saison est accompagnée d’une série d’initiatives parallèles bienvenues, La Plage, les ateliers etc… destinées à toucher un autre public, aller vers la cité. Il faudra faire aussi le bilan de ces initiatives au bout de quelques années. Beaucoup d’opéras d’Europe ont une programmation de ce genre, dont on ne connaît jamais l’effet, sinon l’effet d’annonce qui fait plaisir au politicien…
En conclusion, on aura compris que la saison est particulièrement solide, et habilement distribuée entre les œuvres plus exigeantes (Sleepless, Jenůfa et L’incoronazione di Poppea d’un certain point de vue), plus spectaculaires (Guerre et Paix, Turandot et Atys d’un certain point de vue), plus populaires (Les Pécheurs de perles, Anna Bolena) et l’inévitable Elektra qui connaîtra sans doute un afflux de public. On a noté l’absence de Verdi et Wagner, mais faut-il forcément Wagner et Verdi pour faire une saison ? On voit bien que non quand on voit l’offre genevoise cette année.
On peut discuter de certains choix de chanteurs, de metteurs en scène, mais pas des choix musicaux, très pensés. De plus, les titres ne grattent pas le public dans le sens du poil : ce n’est pas une saison « populiste » en ce sens, mais une saison à la fois séduisante et complexe qui donne sa chance à des œuvres qui contribuent à construire la compétence du public. Un public qui saisira la balle au bond et qui aura l’intelligence et la curiosité de se précipiter au Grand-Théâtre.

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

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