Margherita d’Anjou – sur un livret de Felice Romani inspiré de l’œuvre homonyme de Guilbert de Pixérécourt – est le quatrième opéra italien de Meyerbeer qui à partir de 1816 a séjourné longtemps en Italie. C’est en Italie que le compositeur berlinois a connu une célébrité croissante qui l’amènera en 1831 à se fixer à Paris, couronnant sa chance historique en tandem avec le librettiste Eugène Scribe.
Margherita d’Anjou débuta à la Scala en novembre 1820, et eut un grand succès, y compris au niveau international, comme en témoignent une quantité de reprises les vingt années suivantes, avec des adaptations en français et en allemand. L’intrigue se passe dans le cadre historique de la Guerre des Deux Roses (1455–1485), qui opposa en Angleterre les familles des Lancastre et des York, chacune prétendant au trône. Dans ce conflit, Marguerite d’Anjou est une des principales protagonistes, puisque c’est l’épouse d’Henry VI, roi d’Angleterre sujet à des crises de folie périodiques ces années-là. Le livret de Felice Romani introduit quelque modification dans la biographie de Marguerite, même si les ingrédients de base subsistent, c’est à dire les luttes pour le pouvoir, les sentiments, l’amour maternel.
Quant à l’écriture musicale, les deux actes de l’opéra apparaissent plutôt différents. Le premier acte est marqué par l’ambiance militaire, avec intervention de fanfares et de cors en coulisses, dans une atmosphère pleine de fierté et d’émotion. Le second voit se déployer une intrigue sentimentale culminant dans l’amour retrouvé d’Isaura et Lavarenne. Bien travaillée sur la plan formel, la partition montre une orchestration colorée e savante, offre une succession d’airs bien écrits qui souvent présentent des moments virtuoses, voire impossibles. Passages martiaux, agilités, vivacité mélodique dénotent dans l’ensemble, chez ce Meyerbeer jeune, des influences décisives de Rossini, ce qui ne peut étonner, étant donné l’espace hégémonique que Rossini avait pris ces années-là dans le monde lyrique.
Aux prises avec l’exploration de cette partition bien construite, Fabio Luisi en a mis en lumière avec précision tous les détails, en valorisant les nombreuses finesses et le génie dramatique de Meyerbeer. Même s’il n’a pas semblé toujours concentré, plus d’une fois scène et fosse n’allaient pas parfaitement ensemble, Fabio Luisi, grâce à son intelligence musicale et sa sûreté, a su déployer les qualités expressives, les couleurs et la valeur dramatique de la partition. Il a tenu avec énergie et souplesse les rênes d’un spectacle assez exigeant, grâce aussi à la belle prestation de l’Orchestra Internazionale d’Italia et du chœur du théâtre municipal de Piacenza préparé par Corrado Casti.
La distribution dans les rôles principaux a tenu ses promesses. Dans le rôle-titre, Giulia de Blasi a donné une dimension scénique et vocale positive à son personnage, avec une belle couleur, et une émission appropriée, avec encore quelques marges de progrès dans les agilités. Très bonne la mezzosoprano Gaia Petrone, Isaura à l’admirable ligne de chant, au style élégant, capable aussi bien de douceur expressive, que de moments virtuoses d’une grande sûreté. Le ténor russe Anton Rositskiy a résolu de manière flatteuse les pièges du Duc de Lavarenne, un rôle particulièrement difficile par l’épaisseur du personnage et de sa vocalité, avec ses aigus stratosphériques, presque toujours correctement passés. La basse Marco Filppo Romano, dans le rôle bouffe singulier de Michele Gamautte, a été impeccable, avec des accents toujours justes, et une palette de ressources vocales qui lui ont assuré un triomphal succès. Un peu en retrait les autres basses, Bastian Thomas Kohl (Le Duc de Gloucester) et Laurence Meikle comme Carlo Belmonte.
La mise en scène conçue par Alessandro Talevi a été un facteur marquant de la production : partant de l’idée que l’opéra semiseria est difficile à comprendre pour le public d’aujourd’hui, Talevi a transposé l’intrigue dans le cadre de la London Fashion Week. Très beaux costumes, évidemment. Une réinterprétation radicale du livret qui a transformé les personnages, chacun avec sa fonction, en figures du monde de la mode. Du coup, un flot de scènes parallèles qui accompagnent les développement s du drame. Et ici, les éléments de la Fattoria Vittadini ((Compagnie de danse contemporaine milanaise, NdT)) ont parfaitement joué leur rôle d’accompagnement. Disons d’emblée que le projet a le mérite de l’audace, e qu’il est amusant. Mais cela ne fonctionne pas toujours. Dans le bouleversement radical, pour commencer sont passés à la trappe certains éléments martiaux, même musicaux, du premier acte ; et aussi la manière de gérer Isaura et Lavarenne, par exemple, est apparue quelquefois ne pas être en phase de la situation musicale. En conclusion, sans stigmatiser le courage de la proposition de Talevi, il faut vraiment rejeter l’horreur du vide et le souci constant et exagéré d’exhiber trouvailles et inventions. Applaudissements vigoureux et prolongés à la fin, et désaccords tenaces et sonores pour le metteur en scène et son staff.