Richard Wagner (1813–1883)
Lohengrin (1850)
Romantische Oper in drei Akten

Direction musicale : Christian Thielemann,
Mise en scène : Yuval Sharon,
Décors et costumes : Neo Rauch & Rosa Loy
Lumières : Reinhard Traub
König Heinrich der Vogler : Georg Zeppenfeld,
Lohengrin : Piotr Beczala,
Elsa von Brabant : Anja Harteros,
Friedrich von Telramund : Tomasz Konieczny
Ortrud : Waltraud Meier,
Heerufer : Egils Silins
1.Edler : Michael Gniffke
2.Edler : Tansel Akzeybek
3.Edler : Kay Stiefermann
4.Edler : Timo Riihonen
Chœur du Festival de Bayreuth
Chef de Choeur : Eberhard Friedrich
Orchestre du Festival de Bayreuth

 

 

Bayreuther Festspiele, 25 Juillet 2018

Si vous aimez les carreaux de Delft et les lignes à haute tension, cette nouvelle production de Lohengrin est pour vous. Étrange spectacle issu de la rencontre entre des décors construits pour Alvis Hermanis et une mise en scène signée Yuval Sharon. Le metteur en scène américain a accepté de reprendre les rênes de la production suite aux déclarations politiques hasardeuses de son collègue letton. La charge écrasante de ces décors s'accorde assez mal avec la finesse de la direction d'acteurs, comme si les deux entités dialoguaient dos à dos pour un résultat somme toute très mitigé.

 

Dispositif (Acte III)

Les décors et les costumes de Neo Rauch et son épouse Rosa Loy revendiquent un obsédant camaïeu bleu-blanc pour illustrer la société du royaume de Brabant. Par ce jeu de couleurs assez simple, la scénographie souligne les rapports entre les personnages, notamment la couleur orangée qui identifie l'amour de Lohengrin et Elsa ou bien l'incongrue couleur verte du non moins incongru personnage qui vient hériter du trône du Brabant à la toute fin de l'ouvrage. Dès le lever du rideau, on devine que ce royaume est aux prises avec une problématique très contemporaine de notre époque : fournir au bon peuple l'énergie (électrique) qui assure ses besoins. Pas de nucléaire, d'éolien ou de panneaux solaires… juste un transformateur électrique au beau milieu de la scène. Comme pour signifier qu'il y a quelque chose de pourri dans ce royaume, on montre sur le sol un isolateur tombé de son caténaire. Le roi Henri l'Oiseleur médite sur l'avenir de son peuple, assis sur ce triste symbole. Cette panne joue un rôle sur cette étrange petite société en larges cols blancs et vêtements bleus cobalt qui semble tout droit sortie d'un tableau de Rembrandt. En y regardant de plus près, elle se divise deux castes : d'un côté le peuple et de l'autre, une noblesse dont la catégorie sociale est soulignée par les longs élytres d'insecte qui pendent dans le dos. Ailes de papillon pour la douce Elsa, ailes griffues pour la perfide Ortrud. Perdre une aile, c'est perdre l'honneur, en perdre une deuxième, c'est la mort assurée, comme en témoigne le triste sort subi par Telramund.

Arrivée de Lohengrin

Quant à Lohengrin, son arrivée sur scène ressemble à celle d'un opérateur appelé pour remettre en route le générateur d'électricité. La mise est celle d'un ouvrier qualifié des années trente, avec veston et gants bleus. Il tient à la main un très didactique éclair, tandis que son adversaire l'affronte avec une épée à la longue lame ondulée. L'immense cadran lumineux du générateur affiche ces deux symboles, comme une lutte entre deux sociétés, entre deux mondes. Yuval Sharon joue ouvertement la carte du féérique pour le combat de Telramund et Lohengrin, tous deux suspendus à des filins, croisant le fer et l'éclair dans un ciel bistré. À l'ultra modernité d'un cygne blanc stylisé à la manière d'un vaisseau spatial répond la brutalité primitive de ces fagots qu'on dépose aux pieds d'Elsa (puis d'Ortrud à la toute fin) pour évoquer les bûchers sur lesquels la société médiévale faisait brûler les sorcières. Cette production de Lohengrin raconte comment l'irruption d'événements produisent un dérangement de l'ordre social.

Acte III : chambre nuptiale. Pitor Beczala (Lohengrin) Anja Harteros (Elsa)

Si Lohengrin gagne ses ailes à l'issue du combat, elles sont lourdes à porter et il s'en débarrasse en les accrochant à une patère dans la chambre nuptiale comme un accessoire encombrant. Celles de Telramund finiront épinglées sur un arbre comme celles d'un insecte dans la collection d'un entomologiste. Autre élément accréditant une lecture sociale, l'attitude du chœur durant l'air d'adieu de Lohengrin alterne entre désespoir et soumission. Les lampions en formes de lucioles s'éteignent au fil du récit, tandis que les bras se tendent désespérément vers ceux qui restent allumés. Attirés par un sauveur comme des insectes par la lumière, ils chantent leur tristesse de le voir repartir vers les cieux.

Tomasz Koniczny (Telramund)

Se superpose également à cette lecture une vision du couple et du sentiment amoureux qui passe par le symbole du lien et de l'aliénation comme par exemple dans la belle scène qui ouvre le second acte – sans doute le plus beau moment de ce Lohengrin, avec des allusions au final dans le jardin des Noces de Strehler avec ses bosquets mobiles. Au cas où le public aurait oublié l'emprise psychologique qu'elle exerçait sur lui, la mise en scène montre Ortrud ligotant lentement son Telramund aux faux airs de Pagliacci avec sa fraise défraîchie. Dans la chambre nuptiale, c'est Lohengrin qui attache de la même manière la pauvre Elsa à un isolateur haute tension, après qu'ils aient parcouru ensemble un passage de la Bible (ou d'un mode d'emploi du couple modèle ?). On perd avec ce double geste la signification profonde en ce qui concerne Lohengrin. Oserait-on parler pour lui d'une tentative d'aliénation et de soumission ? Elsa et Telramund seraient-ils les victimes consentantes d'un bon (Lohengrin) et d'un mauvais génie (Ortrud) ? On se bornera à constater que l'un finit par accepter son sort et marche tel un zombie avec les deux bras en avant, tandis que l'autre se rebelle et fait échouer la tentative de ligotage.

 

L'intérêt se porte de toute évidence sur cette histoire d'électricité et de générateur. En observant les éclairs lumineux qui signalent le déplacement du flux d'un point à un autre, on peut en déduire facilement que le générateur produit l'électricité, tandis que l'accumulateur la reçoit. En ce qui concerne la demeure très stylisée d'Elsa et Lohengrin, on remarque qu'elle est surmontée d'un paratonnerre. Cet équipement paradoxal permet d'isoler la maison du danger environnant du fait même qu'il attire ce danger – en l'occurrence l'éclair. Entre exposition et protection, voilà résumée la problématique de l'attitude d'Elsa et la question fatale qu'elle pose à Lohengrin. En cherchant par amour à connaître son identité, elle s'expose elle-même au danger. Téléguidée à distance par les insinuations d'Ortrud qui pénètrent lentement en elle comme un poison, elle provoque la fuite de celui qu'elle pensait retenir.

Un coup de foudre sans disjoncteur, en quelque sorte.

Yuval Sharon s'est inspiré d'un univers entre bande dessinée et contes de Grimm pour dessiner un Lohengrin pour grands enfants. On peut voir comme l'irruption d'un surnaturel mâtiné d'humour à la David Lynch au moment où le jeune héritier fait son apparition sur scène à la fin de l'opéra. Vêtu d'une fourrure et d'un chapeau verts, il tient à la main un rameau clignotant, symbole mystérieux d'une espérance ravivée et/ou d'un lien au végétal et à la nature comme seule vraie source d'énergie positive. À défaut d'être d'un intérêt stupéfiant, le travail de Yuval Sharon est d'un honnête niveau. Les tunnels y sont relativement rares (les servantes en rangs d'oignons jetant pendant de longues minutes des pétales bleus et blancs…) et on pourra lui concéder le mérite d'avoir sauvé les meubles après la rocambolesque exclusion d'Alvis Hermanis et la non moins rocambolesque volte-face de Roberto Alagna.

Piotr Beczala (Lohengrin)

Le cast aligné sur scène promettait beaucoup, à commencer par le Lohengrin de Piotr Beczala en remplaçant de luxe, finalement préféré à Klaus Florian Vogt, déjà engagé pour la deuxième saison des Meistersinger de Barrie Kosky. Beczala avait chanté le rôle à Dresde avec Anna Netrebko sous la direction de Christian Thielemann. On admire la tenue de son chant et le caractère irréprochable d'un ligne opalescente et nacrée. Là où Vogt dans la production précédente (signée Hans Neuenfels), ajoutait des nuances et des variations infinies, Beczala se contente d'une ligne uniforme et d'un chant d'une beauté de porcelaine, un rien distante dans sa quête de perfection. En abordant ce rôle avec des moyens éminemment italianisants, Piotr Beczala force l'admiration mais garde un rapport distancié au texte et à l'inscription du personnage dans la perspective des autres héros wagnérien, avec Parsifal en point de mire. Anja Harteros quant à elle, connaît son Elsa ; elle a étrenné le rôle sur la scène du Staatsoper de Munich avec le brio qu'on lui connaît. Ses débuts dans le Festspielhaus de Bayreuth ne se font pas sous les meilleurs auspices, à considérer cet Einsam in trüben Tagen à la fois corseté et excessivement vibré. La suite la montrera nettement plus à son avantage, avec une propension inouïe à colorer l'expression du doute et de l'amour sincère qui traverse son personnage.

Georg Zeppenfeld (König Heinrich), Waltraud Meier (Ortrud) Tomasz Konieczny (Telramund)

Autre nom prestigieux présent sur cette affiche, Waltraud Meier revient à Bayreuth après presque vingt ans d'absence. Si les moyens sont de toute évidence désormais amoindris, c'est la présence en scène qui sublime l'interprétation. On oublie certaines intonations et des changements de registres pas toujours assurés, pour admirer la manière dont elle passe alternativement de la perfidie à la douceur. Lourde déception en revanche pour le Telramund de Tomasz Konieczny. L'expression est tirée et nerveuse, avec une tension dans l'aigu qui fatigue l'écoute et fait douter de l'adéquation de cette voix avec un rôle qui appelle davantage de nuances et d'ambiguïté. Egils Silins n'est guère plus convainquant dans le costume du Héraut, avec une projection débraillée et des accents forcés. Georg Zeppenfeld signe un retour gagnant en Roi Henri, après avoir chanté le rôle dans les premières années de la production de Hans Neuenfels. L'aplomb impeccable semble taillé dans la masse et dégage une impression de netteté remarquable. On mettra sur la première les impressions mitigées du Chœur du Festival, parfois instables, parfois décalés mais jamais vraiment au niveau où nous avons pu les entendre par le passé, même s'il s'agirait pour une autre salle d'un niveau superlatif.
Christian Thielemann dirige l'ouvrage pour la première fois à Bayreuth, accédant par la même occasion au panthéon des chefs ayant dirigé la totalité des opéras qui y sont traditionnellement représentés. Comme à son habitude, le geste est vigoureux et dimensionné à une vision de caractère très expressif. Ce Lohengrin voit grand et passe sur des nuances qui, en d'autres mains, donneraient à l'interprétation un flux volontiers plus aéré et cursif. Admirable sans être pourtant très émouvante, cette direction verticale joue en cavalier seul, tournant le dos à une scénographie qui se veut plus souriante. Attendons de voir comment la production évoluera les prochaines saisons…

Piotr Beczala (Lohengrin) Anja Harteros (Elsa von Brabant) et au fond Waltrauyd Meier (Ortrud) Tomasz Koniecny (Telramund) Georg Zeppenfeld(König Heinrich) et Egils Silins (Heerufer)

 

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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.

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2 Commentaires

  1. Juste une question : M.Cherqui vient-il toujours à Bayreuth, et, si oui, a‑t‑il renoncé à critiquer une production aussi affligeante ? Merci en tout cas de vous y être collé, en mettant l'accent sur la faiblesse scénique évidente mais aussi sur certaines insuffisances musicales (Beczala, Thielemann) pas ou peu relevées par vos confrères.

    • Nous nous partageons les productions sur le site. Vous trouverez dans le "Blog du Wanderer" un compte rendu du Lohengrin II.
      Bien à vous
      Guy Cherqui

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