Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville (1711–1772)
Titon et l’Aurore (1753)
Pastorale héroïque en trois actes et un prologue.
Livret de l’abbé de de Voisenon, créé à Paris le 9 janvier 1753

Direction musicale : William Christie
Mise en scène, décors, costumes, marionnettes : Basil Twist
Création vidéo : Daniel Brodie
Lumières : Jean Kalman

Titon : Reinoud van Mechelen
L’Aurore : Gwendoline Blondeel
Palès : Emmanuelle de Negri
Eole : Marc Mauillon
Amour : Julie Roset
Prométhée : Renato Dolcini
Nymphes : Virginie Thomas, Maud Gnidzaz, Juliette Perret
Marionnettistes : Valentin Arnoux, Coline Fouilhé, David Girondin Moab, Cristina Iosif, Sylvain Menard, Diana-Elizabeth Neva Jaramillo, Candice Picaud, Philippe Rodriguez-Jorda

Chœur et orchestre Les Arts Florissants

En direct sur Medici.tv le 19 janvier 2021 à 20h

Avec un an d’avance sur la commémoration du 250e anniversaire de la mort de Mondonville, l’Opéra Comique propose la résurrection scénique de sa Pastorale héroïque Titon et l’Aurore, sous la baguette de William Christie, dans une réalisation signée par le marionnettiste Basil Twist, spectacle plein de fraîcheur où, au milieu d’une distribution tout à fait adéquate, on réservera une mention spéciale à la « méchante » de l’histoire superbement campée par Emmanuelle de Negri.

Titon (Reinoud van Mechelen), l’Aurore (Gwendoline Blondeel)

Accès à la vidéo : https://www.medici.tv/fr/operas/jean-joseph-cassanea-de-mondonvilles-titon-et-laurore/

Le répertoire baroque a décidément des fortunes bien diverses à l’Opéra Comique, de tous les théâtres parisiens sans doute le plus à même de le défendre, de par les proportions de sa salle. Après la cocasserie colorée d’un Ercole amante très réussi était venu comme une douche écossaise la laideur sinistre d’un Hippolyte et Aricie pourtant de haute tenue sur le plan musical. Et voici qu’avec Titon et l’Aurore, la Salle Favart renoue avec le succès grâce à un spectacle charmant, presque naïf, mais dont la naïveté même convient finalement bien au propos de l’œuvre.

« Lorsqu’on a des personnes à faire parler en musique, il faut bien que pour la vraisemblance on donne dans la bergerie. Le chant a été de tout temps affecté aux bergers ; et il n’est guère naturel en dialogue que des princes ou des bourgeois chantent leurs passions ». Même si cette leçon que Monsieur Jourdain reçoit de son maître à danser ne fut jamais que très partiellement vraie, la pastorale, fût-elle « héroïque », fut toujours un genre prisé du public français, d’autant que la danse, ingrédient jugé indispensable à l’opéra, était elle aussi sans doute considérée comme « affectée aux bergers ». Vers le milieu du XVIIIe siècle, l’engouement pour ces bergeries fut à son comble, ainsi que le soulignait récemment Benoît Dratwicki, directeur artistique du Centre de Musique Baroque de Versailles : ce retour en force des pastorales est lié à la personnalité des chanteurs vedettes de l’Académie royale de musique : le ténor Jélyotte et la soprano Marie Fel se révélant moins convaincants dans la tragédie, et plus doués pour le « demi-caractère », les spectacles montés par les mettre en valeur donneront dans la tendresse plutôt que la grandeur. Pour ce couple-star de l’Opéra de Paris, Rameau écrit des œuvres comme Zaïs (1748), Naïs (1749) ou Acante et Céphise (1751). Et même alors que le Dijonnais était à nouveau joué régulièrement, à partir du dernier quart du XXe siècle, les chefs d’orchestre spécialisés semblaient n’avoir guère d’appétence pour la pastorale, qu’il aura fallu attendre notre temps pour goûter à nouveau.

Palès (Emmanuelle de Negri)

Créé en 1753, Titon et l’Aurore s’inscrit pleinement dans cette vogue des bergeries. Après avoir interprété elle-même à Versailles en 1750 un Titon et l’Aurore en un acte composé par Bernard de Bury, la marquise de Pompadour voulut que ce personnage porteur de Lumière auquel elle s’identifiait apparaisse sous une forme plus développée sur la scène de l’Académie royale de musique, et la tâche échut à Mondonville, brillant violoniste qui avait fait ses débuts de compositeur lyrique en 1742. Ce nouveau Titon et l’Aurore se retrouvera au cœur de la Querelle des Bouffons, et Mondonville deviendra malgré lui le porte-drapeau de l’esthétique française contre le camp des Italiens. Malgré cette gloire en son temps, et malgré sa redécouverte progressive à notre époque, c’est – sauf erreur – la première fois qu’une œuvre scénique de Mondonville retrouve le théâtre, grâces en soient donc rendues à l’Opéra Comique, à son directeur Olivier Mantei et au chef William Christie qui dirige à huis clos l’unique représentation ayant survécu à la pandémie en ce mois de janvier.

Que William Christie vienne à Mondonville n’a rien que de très naturel, même si la redécouverte du versant lyrique de ce compositeur s’est largement faite sans lui. En 1981, Montpellier avait tenté la pastorale languedocienne en occitan Daphnis et Alcimadure, mais la France n’avait pas encore vraiment mordu à l’hameçon baroque. En 1991, c’est Marc Minkowski qui avait ranimé, en concert seulement, Titon et l’Aurore. En 1996, Christophe Rousset ressuscitait Les Fêtes de Paphos, également en concert. Et en 2016, le Centre de Musique Baroque de Versailles confia à György Vashegyi, à la tête de son orchestre et de son chœur, le soin de réveiller magnifiquement son Isbé. De Mondonville, William Christie n’avait guère abordé que le versant religieux, avec un enregistrement de quelques Grands Motets paru en 1997. L’orchestre et le chœur Les Arts Florissants s’ébattent ici fort agréablement dans leur cœur de répertoire ; on retrouve dans l’ouverture et le prologue de Titon cette majesté un rien austère que le chef américain aime à communiquer à la tragédie lyrique, mais les nombreuses « danseries » dont l’œuvre est émaillée ont ici le dynamisme d’autant plus souhaitable que, sur scène, on ne danse guère.

Eole (Marc Mauillon)

En effet, le choix a été fait de se passer de corps de ballet. Le marionnettiste américain Basil Twist propose une mise en scène où les moutons en peluche remplacent les danseurs : logique, finalement, puisque Titon est un berger et que la déesse Palès qui prétend contrarier ses amours avec l’Aurore est protectrice des bergers et des troupeaux. Le prologue laisse d’abord un peu dubitatif, mais l’on se laisse bientôt convaincre par ce joyeux mélange d’esthétiques diverses. Dans un décor réduit à l’essentiel, qui s’ornera à la fin de drapés à la Erté, Prométhée en chlamyde rencontre un Amour aux allures d’Octavian prêt à présenter la rose d’argent à Sophie, le rustique Titon accueille une Aurore en robe-princesse couleur du lever du jour, mais c’est surtout pour les dieux que Basil Twist s’est lâché : constamment entouré de draperies virevoltantes à la Loïe Fuller, Eole a un peu l’allure de Charlton Heston dans Les Dix Commandements, tandis que Palès avec ses deux béliers aux yeux de biche rappelle la Fricka cornue du Palais Garnier en 1976.

 

Reinoud van Mechelen, Emmanuelle de Negri, les Nymphes (Virginie Thomas, Maud Gnidzaz, Juliette Perret)

Le thème du mouton est allègrement décliné tout au long du spectacle, on s’en voudrait d’en révéler tous les avatars, mais l’apothéose est réservée au grand divertissement du deuxième acte. Chapeau à l’équipe de marionnettistes qui manipulent tous ces attendrissants ovins.

La distribution achève de convaincre. Remarqué notamment dans l’Orfeo de Rossi à Nancy, Renato Dolcini s’exprime dans un français impeccable et avec une virtuosité tout aussi remarquable ; on regrette qu’il disparaisse sitôt le prologue terminé.

Julie Doret (Amour)

Julie Doret est un Amour scéniquement primesautier, mais dont la voix seule paraît moins expressive – nervosité liée au Prologue, peut-être, car la fin de l’opéra la trouvera plus à l’aise. Les deux rôles-titres sont confiés à deux chanteurs belges : si l’on connaît bien Reinoud van Mechelen, habitué aux rôles de haute-contre à la française, et qui montre ici qu’il a toutes les qualités nécessaires à illustrer l’art de Jélyotte comme il est prévu qu’il le fasse prochainement dans un disque-hommage au créateur de Platée, entre autres, on découvre en revanche sa compatriote Gwendoline Blondeel, aperçue dans un petit rôle du Palazzo incantato de Rossi à Dijon, et qui se révèle comme un véritable talent à suivre, avec un timbre riche de couleurs et plein d’expressivité. Mais évidemment, deux autres artistes leur volent un peu la vedette : même s’il atteint parfois ses limites dans le grave, Marc Mauillon trouve en Eole un rôle à sa mesure, déchaîné dans son ultime duo chanté et dansé avec Emmanuelle de Negri, stupéfiante Palès à l’ampleur de tragédienne, à qui les directeurs de théâtre seraient décidément bien inspirés de confier enfin les grands rôles auxquels elle est destinée.

Le 250e anniversaire de la mort de Mondonville sera-t-il commémoré avec faste en 2022 ? Après la réussite de ce Titon et l’Aurore, on le souhaite vivement.

Accès à la vidéo : https://www.medici.tv/fr/operas/jean-joseph-cassanea-de-mondonvilles-titon-et-laurore/

Julie Doret, Reinoud van Mechelen, Gwendoline Blondeel

 

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.

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