Trailer
La nouvelle production de Tannhäuser signée Kornél Mundruczó succède à un spectacle qui fit les beaux soirs de l’Opéra de Hambourg depuis 1990, mis en scène par Harry Kupfer. Une de ces productions qui marquent l’histoire d’un titre, comme Der Fliegende Holländer à Bayreuth en 1978, du même Kupfer. Voilà qui attire forcément les comparaisons, quelquefois les amertumes et constitue toujours un risque, celui de la déception et des regrets. Mais the show must go on. Le théâtre doit avancer et vivre avec l’époque : si quelques productions emblématiques peuvent rester au répertoire, arrive toujours le moment du changement (voir l’exemple du fameux Rosenkavalier de Schenk à Munich, ou à Hambourg, l’Elektra de Everding) car le pire danger qui menace le théâtre, c’est d’en faire un musée ou un conservatoire.
Nous avons évoqué dans deux articles récents, autour de la production munichoise des Troyens et de la production berlinoise de La Belle Hélène, la question du Venusberg, de son statut de repoussoir axiologique, de sa fonction et de ce qu’il génère. C’est le point à partir duquel le metteur en scène hongrois va développer une vision relativement originale, faisant du Venusberg non un choix dicté par les désirs ou les satisfactions immédiates, mais par un choix de vie effectué il y a longtemps, dont commence à douter un adulte en crise, disons, de la quarantaine. Dans cette vie, il y a place pour le désir, en témoigne cette image de grotte très vaginale du centre du décor, mais ce n’est qu’un des possibles de cette vie. Et Tannhäuser s’est installé sans doute dans sa jeunesse dans une sorte de jungle, avec Maman Venus et ils eurent une ribambelle d’enfants. Un de ces couples qui décident de vivre une autre vie. Comme un rêve post-soixante-huitard ou post Covid… L’Ardèche comme Venusberg en somme…

Il n’y a donc pas cette sensualité et cet érotisme qui bien souvent, notamment dans la version de Paris, entourent le Venusberg d’une ambiance capiteuse, et Venus n’a rien de la mystérieuse déesse de la beauté (avec mes excuses pour la grande Tanja Ariane Baumgartner) exploitant à l’infini la jungle des désirs , même si le couple ne doit pas se refuser souvent « la bagatelle » à ce qu’on ressent.
Cette jungle du Venusberg, c’est presque une installation dans ces nouveaux « resorts » naturels où l’on peut vivre le contact avec les arbres installé dans des arbres, dans des huttes ou cabanes « naturelles », comme un retour à la nature facturé Club Med. Ce peut être aussi la décision raisonnée d’une famille de vivre au plus près d’une nature très baudelairienne de L'invitation au voyage
Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble !
voire de Parfum exotique
Une île paresseuse où la nature donne
Des arbres singuliers et des fruits savoureux
Bien évidemment, il y a eu une telle rencontre entre Baudelaire et Tannhäuser qu’il serait difficile d’échapper à ces références, et cette nature initiale est pleine d’arbres singuliers, et sans doutes de fruits savoureux, suffisamment savoureux pour que Tannhäuser ait pu vivre longtemps une vie de famille prolifique avec Venus, de « chasseur-cueilleur ». J’emploie évidemment à dessein les termes à la mode du jour.
Ce décor de verdure débordante rappelle évidemment celui imaginé par Rebecca Ringst pour Calixto Bieito à Gand et Anvers en 2015. Et quand on voit cette nature luxuriante, immédiatement l’idée de l’opposition nature/culture semble s’imposer, alors que Mundruczó se différencie sensiblement de l’érotisme et de la sensualité du Venusberg de Bieito.
Car la vidéo initiale ouvre évidemment sur la réalité de Tannhäuser, qui a fui pour rejoindre ce monde de Venus au plus près des vérités naturelles, mais il est devenu un névrosé, qui voit défiler sa vie, traversé de cauchemars, « er hat keine gute Nächte » (il a de mauvaises nuits » comme dirait Clytemnestre). Un rappel à dessein car la Vénus de Tanja Ariane Baumgartner est une forte femme, qui a visiblement durant toutes ces années organisé la vie de la famille, et dirigé les opérations. Cette Venus-domina va devoir affronter la crise, avec âpreté : elle répond au désir de départ de Tannhäuser par une bonne gifle… Et elle est une Venus affirmée, dominatrice, pas si loin de l’esprit de celle de Kratzer à Bayreuth, mais en version un peu matrone qui fume son joint.
Mais une gifle n’a jamais résolu un problème, et Tannhäuser s’en va. Le Tannhäuser qui fuit le Venusberg n’est pas dans une crise d’ennui créée par le plaisir au quotidien et pour l’éternité. Même si la question de l'éternité et de la finitude de la vie est aussi au centre des préoccupations de Tannhäuser. la question de la relation des mortels aux dieux, que traite si ironiquement J.M. Coetzee dans son roman Elizabeth Costello 1. Il est d’abord en crise existentielle sans trop en identifier les motifs, car ils sont nombreux et confus, mais la réponse est cette fois, à prendre chez Mallarmé, autre wagnérien : Fuir ! là-bas fuir ! Qui a dû aussi motiver son installation jadis, dans la jungle du Venusberg. Tannhäuser ou la fuite.

Le paysage dans lequel il tombe dans la deuxième partie de l’acte I est à l’opposé, on passe d’une jungle luxuriante à une montagne faite de rochers inhospitaliers, bien loin du locus amoenus des idylles pastorales, malgré la présence du berger à son sommet. Cette nature rude, sans âme, n’est animée au loin que par le cor de chasse, d’une chasse organisée, la chasse de la civilisation, et de la culture des aristocrates. Les animaux tués apparaissent en rang suspendus comme à des crocs, et on les saigne, et Tannhäuser doit saigner, un peu dégoûté, un cerf pour marquer son retour dans la "famille". Une sauvagerie qui n’a rien de la vie sauvage que menait notre Vendredi-Tannhäuser 1 { footnote_expand_reference_container(); } else { footnote_collapse_reference_container(); } } function footnote_moveToAnchor(p_str_TargetID) { footnote_expand_reference_container(); var l_obj_Target = jQuery("#" + p_str_TargetID); if(l_obj_Target.length) { jQuery('html, body').animate({ scrollTop: l_obj_Target.offset().top - window.innerHeight/2 }, 1000); } }