Wolfgang Amadé Mozart 
Die Zauberflöte (La flûte enchantée)
Singspiel en deux actes,
Livret d'Emanuel Schikaneder (1791)
Création le 30 septembre 1791 au Theater auf der Wieden, Vienne

Direction musicale Nathanael Iselin
Mise en scène,  Stéphane Braunschweig

Arrangements musicaux de Henrik Schaefer
Costumes
Thibaut Vancraenenbroeck

Éclairages Marion Hewlett
Scénographie Stéphane Braunschweig avec Alexandre de Dardel
Dramaturgie Tovalisa Rangström
Vidéo Anders Ekman
Masques et perruques, Théresia Frisk
Traduction Alf Henrikson

Sarastro, Johan Schinkler
Tamino, Endre Aaberge Dahl
Sprecher, Joachim C. Larsson
Königin der Nacht, Karolina Andersson
Pamina, Clarice Granado
Erste Dame, Karin Mobacke
Zweite Dame, Lovisa Huledal
Dritte Dame, Kari Koskinen
Papageno, Anton Lundqvist
Papagena, Minna Tägil
Monostatos, ein Mohr Josef Törner
Gardiens, esclaves et prêtres Nicklas Bjärnhall Prytz, Johan Gummesson, John Haque, Viktor Rydén
Drei Knaben, Leon Ekenäs, Oliver Hagenfeldt Eek, Alexander Sherwood, Anton Textorius, Eric Scheja och Philip Scheja

Folkoperans orkester, (Orchestre de Folkoperan)

Coproduit avec le Théâtre de la ville d'Uppsala (Uppsala Stadsteater)

Stockholm, Folkoperan, Dimanche 2 mars 2025, 16h

Stéphane Braunschweig investit le petit espace de Folkoperan et livre une production assez plate de La Flûte Enchantée, sans pour autant lui donner de ligne claire. Il s’agit, si l’on comprend bien, d’éduquer Pamino et Tamina, jeunes lions en cage et d’opposer deux modes pédagogiques : le dressage maternel et la sagesse paternelle. À la fin, les deux oiseaux Papagena et Papageno et nos oies blanches convoleront en justes noces et les méchants seront punis (!!!) comme il se doit, puisqu’il faut bien suivre le livret. Heureusement, on peut compter sur les arrangements musicaux de Schaeffer (12 instrumentistes seulement) et un plateau de voix jeunes et fraîches, dont les nominés du programme talent de Folkoperan, pour faire passer la pilule scénique.

Folkoperan est un lieu à l’espace réduit et il faut sans cesse, pour l’arrangeur musical et le metteur en scène, composer avec des données difficiles. Braunschweig articule son propos autour de la cage d’où doivent s’extraire nos deux jeunes couples. Les oies blanches Pamino et Tamina, tout de blanc vêtu, et les perroquets Papageno (et Papagena à la fin), bariolés donc, un peu hippies, bohèmes pas bourgeois. La jeunesse est un carcan, surveillé par des barbons – les adultes – plus ou moins stricts (les dames de la Reine de la Nuit fouettent) ou plus ou moins bienveillants (la bande à Sarastro, fraternelle, tout ça, tout ça).  Il faudra apprendre à aimer et à quitter son état de nature, violent bien entendu (pas bien), et à quitter le nid à la fin, apparié comme il faut (pas de mélange). Et toute la mise en scène repose sur cette idée somme toute assez sommaire. Rien ne semble questionner les problèmes du livret : la misogynie, le racisme, la « bienveillance » relative de Sarastro qui punit son esclave Monostatos, l’universalisme à deux vitesses (l’initiation ratée, voire programmée pour l’être, de Papageno), les relations tendues entre la Reine de la Nuit et Sarastro, le père absent car décédé de Pamina (éducation monoparentale donc), sans parler du symbolisme Soleil/Lune, pectoral solaire etc…

La musique libère. Mozart hors cadre (Ouverture)

Tout tourne autour de cette cage (signée Alexandre de Dardel), imposante, certes et qui s’ouvre, ô bonheur, ou se  ferme et s’allume sur les bords, suivant les besoins (relatifs…) : elle prend une forme tierce ou pyramidale (en fait un trapèze…), pour les  symboliques franc-maçonnes du 3 et du Temple. Elle fait aussi office d’écran de projection. On y voit, pendant l’Ouverture, des oiseaux qui tournent en rond dans leur cage (adolescence….), plus tard, des lions qui viennent attirés par la musique et se tiennent coi (animal royal comme Tamino…), trois portes du temple dont deux restent closes (il ne faut pas prendre le chemin de la Nature, comme l’indique l’une des portes mais celui de la Sagesse… Au centre, bêta !), la forêt dans laquelle se perdent, un temps, Papageno et Tamino (Nature, nature, toujours ! La sauvagerie…) et encore simplement une multiplication de cases où croîtront (en fait se multiplieront) de multiples Papageno et Papagena (l’attaque des clones).

Femmes éducatrices et/ou dominatrices. Kari Koskinen (3e dame), Lovisa Huledal (2e dame), Karin Mobacke (1e dame)

Plus spectaculaires et inattendues : les flammes et les vagues des épreuves finales dans le Temple ! La projection s’étend au-delà de la simple cage pour s’étaler jusqu’au sol : c’est dire si c’est terrible. On en restera aux images, à défaut de symboles…

Admettons que ce soient les conditions techniques… mais que dire de la direction du plateau ? Là encore, on est proche du néant et on doit se contenter de quelques simagrées des trois Dames, fort charmantes en bustier et robes longues, aguichantes avec mouvements de bras déliés et serpentants, un peu dominatrices à coup de fouet (une des rares (bonnes) idées). Pour le reste, les acteurs sont comme réduits à leur état… de nature ! Heureusement le Papageno d’Anton Lunddqvist, acteur de profession, use et abuse de pitreries et de son corps absolument plastique. Un superbe saut sur le lit et quelques pas de danse donnent à son personnage de la deuxième partie beaucoup de relief qu’on est bien en peine de chercher sur la scène.

Serpent zizi sexuel et boa-accessoire. (Endre Aaberge Dahl (Tamino), Kari Koskinen (3e dame), Lovisa Huledal (2e dame), Karin Mobacke (1e dame)

La scène avec Papagena est elle-même très convenue. Elle se déroule sur le lit de Tamino du début (le lit, ce royaume de l’Adolescent) et Papagena en clocharde-bohémienne fait le job sans plus. Monostatos est intéressant aussi avec un corps malléable tout comme celui de Papageno. On apprécie sa coupe afro et ses rouflaquettes 70ies…

Minna Tägil (Papagena), Anton Lundqvist (Papageno) sur le lit-royaume de l'adolescence

Pour le reste, on est perplexe… Que penser de ce Sarastro et de ses sbires tout en noir, comme la reine de la nuit. Qu’ils sont « la mort et l’ennui » (copyright Jean-Luc  Mélenchon au sujet de ses amis communistes) au même titre que la Reine de la nuit et ses dames ? Des darons ? Ok, mais pourquoi enfermer les filles et Monostatos dans la cage à la fin ? Symboles de la colère, de l’envie et du désir qui doivent être maîtrisés ? Pourquoi pas, mais quid de Sarastro, l’ambigu dans le livret de Schikaneder, qui ne subit pas le même sort ? Une piste sans doute : finalement, les adultes sont en noirs, et il faut, pour les enfants s’affranchir de toutes les éducations, y compris des plus « bienveillantes » ? Le feu et l’eau représenteraient ces deux manières d’éducation ?

Enfin, ne parlons pas des sbires-compagnons de Sarastro portant masques blancs vénitiens à la Eyes Wide Shut… Allusion discrète (voire moqueuse) aux sociétés secrètes ? Quoi qu’il en soit, ce n’est pas très lisible, ni bien profond.

Le feu du désir-qui-brûle-tout. Niklas Bjärnhall-Prytz (gardien)

Dernier détail, plutôt bon cette fois, alors que la cage se referme sur les méchants et que les couples sont appariés, Tamino offre le pectoral solaire (ici un médaillon) à Pamina. On soupire un peu devant le poncif : c’est le partage (voire le don) du pouvoir, l’homme qui renonce au profit de la femme, et/ou.. l’héritage qui revient à qui de droit. Tout est bien qui finit bien mais… humour !, Papageno fait pareil avec son flutiau, qu’il offre à Papagena. C’est une farce ! Et elle souligne bien que nous n’héritons pas tous, ni ne partageons, dans les mêmes proportions…

L'adolescence ou les relations toxiques. Clarice Granado (Pamina), Josef Törner (Monostatos)

Heureusement, musicalement, le compte est bon, notamment avec un ensemble de jeunes chanteurs tout à fait étonnants, entre excellent recrutement et même formation sur place.  Folkoperan a un programme Talent dont sont issus Endre Aaberge Dahl (Tamino), Karin Mobacke (Première Dame), Kari Koskinen (Troisième Dame, fille Fleur à l’Opéra Royal en 2024) et Minna Tägil (Papagena), et comme pour la Cenerentola de 2023, ce sont les chanteurs issu du programme que l’on remarque le plus. Ça fonctionne et très bien puisque ce ne sont pas des rôles annexes qui sont ici donnés aux lauréats. Voix claires et charmantes, rondeurs et belles couleurs, ligne parfaite, on est totalement séduit. Surtout par ce Tamino, tout à fait clair avec une belle projection, aussi séduisant que décidé, avec ce je ne sais quoi de jeunesse fougueuse à la fois raide et enjôleuse. Il est le Tamino parfait voulu par la mise en scène. Tout a fait bien appariée avec la Pamina de Clarice Granado, plastiquement parfaite et aux aigus vifs, peut-être un tout petit peu fragile dans les medium et les graves.

L'adolescence et les conduites à risque. Eric Scheja, Oliver Hagenfelt Eek, Anton Textorius (3 enfants), Clarice Granado (Pamina).

Les Trois Dames forment un beau groupe, très coloré avec notamment Lovisa Huledal (elle aussi passée par le programme Talent), déjà repérée en Mercédès dans le Carmen de l’Opéra Royal en 2024 et dans L’Auberge du Cheval Blanc à Folkoperan l’an passé. Globalement, l’ensemble était très homogène avec des voix tout à fait accordées, chaleureuses et enjôleuses et un véritable engagement scénique dans cette hydre à trois têtes.

Les parents font leur boulot de darons dépassés. Johan Schinkler, qu’on apprécie généralement, était peu en forme ce soir-là, avec une voix un peu grise et une émission juste correcte. La Reine de la Nuit de Karolina Andersson était plus convaincante même si on était à la limite dans les contre-ut mais le rôle est difficile.

Karolina Andersson (Nattens drottning). Daronne de luxe, Milf, Fabienne Tabard.

Le Sprecher du Temple de Joachim C. Larsson était à la hauteur du rôle, très justement dans ce milieu, entre parents (has been) et enfants (prometteurs). Voix bien placée avec une belle ligne, émission adéquate. Il faisait partie du trio des pages dans Cenerentola de Folkoperan (2023) où il avait été particulièrement apprécié. Encore un beau bébé Folkoperan.

L’avenir c’est aussi sans doute Minna Tägil (Papagena), beau Jano dans Jenufa de l’Opéra Royal cette année et qui ici aussi se révèle une voix charmante, vraiment pétillante dans le rôle.

Belles performances pour les acteurs Anton Lundqvist (Papageno) et Josef Törner (Monostatos) en dehors de leur zone de confiance et au chant tout à fait acceptable (bien qu’un peu nasillard pour Papageno mais ça colle avec le rôle). On les sent plus à l’aise avec la scène qu’ils investissent totalement. Ils jouent de leurs corps pour exprimer la plasticité de la jeunesse, sa fougue mais aussi cette raideur caractéristique de l’adolescence : timidité étonnante, enthousiasme délirant, caractère obsessionnel du désir. C’est bien joué et mis en scène.

Dans le gouffre de l'adolescence. Anton Lundqvist (Papageno), Lovisa Huledal (2e dame), Karin Mobacke (1e dame), Kari Koskinen (3e dame), Endre Aaberge Dahl (Tamino), 3 enfants et l'orchestre

Henrik Schaefer a encore fait des miracles avec des arrangements étonnants pour ce Mozart microscopique : douze musiciens seulement en scène ! Comme Folkoperan est exigu, le lieu est propice à ce genre d’arrangement et très avantageux pour les voix. L’orchestre vient jouer devant la cage pour l’Ouverture et vient se replacer devant pour le final (la musique de Mozart, comme alpha et oméga). Il est, sinon, derrière la cage, en fond de scène, donc derrière les chanteurs. Nathanael Iselin se tire bien de ces difficultés et l’orchestre sonne bien mais il manque un peu de liens pour souder l’ensemble. Reste que cette Flûte réduite est une belle curiosité et qui permet de saisir peut-être encore mieux l’importance de tel ou tel pupitre suivant les airs.

En somme, une Flûte réjouissante musicalement et surtout vocalement avec une pépinière de talents qui ne fait que croître. Ce Folkoperan ne finit pas de nous surprendre.

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Guillaume Delcourt
Il collabore, en amateur revendiqué, depuis les années 2000 à divers médias, de la radio associative à la programmation et l’organisation de concerts, festivals et happenings (Rouen, Paris, Stockholm) dans les champs très variés de la musique dite alternative : de la pop à la musique électro-acoustique en passant par la noise et la musique improvisée. Fanziniste et dessinateur de concerts, ses illustrations ont été publiées dans les revues Minimum Rock n’ Roll et la collection Equilibre Fragile (revue et ouvrages) pour laquelle il tient régulièrement une chronique sur la Suède. Il contribue, depuis son installation sous le cercle polaire, en 2009, à POPnews.com, l’un des plus anciens sites français consacrés à la musique indépendante. Ces seules passions durables sont À La Recherche du Temps Perdu de Marcel Proust, les épinards au miso et la musique de Morton Feldman. Sans oublier celle de Richard Wagner, natürlich.

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