Gioachino Rossini (1792–1868)
Demetrio e Polibio (1812)
Dramma serio per musica in due atti
di Vincenzina Viganò Mombelli
Revisione sulle fonti della Fondazione Rossini, in collaborazione con Casa Ricordi,
a cura di Daniele Carnini

Direttore PAOLO ARRIVABENI
Regia DAVIDE LIVERMORE
Ripresa della regia ALESSANDRA PREMOLI
Scene e Costumi ACCADEMIA DI BELLE ARTI DI URBINO
Luci NICOLAS BOVEY

 

Lisinga JESSICA PRATT
Demetrio – Siveno CECILIA MOLINARI
Demetrio – Eumene JUAN FRANCISCO GATELL
Polibio RICCARDO FASSI

CORO DEL TEATRO DELLA FORTUNA M. AGOSTINI
Maestro del Coro MIRCA ROSCIANI
FILARMONICA GIOACHINO ROSSINI

Produzione 2010

Pesaro, ROF, Teatro Rossini, 12 août 2019

Unique reprise de cette édition, la  production de Demetrio e Polibio signée Davide Livermore (2010) nous plonge dans la jeunesse adolescente d’un Rossini qui aurait  entamé vers 1806 (à 14 ans) la composition de ce premier opéra (seria), et plus vraisemblablement vers 1808. Première composition, mais pas le premier opéra représenté, Demetrio e Polibio porte en lui tout ce que sera le Rossini futur. Il est étonnant de constater que les principes d’organisation des opéras rossiniens sont plus qu’en germe dans cette œuvre dont la qualité intrinsèque ne laisse pas de surprendre, chez un si jeune musicien.
Dans le cadre charmant du Teatro Rossini, tellement plus inspirant que la pénible Vitrifrigo Arena (au nom déjà glacial avant même de l’avoir expérimentée), le public se laisse entraîner dans cette histoire impossible de père cherchant son fils, vue au travers du prisme très drôle et original inventé par Livermore.

Jessica Pratt (Lisinga)

Une seule question : sans Pesaro, qui aurait pu voir cet opéra de la prime jeunesse de Rossini ? C’est bien ce qui rend Pesaro irremplaçable. La plupart des théâtres affichent une dizaine de titres, les grands opéras bouffes, quelques opéras seria et Guillaume Tell. Mais les trente autres restent dans les cartons : seul le Festival de Pesaro en quarante ans a proposé jusqu’ici l’opera omnia et reprend maintenant les titres déjà présentés, dont ce Demetrio e Polibio créé en 1812 au Teatro Valle de Rome (en l’absence du compositeur) pratiquement inconnu qui n’est pas une operina, mais un solide opéra avec ses deux actes, ses quatre protagonistes et son chœur d’hommes qui remplissent aisément la soirée.

La trame ? Encore une histoire de filiation et d’enfant perdu. Polibio, roi des Parthes, protège le jeune Siveno, amoureux de sa fille Lisinga, et apparemment fils d’un ministre de Demetrio, roi de Syrie, avec lequel il est brouillé.
Demetrio arrive chez Polibio et se fait passer pour Eumene, messager du roi pour exiger que Siveno soit renvoyé en Syrie. Polibio refuse, et marie sa fille à Siveno. Demetrio/Eumene projette d’enlever Siveno, mais il enlève en réalité Lisinga.
Cela pourrait aller très mal si Demetrio ne se rendait compte que Siveno est le fils qu’il croyait perdu. Tout finira bien et l’union Lisinga/Siveno scellera aussi la réconciliation de Demetrio et Polibio.
Le livret assez faible de Vincenzina Viganò-Mombelli explique sans doute la carrière tronquée de cette œuvre et l’oubli dans lequel elle est tombée, même s'il y a des moments émouvants.
Même créé en 1812, l’opéra a été composé aux alentours de 1808–1810, et non en 1806 comme Rossini l’a écrit. C’est quand même une œuvre de l’adolescence tardive, qui remonte au moment où il étudiait encore à Bologne, et l’on sait aussi que tout n’est pas de sa main, ou du moins que la famille de Domenico Mombelli qui le protégeait l’a aidé et sa seconde épouse Vincenzina Mombelli, la sœur de Viganò (chorégraphe que Stendhal admirait tant pour le comparer à Raphaël et Canova) lui a fourni le livret à mettre en musique, Il est aussi possible que la sinfonia d’ouverture soit de Domenico Mombelli, lui-même ténor qui fut fameux et désormais sur le retour. Il reste que la création fut assurée de manière familiale, le couple primadonna-musico, (soprano e mezzosoprano) assuré par les deux sœurs Ester (qui fit une belle carrière) et Anna Mombelli, Siveno assumé par Domenico lui-même et la basse fut le majordome-factotum de la famille, Ludovico Olivieri. L’opéra en famille chez une famille qui s’y connaissait en chant et en musique (Domenico Mombelli avait épousé en premières noces Luisa Laschi, créatrice du rôle de la Comtesse des Nozze di Figaro)  et qui avait profité des dons du jeune Rossini, remarqués très tôt, pour exploiter l’opéra et sa troupe en cohérence, ce qui évitait aux imprésarios de composer une distribution : on avait là sous la main dans la maison librettiste compositeur et protagonistes c’était beaucoup plus facile.
Que Domenico Mombelli soit intervenu dans la composition est probable et même fréquent à une époque où la question de la propriété intellectuelle est une notion élastique.
Stendhal rapporte dans sa Vie de Rossini ((Stendhal, Vie de Rossini, ch.IX L’Aureliano in Palmira, p.167 sq, édité et annoté par Pierre Brunel, Folio, Gallimard, Paris, 1992)) ses impressions très favorables la seule fois qu’il vit l’opéra au tout nouveau Théâtre de Côme (le teatro Sociale di Como actuel), et même s’il affirme que c’était le spectacle d’inauguration de la salle ce n’est sans doute pas exact, parmi d’autres approximations. Par ailleurs, le succès à la création à Rome fut notable, avec des airs bissés.

Orchestre à effectif réduit, ténor (Demetrio) et basse (Polibio), soprano (Lisinga) et mezzosoprano (Siveno, rôle travesti), choeur d’hommes, voilà les éléments qui caractérisent l’œuvre.
La mise en scène de Davide Livermore remonte à 2010, elle a été reprise par Alessandra Premoli et paraît-il légèrement modifiée. La distribution est complètement nouvelle, ainsi que le chef d’orchestre, le très expérimenté Paolo Arrivabeni.

Davide Livermore a essayé de manière très intelligente de se dépêtrer d’un livret faible en faisant un travail non d’opéra dans l’opéra, mais plutôt d’opéra dans le théâtre ou dans un théâtre, un de ces théâtres italiens riches d’une histoire longue et fascinante, où le spectacle du soir se termine, le rideau est fermé, les applaudissements terminés, la vedette s’en va, les techniciens nettoient la scène, la vident et tout s’éteint. C’est alors que surgissent les fantômes d’une lointaine représentation du passé, qui vont évoluer tels des ombres (visages blafards, jeux de reflets, de miroirs sans tain, jeux avec la structure du théâtre, costumes pendus, caisses de décors et costumes, pompiers qui traversent la scène) jouant sur les doubles, sur les images surgies du passé, sur la salle elle-même du charmant Teatro Rossini. C’est astucieux, c’est léger, c’est efficace et c’est souriant. Le spectacle joue sur la magie du théâtre (ces flammes que les amoureux allument dans leurs mains, ces bougies qui volètent) qui fait croire aux fantômes, où l’apparence est reine, ce qui permet de jouer en utilisant les décors entreposés car la petite troupe fantomatique s’installe dans le théâtre déserté pour la nuit et en investit tous les éléments. Ce travail joue aussi sur les éclairages très réussis (plutôt rasants) de Nicolas Bovey qui construisent une ambiance très particulière
Davide Livermore, tout en faisant « jouer » la trame bien légère du livret, l’installe dans un double jeu en transformant l’opera seria en une sorte de divertissement, rendant ainsi au mieux le côté « coup d’essai », « exercice du style » du jeune Rossini, par une distance ironique par rapport à un titre auquel peut-être on n’adhèrerait pas si on le prenait au sérieux ou au premier degré. Alors utiliser les trucchi du théâtre pour le faire passer, laisser le spectateur d’amuser de ces effets sans penser à autre chose, tout en écoutant le chant : c’était une voie possible, qui respectait et Rossini, et le genre, et les lieux.
Les jeux des doubles, si fréquents à l’opéra, le jeu des symétries de ces deux pères, de ces deux enfants (aux voix féminines) avec la confusion fils /fille dans l’enlèvement prévu par Demetrio est rendu métaphoriquement par ces jeux de miroir et le bal des doubles qui systématiquement accompagne les chanteurs, au point qu’on réussit quelquefois à s’y perdre. D’ailleurs le chœur qui tantôt représente les suivants de Polibio, tantôt les soldats de Demetrio, est un peu indifférencié (la nuit, les fantômes sont tous les mêmes) et ainsi on privilégie la performance à la vraisemblance théâtrale sans que jamais le spectateur ne soit gêné.
Livermore nous dit simplement que mieux vaut mieux pas s’interroger sur le sens d’un livret léger et écrit pour la circonstance (familiale), il y a des livrets qui interrogent, et d’autres de consommation courante qui ne sont qu’écrin pour les pyrotechnies des chanteurs, c’est le cas ici.
Dans cet écrin un peu distancié, on a réuni une distribution vraiment à la hauteur de l’enjeu parce que le chant y est tout autre que facile, notamment pour les rôles féminins.

Juan Francisco Gatell (Demetrio)

Demetrio est Juan Francisco Gatell, ténor bien connu et bel interprète du répertoire rossinien et romantique. Il se tire avec grand honneur du rôle conçu à l’origine pour un Domenico Mombelli dont l’astre était un peu passé, phrasé impeccable, diction sans reproche et jolies couleurs, belle expressivité, et forte présence en scène, avec des aigus un peu courts peut-être mais le rôle n’est pas si exigeant de ce point de vue. Il est plus exigeant sur la ligne, sur les variations, et à ce titre, la musicalité du chanteur se montre exemplaire notamment dans l’air assez long (Mombelli s’était-il là fait un joli cadeau ?) All’alta impresa tutti

Riccardo Fassi (Polibio)

Polibio (basse), c’est la jeune basse Riccardo Fassi, qui fait une excellente prestation et qui a remporté un vrai succès, mérité. Le chant est très contrôlé, la projection et le volume calibrés pour la salle du Teatro Rossini, mais c’est au niveau de l’interprétation qu’il marque : il est des deux pères sans doute le plus humain, celui qui accueille Siveno comme un père et veut le préserver (la première réplique de l’opéra pose le personnage : mio figlio non sei, pur figlio ti chiamo ((tu n’es pas mon fils, mais je t’appelle mon fils…)). Il interprète, sait varier les couleurs et sait être émouvant, un chanteur à suivre, indiscutablement.
Du côté des voix féminines, très belle impression laissée par Cecilia Molinari, au timbre velouté, au mezzo bien marqué (très bel air d’entrée pien di contento in seno, avec ses agilités et des graves sonores et jamais détimbrés) et à la très belle homogénéité du grave à l’aigu, avec un phrasé parfait et un chant très expressif, ce qui donne aussi une présence notable dans les ensembles et notamment les duos avec Lisinga. Une magnifique découverte à suivre.

Siveno (Cecilia Molinari) Lisinga (Jessica Pratt)

Enfin last but not least, Jessica Pratt, Lisinga littéralement stratosphérique. On entend rarement un chant qui soit à la fois très clair dans la diction, très précis dans les notes, incroyablement sûr dans la montée à l’aigu, au suraigu et plus haut encore. C’est un feu d’artifice sans fautes et sans scorie aucune ; le triomphe est assuré, et Jessica Pratt laisse littéralement pantois devant la performance. Le duo entre Lisinga et Siveno Questo cor di giura amore, au moment des noces, tant aimé de Stendhal, est l’un des moments les plus délicats et lyriques de la soirée, avec deux voix parfaitement amalgamées, les aigus tenus de Pratt et les variations dans le grave de la Molinari, qui anticipent les grands duos soprano/mezzo de la maturité (on pense évidemment à Semiramide) mais les variations stratosphériques de Pratt sur la più grande felicità à la fin de la scène et en conclusion du très complexe air Sempre teco ognor contenta (avec inserts du chœur, des solistes, de l’orchestre) déclenchent la folie dans la salle. Quant à son grand air, superbo, ah ! tu vedrai entre les aigus, les agilités, les passages du grave au suraigu, la dynamique, le tout avec un impeccable phrasé, c’est un miracle. Phénoménal. Un niveau de perfection formelle rarissime.
Saluons également le chœur d’hommes du Teatro della Fortuna, de la cité voisine de Fano, très bien préparé par Mirca Rosciani (c’était d’ailleurs le cas aussi l’an dernier dans Adina) avec une belle dynamique, mais aussi avec des moments de retenue très réussis (début de l’acte II Ah che la doglia amara avec un magnifique écho des bois de l’orchestre).

Quatuor : Riccardo Fassi (Polibio), Jessica Pratt (Lisinga), Cecilia Molinari (Siveno) Juan Francisco Gatell (Demetrio)

De fait l’œuvre alterne des moments particulièrement réussis (comme le fameux quatuor Dona omai Siveno que Stendhal considérait comme un des plus grands moments rossiniens qu’il avait pu connaître) mais aussi certaines introductions orchestrales ou chorales intenses, ailleurs, c’est un peu moins élaboré, mais dans l’ensemble, l’œuvre tient largement la rampe, bien plus qu’on ne pourrait le penser. Même si on entend aussi les influences (Haydn qu’il connaissait si bien, et Mozart) et même si certains moments sont moins réussis (le final), c’est une œuvre digne de l’attention et qui pourrait intéresser certains théâtres.
Dans la fosse, la Filarmonica Gioachino Rossini, l’orchestre de la Province d’Urbino et Pesaro (dont le directeur musical est Donato Renzetti) au son peut-être moins précis que celui de la RAI, mais très honorable et surtout parfaitement conduit par le grand professionnel qu’est Paolo Arrivabeni. Il réussit à tenir l’équilibre entre la légèreté de la mise en scène et les tensions de certaines scènes et entre les rythmes différents des scènes : le premier duo entre Demitrio/Eumene et Polibio est mené de manière svelte, avec une belle dynamique et une précision notable, donnant à l’ensemble une grande cohérence, imposant la présence d’un orchestre à l’effectif relativement réduit. Si le son produit n’a pas le raffinement qu’on entend dans Semiramide ou même dans l’Equivoco stravagante, il faut y voir aussi une couleur légèrement plus rude, comme moins accomplie dans cette partition de jeunesse, et ainsi l’ensemble apparaît à la fois particulièrement maîtrisé et en même temps presque comme « imparfait » méritant encore des polissures, ce qui est vraiment passionnant. Mais ce qui frappe c’est la cohérence de l’approche et l’intelligence dans la manière de lier les différents moments entre eux, la fluidité du lien récitatifs-airs et la réussite dans la manière de gérer les quelques discontinuités du livret avec un regard attentif à ne pas les faire sentir, à les aplanir, et à donner une belle idée d’ensemble.

Notons aussi les nombreux récitatifs avec un continuo de grande qualité (Daniela Pellegrino au clavier, Sebastiano Severi au violoncelle) et on l’aura compris nous nous trouvons devant un spectacle en tout point réussi, satisfaisant, une œuvre surprenante où l’on reconnaît déjà le génie, laissant le souvenir d’une autre merveilleuse soirée.

Riccardo Fassi (Polibio) Cecilia Molinari (Siveno)
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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

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