Hector Berlioz (1803–1869)
La Damnation de Faust (1846)
Légende dramatique en quatre parties
Livret d'Almire Gandonnière et Hector Berlioz d'après le Faust de J.W.von Goethe

Ann Hallenberg, mezzo-soprano, Marguerite
Emma Lewis, mezzo-soprano
Michael Spyres, ténor , Faust
Laurent Naouri, baryton-basse , Méphistophélès
Ashley Riches, baryton-basse , Brander

Orchestre Révolutionnaire et Romantique
Monteverdi Choir
National Youth Choir of Scotland
Petits chanteurs de Lyon

Sir John Eliot Gardiner, direction

Festival Berlioz – La Côte Saint André – Cour du Château Louis XI – 30 août 2017, 21h

John Eliot Gardiner n’est pas un étranger dans cette région : il a dirigé l’orchestre de l’Opéra de Lyon à sa création en 1983 et jusqu’à 1988. Et bien des spectateurs évoquaient sa Damnation donnée à Lyon et à La Côte Saint André en 1987. C’est donc à l’occasion de ce retour sur les terres berlioziennes, avec son Orchestre Révolutionnaire et Romantique, et son Monteverdi Choir, qu’il offre cette Damnation de Faust d’un niveau exceptionnel dans le cadre du Festival Berlioz de La Côte Saint André, après l’avoir donnée aux Proms de Londres le 8 août dernier.

Quand un opéra en version de concert se donne avec des chanteurs qui connaissent la partition et donc en sont libérés pendant l’exécution, un vent de vie supplémentaire et d’Esprit souffle sur le concert et c’est exactement ce qui s’est passé ce 30 août dans la cour du Château Louis XI de la Côte Saint André, le lieu du Festival Berlioz, un Festival qui rencontre chaque année un succès grandissant et qui a trouvé son public : la soirée affichait complet. Bruno Messina, son directeur, a compris que ce n’était pas seulement la musique de Berlioz qu’il fallait y écouter, mais le souffle Berlioz, c’est à dire chercher à composer une programmation qui rende justice à l’éclectisme berliozien et à ses goûts, une programmation aux frontières élargies, diverses, qui fait de ce rendez-vous musical un rendez-vous d’exploration, une sorte de cabinet de curiosités, qui ne se limite pas à la musique de Berlioz, mais à une sorte d’espace musical berliozien riche et divers. Dans ce paysage aux couleurs variées, les exécutions des œuvres de Berlioz sont les piliers et les autres musiques en écho en sont les ramures, les ogives, les travées.
Quel pilier plus symbolique que la Damnation de Faust, qui se prête d’autant plus à la version de concert que l’œuvre n’a pas été conçue au départ pour la scène et quel instrument plus adapté que l’orchestre Révolutionnaire et Romantique, créé pour jouer justement les œuvres de cette période ! Quant à John Eliot Gardiner, il partage ses passions entre Bach, Monteverdi (il a présenté sa trilogie monteverdienne cet été à Edimbourg et à Salzbourg) et Berlioz, dans la grande tradition britannique : l’éditeur principal des œuvres de Berlioz la NBE chez Bärenreiter a été Hugh Mac Donald,  et Colin Davis fut le berliozien de référence des années 70, tradition aujourd'hui portée par John Eliot Gardiner et Roger Norrington, tous deux programmés en cette édition 2017 du Festival.
Cette exécution par des forces essentiellement britanniques prenait aussi place dans une thématique du festival qui était Berlioz à Londres au temps des expositions universelles, et donc constituait un point d’orgue, démontrant que les britanniques ont peu de rivaux en la matière.
L’exécution a été à la hauteur des attentes, Sir John Eliot Gardiner a su à la fois exprimer la délicatesse de certains moments et les aspects plus marqués et martiaux ailleurs (La marche hongroise), sans jamais oublier l’ironie et les couleurs sarcastiques qui parsèment l'œuvre et sans jamais verser dans le superficiel ou le démonstratif. L’attention du chef à une exécution philologique, scrutant la partition à la loupe n’empêche absolument pas une vie extraordinaire de se dégager de cette lecture, qui ne semble jamais savante, et qui révèle des pans de l’œuvre auxquels on ne prête pas toujours attention.

Bien sûr, l’œuvre contient des pièces qui à elles seules sont des hits, comme la Marche hongroise, le menuet des feux follets, ou le chœur des sylphes, mais le mérite de John Eliot Gardiner est bien d’installer une continuité dramatique, en cela, la maîtrise des rôles par les solistes (même si pour Ann Hallenberg, Marguerite était une prise de rôle au précédent concert des Proms) et la fluidité des transitions a vraiment permis  de rentrer dans le drame, au sens théâtral du terme, même si l’œuvre se prête merveilleusement au concert. Il faut noter la magnificence des bois de l’Orchestre révolutionnaire et romantique, les flûtes au son rêche et inquiétant, et dont le moment marquant est le solo de cor anglais de Michael Niesemann (Hautbois solo), accompagnant merveilleusement D’amour l’ardente flamme, ainsi que  l’engagement des cordes, avec de magnifiques altos emportés par Judith Busbridge, sans oublier les  couleurs particulières donnés par les instruments d'époque, notamment dans les cuivres (l’utilisation rarissime de deux ophicléides) : ce qui frappe dans cet orchestre c’est outre la virtuosité, le raffinement, la multiplicité des couleurs et des timbres ( y compris en coulisse) qui donnent à cette Damnation quelque chose de vraiment particulier et peu commun.
Autour de John Eliot Gardiner, le Monteverdi Choir, renforcé par le National Youth Choir of Scotland et les petits chanteurs de Lyon, est impressionnant, d’abord par la variété des couleurs là aussi : il y a dans la Damnation toutes sortes de configurations du chœur et ici la prestation est impressionnante par l'engagement au sens théâtral,  par l’incroyable clarté de la diction, on comprend chaque mot, et par le goût de l'interprétation : le chœur chante et joue (quelques mouvements), mais surtout les voix jouent, avec des sommets : la course à l’abîme ou le chœur final d’esprits célestes qui arrivent à rendre à la fois le côté éthéré mais aussi intérieur. Des moments en tous points impressionnants.
Du côté des solistes, une rare homogénéité dans l’excellence, à commencer par les soli d’Emma Lewis, remarquables de ligne et de tenue de chant, ainsi que de contrôle et d’homogénéité. Brander était Ashley Riches, jeune baryton basse issu du Jette Parker Young Artists Programme de Covent Garden qui va bientôt chanter Il conte des Nozze di Figaro à l’ENO. Sa chanson du rat est expressive, bien dite, même si elle manquait un tout petit peu de projection (il est vrai qu’il chantait au fond de l’orchestre).
Ann Hallenberg était Marguerite. La chanteuse suédoise, on l’a dit, avait abordé le rôle le 8 août dernier au concert des Proms. Son chant très contrôlé, très lyrique, frais mais retenu (avec un tout petit abus du rubato) convenait à l’image qu’on a du personnage, sa ballade du roi de Thulé était presque plus émouvante par sa fraicheur que le célèbre d’Amour l’ardente flamme. Une très belle entrée dans le rôle, avec une diction impeccable, qualité partagée par Michael Spyres, un Faust d’une rare délicatesse et d’une rare poésie, presque trop éthéré pour le rôle, mais un modèle d’art du chant, subtil, raffiné, souvent émouvant, juste un peu tendu dans l’Invocation à la nature, mais l’ensemble reste remarquable, tant il convenait aussi à l’interprétation de Gardiner, avec des dialogues d’une rare qualité entre la voix et l’orchestre. Enfin, Laurent Naouri, le français de l’étape, était Méphistophélès, un rôle qu’il porte et qui lui est tellement consubstantiel qu’il affiche une aisance confondante dans la caractérisation du personnage, dans ses mouvements, dans son expression et qu’il faisait parfait contraste avec le Faust de Michael Spyres, plus raide et plus tendu. Inutile de dire que sa Chanson de la puce est anthologique. Deux exemples de chant complètement maîtrisé, deux exemples de parfaite expressivité, deux exemples de parfaite maîtrise de la langue et de ses couleurs.
Une Damnation de Faust travaillée par un groupe d’artistes sans conteste dévoués à leur chef, John Eliot Gardiner qui a démontré encore une fois fraîcheur et disponibilité, et qui montre à quel degré d’homogénéité on peut arriver quand on travaille sur une longue période avec des musiciens. Exemplaire.

 

 

 

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

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