György Ligeti (1923–2006)
Le Grand Macabre (1978)
Opéra en quatre tableaux – version révisée de 1996
Livret de Michael Meschke et György Ligeti librement inspiré de La Balade du Grand Macabre (1934) de Michel de Ghelderode, œuvre elle-même tirée de La Farce de la Mort qui faillit trépasser (1925) du même auteur.
Création le 12 avril 1978 à l'Opéra Royal
(Kungliga Operan) de Stockholm
Entrée au répertoire de la  Bayerische Staatsoper

Direction musicale Kent Nagano
Mise en scène Krzysztof Warlikowski
Décors et costumes Małgorzata Szczęśniak
Lumières Felice Ross
Vidéo Kamil Polak
Chorégraphie Claude Bardouil
Dramaturgie Christian Longchamp, Olaf Roth

Chef de la police politique secrète (Gepopo) / Venus Sarah Aristidou
Amanda Seonwoo Lee
Amando Avery Amereau
Prince Go-Go John Holiday
Astradamors Sam Carl
Mescalina Lindsay Ammann
Piet vom Fass Benjamin Bruns
Nekrotzar Michael Nagy
Ruffiack Andrew Hamilton
Schobiack Thomas Mole
Schabernack Nikita Volkov
Ministre blanc Kevin Conners
Ministre noir Bálint Szabó
Réfugiés (solos de chœur)
Isabel Becker, Sabine Heckmann, Sang-Eun Shim, Saeyong Park

Figurants et enfants-figurants de la Bayerische Staatsoper

Musique de scène
Katharina Kutnewsky Piccolo  , Stefan Schneider Clarinette , Susanne von Hayn Basson, Felix Gargerle Violon,
Thomas Berg trompette, Hans Ulrich Pförtsch trompette basse

Bayerischer Staasopernchor
Chef des chœurs Christoph Heil

Bayerisches Staatsorchester

Münchner Opernfestspiele

 

Munich, Nationaltheater, Vendredi 28 juin 2024, 19h

Après 46 ans de latence, Le Grand Macabre, de György Ligeti fait son entrée au répertoire de la Bayerische Staatsoper, une entrée fêtée dans les fastes de l’ouverture du Festival Münchner Opernfestspiele 2024. Comme prises par un virus étrange, d’autres grandes maisons de l’ère germanophone, il y a quelques années Dresde (Calixto Bieito, 2019) et il y a quelques mois Vienne (Jan Lauwers, 2023), l’ont précédé et d’autres suivront cet automne. Ligeti reviendrait-il à la mode ou la fin du monde, le sujet de cet « anti-opéra », serait-elle en vue ou en Trump‑l’œil ?
Cette fresque déjantée est née de la
Balade du Grand Macabre de Michel de Ghelderode, pièce créée en 1934 à partir d’une farce pour marionnettes du même créée en 1925. Ghelderode travaille sur son univers habituel, entre grotesque et inquiétant, un joyeux et cynique théâtre de la cruauté.

Installant sa pièce dans un pays imaginaire, le Breughelland, allusion à l’univers du peintre flamand, quelquefois festif et par ailleurs vaguement monstrueux, dans une tradition carnavalesque que Lucien Febvre a si bien fouillée dans Le problème de l’incroyance au XVIe siècle, la religion de Rabelais, publié en 1947 et qui reste l’un des monuments de la recherche critique sur la période. Des saturnales antiques au carnaval médiéval, la question de l’ordre du monde se pose, dont la gravité est non pas effacée, mais détournée par le traitement apparemment joyeux de la fête notamment médiévale. D’autre part, Ligeti était fasciné par l’absurde à la Jarry, un des fondements du XXe, et par les visions fantastiques d’un Bosch ou d’un Breughel, fondements de visions médiévales d’un Au-delà apocalyptique, de cette apocalypse joyeuse et sarcastique qui nous amène à l’abîme.

Course à l’abîme, voilà ce que Krzysztof Warlikowski à qui Serge Dorny a confié la mise en scène considère dans cette œuvre, en insinuant que la fin du monde est en nous, que nous l’avons déjà vécue hier, que nous la vivons aujourd’hui et forcément demain. Le metteur en scène polonais retrouve dans la fosse Kent Nagano, avec lequel il a déjà travaillé avec bonheur à Paris dans A quiet Place de Bernstein en 2022, une sorte de fin de la famille et donc d’un monde. Quant à Nagano, il retrouve la fosse du Nationaltheater, et le Bayerisches Staatsorchester dont il fut le GMD entre 2006 et 2013. Des conditions particulièrement favorables pour une œuvre qui plus que d’autres exige une étroite osmose entre fosse et scène, d’autant que la distribution est ici proche de l’idéal.
Le public de Munich dont certains spectateurs sans doute surpris ont quitté la salle durant le spectacle (1h50 sans entracte) a fait un accueil triomphal à l’ensemble (qui s’est répété pour les autres représentations) y compris à Warlikowski habitué de la maison munichoise et qui y a signé parmi ses plus grands spectacles dont l’immortelle
Frau ohne Schatten de 2013.
Bienvenue dans l’espace de fin du monde.

 

La fin du monde

Il suffit de s’entendre sur ce qu’on appelle fin du monde.
« Nous autres civilisations, nous savons que nous sommes mortelles », proclamait Paul Valéry en 1919, au lendemain du premier grand charnier mondial, et qui a provoqué la fin des grands empires, que personne n’avait vraiment désiré comme l’a si bien décrit l’historien Christopher Clark dans Les Somnambules, paru en France en 2013.
En 1992 paraît The End of History and the Last Man (la fin de l’histoire et le dernier homme) de Francis Fukuyama qui a tant marqué les dernières années du XXème siècle et qui théorise la victoire définitive de la démocratie libérale…
On sait ce qu’il en est aujourd’hui…

Que l’humanité entière danse sur un volcan, chaque jour nous en apporte une preuve, entre guerres et menaces de guerre, présence enracinée du terrorisme, problèmes climatiques, populismes présents et avenirs, Covid etc…
Mais que l’humanité ait déjà connu la fin du monde, ou d’un monde, c’est aussi acté par l’histoire, qui ne serait qu’une série de fin(s) de monde. Parmi elles, une a tout de même un statut particulier,  c’est la Shoah, non pas comme massacre indistinct de juifs, tziganes, homosexuels etc… mais comme industrie programmée et documentée de l’effacement de peuples entiers, cliniquement, méthodiquement par leur transformation en non-humains triés (un mot essentiel dans la perspective de cette mise en scène) chosifiés de leur vivant puis réduits méthodiquement à leur matérialité, cendres, cheveux, dents en or, valises, affaires personnelles etc… comme le détaillent les vitrines terribles d’Auschwitz. Ce qui frappe le visiteur des camps ce sont les tonnes de documents administratifs qui témoignent du processus, non pas un massacre ordinaire mais un long, immense et raisonné dérèglement de tout ce qui fait le monde et l’humain au nom d’une disparition administrative et actée. C’est pourquoi ce ne sera jamais « un détail » comme disait qui vous savez, mais au contraire un acte témoin de la fin de l’humain.
Je suis toujours surpris que beaucoup considèrent la Shoah comme un massacre parmi les nombreux massacres de l’histoire de l’humanité, alors que c’est au contraire totalement original et extraordinaire : la décision politique de mettre fin à des peuples par processus industriel et administratif, une taylorisation de la mort est pratiquement un hapax : les hauts fourneaux alimentés par des corps plutôt que par le métal et administrativement attestés….

Les massacres, les camps de travail, les morts staliniens, tout cela existe, certes et a toujours existé sous diverses formes dans l’histoire, mais pas cette vision administrative raffinée qui montre un souci de travail bien fait pour s’assurer de l’élimination définitive et absolue des éléments perturbateurs de l’ordre du monde vu par les nazis. D’ailleurs, Hannah Arendt ne s’y trompait pas en voyant en Eichmann un homme au physique ordinaire de petit employé de cette administration de mort, un rond de cuir de la solution finale. Ainsi, la Shoah est un double symbole, d’une part c’est l’extrême de la fin du monde, vu comme fin de l’humanité dans le sens où tout humain ne reconnaît plus l’autre comme un humain, et en même temps, banalise toutes les fins de l’humanité que nous connaîtrons et que nous avons connues, tant la mort de l’humain au sens concret et abstrait est ici obligatoirement aussi un acte d’administration.

Warlikowski, polonais, en est profondément conscient dans sa rencontre avec Ligeti, dont la famille a été décimée par l’industrie de la mort officielle et programmée, à laquelle seule sa mère et lui ont échappé. La fin du monde, le tri, l’exil, les exils divers : ils connaissent. Alors, Ligeti apparaît de ci de là, en film, en photos souvenirs dans des valises vidées, en aphorisme, si bien que cette musique est en premier lieu sensible : Dans ma musique on ne trouve rien de « scientifique » ni de « mathématique » mais plutôt un mélange de construction et d’imagination poétique et émotionnelle ». (György Ligeti)

En attendant la fin…

Un immense et raisonné dérèglement

C’est pourquoi Krzysztof Warlikowski en travaillant sur cette œuvre créée il y a quarante-six ans dans un contexte musical et (géo)politique différent, envisage certes le grotesque comme une donnée de base de l’œuvre, mais refuse d’en faire l’alpha et l’oméga de son travail. Si Ligeti voulait un anti-anti opéra, Warlikowski en fait l’opéra de l’antimonde, et, terrible à dire, de notre monde aussi. Tout simplement parce que la question de la fin du monde l’obsède depuis des années. Voilà ce qu’il écrit dans un texte proposé le jour de la journée mondiale du théâtre en 2015 à propos de son théâtre :

Jour après jour, je pense à des écrivains qui, il y a près de cent ans, ont décrit de manière prophétique, mais aussi avec retenue, le déclin des dieux européens, le crépuscule qui a plongé notre civilisation dans une obscurité qui n'a pas encore été éclairée. Je pense à Franz Kafka, Thomas Mann et Marcel Proust. Aujourd'hui, je compterais également John Maxwell Coetzee parmi ce groupe de prophètes.

Leur sens commun de la fin inévitable du monde – non pas de la planète, mais du modèle des relations humaines -, de l'ordre social et des bouleversements, est d'une actualité poignante pour nous, ici et maintenant. Pour nous qui vivons après la fin du monde. Pour nous qui vivons face aux crimes et aux conflits qui éclatent chaque jour dans de nouveaux lieux, plus vite que les médias omniprésents ne peuvent le faire. Ces incendies deviennent rapidement ennuyeux et disparaissent des rapports de presse, pour ne plus jamais réapparaître. Et nous nous sentons impuissants, horrifiés et enfermés.

Il faut voir là à mon avis une clef essentielle de sa mise en scène munichoise.

Alors, cette fin du monde comme fin de l’humain, il la puise à propos du Grand Macabre dont c’est le sujet, à partir d’une imagerie, d’une imagerie qui remonte loin dans le temps, mais qui est proche de nous par le sens, une imagerie venue du Moyen âge et de la Renaissance dans laquelle György Ligeti et Michael Metschke à travers Ghelderode ont puisé en 1978, à commencer par l’idée du Brueghelland, tout en réadaptant la pièce et les personnages, ici dans la version révisée de 1996, avec livret en anglais.

Nous évoquions en introduction l’entreprise du carnaval, son rituel profondément lié à la mort et aux masques, qui trouve ses origines dans des fêtes païennes comme les Saturnales romaines qui inversaient l’ordre des relations sociales, le carnaval est vivace au Moyen-âge et à la Renaissance (jusqu’au XVIIIe à Venise par exemple), période de fêtes, et de licences de tous ordres. Le Brueghelland est un haut lieu carnavalesque, lié à l’entreprise de Brueghel l’ancien quand il décrit la mort et ses triomphes avec quelque chose d’apotropaïque, danser sur la mort pour mieux la dominer, l’identifier, la désamorcer… chasser le mauvais esprit en quelque sorte. On danse le cancan sur le volcan, et à dessein Ligeti cite l’Offenbach d’Orphée aux Enfers dans son œuvre, autre sorte d’exorcisme joyeux de l’apocalypse.

Alors, comme à l’accoutumée, Krzysztof Warlikowski et ses acolytes, Małgorzata Szczęśniak pour les décors et somptueux costumes, Claude Bardouil pour la chorégraphie, Kamil Polak pour les vidéos et Felice Ross pour les lumières (exceptionnelles) vont composer une sorte d’illustration de ce « jardin des délices » musical qu’est Le Grand Macabre. Plus que dans toute autre œuvre, le tissage entre la musique débridée utilisant toute l’histoire de la musique occidentale (par exemple la vocalité baroque) non pour la mettre à bas, mais pour en illustrer l’immense et raisonné dérèglement. Je reprends à dessein l’expression rimbaldienne déjà utilisée plus haut parce qu’elle me paraît correspondre exactement à l’ambiance ; ce Grand Macabre « nef des fous » est un bateau ivre, mais parfaitement structuré par la musique : d’ailleurs, Ligeti le précise lui-même :

J'avais à l'esprit une action scénique fortement schématisée et comique, et la musique devait également être immédiate, comique, exagérée, colorée et folle. La nouveauté de ce théâtre musical ne devait pas se manifester dans les aspects extérieurs du spectacle, mais à l'intérieur de la musique, à travers la musique.

 

Le paradoxe, parce qu’il y en a un, et il y en a souvent avec Warlikowski qui cultive l’illumination (rimbaldienne) par le paradoxe, c’est que cette mise en scène a l’air presque « ordonnée » par rapport à la musique, déjà dans un système scénique clos à espaces enchâssés, murs, grilles, assez ordonnés et lisibles.
Comme dans Guerre et Paix de Tcherniakov dans ce même théâtre, c’est l’histoire d’un groupe qui face à la catastrophe, est enfermé dans un lieu clos, se délite et implose à la fois en caricatures grotesques et en violence délirante – Christian Longchamp dans son texte du programme de salle rappelle le film Melancholia de Lars von Trier au les personnages finissent en attendant la fin du monde dans un lieu où ils s’enferment, une « Magic-Cave » dont nous reparlerons. La « Magic-Cave », la Caverne magique, est ici élargie à tout le théâtre, ce lieu des illusions, encore et toujours, ce lieu totalement cathartique qui permet de supporter le monde, de l’affronter, de le tourner en dérision et en grotesque faute de mieux….

Il y a une parenté dans les deux approches, de Warlikowski et de Tcherniakov qui tous deux décrivent une humanité face à une fin des choses, à cette différence (notable) près que dans Le Grand Macabre le grotesque est à la fois outil de distanciation assez brechtien et donc didactique, mais aussi moteur de ce monde qui tourne et virevolte à vide devant l’inévitable quand Tcherniakov fait du grotesque seulement un des possibles du délitement universel.

Benjamin Bruns (Piet vom Fass), Michael Nagy (Nekrotzar)

Le grotesque, l’excès, le dérisoire sont les pis-aller de l’humain quand il n’y a plus rien à faire, ni à perdre. La preuve, Nekrotzar, la mort, (le Tsar de la necro…), Le Grand Macabre, échoue à organiser le bal des folies et échoue dans sa mission à faire peur… « même pas peur » réponde tous les autres et à la fin il troque son faux costume de nu ramollo pour un tricot – boxer tellement plus « nous ». Comme s’il rentrait dans le rang des ordinaires, comme si au bout du compte il n’y avait plus d’objet de foi, de confiance, de croyance, plus d’ordre ni de hiérarchie (d’où la vision de Bonaparte d’Abel Gance qui pèse peu – une image ?- face aux massacres universels) et qu’il ne restait que l’attente de la fin prochaine ou de la prochaine fin.

Anonyme, Il Trionfo della morte (1446), Palerme, Galerie Nationale de Sicile

Dans son texte très éclairant du programme de salle, Christian Longchamp, le dramaturge de la production cite Il trionfo della morte, une fresque d’un anonyme exposée dans la Galerie Nazionale de Sicile et provenant du Palazzo Sclafani comme la source essentielle de l’inspiration de Brueghel pour son propre Triomphe de la mort, aujourd’hui au Musée du Prado, de ce Brueghel qui est clairement le point de départ de Ghelderode quand il appelle le pays du Grand Macabre le Brueghelland. L’anonyme sicilien montre la mort au centre qui de son cheval tire ses flèches au hasard sur une foule bigarrée, diverse, insouciante, en conversation, dans les jardins, au bord d’une fontaine, dans un paysage à la nature ordonnée et esthétisante il y a une sorte de vision de la mort à la « vous qui passez sans me voir » où cohabitent les insouciants et les cibles, les vivants et les morts, les sauvés et les condamnés dans une sorte de vision somme toute presque lumineuse.

Pieter Brueghel l'ancien, Le Triomphe de la Mort (1562) (Musée du Prado, Madrid)

Brueghel en a une vision bien différente, dont il faut partir parce qu’il est la référence obligée du livret. C’est une version bien moins insouciante, qui universalise la mort dans tous ses effets, décimant ici, suppliciant là, dans un monde élargi, ciel, terre et mer, où le ciel est divisé entre le feu dévorant à l’horizon gauche, un sombre nuage au centre et un ciel encore bleu à droite et donc un univers en mouvement vers la fin. Plus que la fresque de Sicile, nous avons ici une vision de fin du monde, où une humanité enserrée semble venir se concentrer vers le premier plan, fuyant l’arrière-plan déjà désolé, avec comme toujours chez Breughel, la description d’un monde fait de microscènes qui constituent un univers dont la totalité est faite de dizaines de micro-univers, de petites scènes qui font du monde un monde et ici de micro morts, exécutions, suicides, maladies, accidents…  la mort frappe partout et sous toutes les formes possibles. Il y a là une vision d’apocalypse bien loin du grotesque.

Warlikowski va effectuer une sorte de travail à la Brueghel, proposant une sorte de tableau vivant, grouillant, changeant et en même temps étrangement fixe, mais un tableau d’aujourd’hui.

Tableau vivant

Dans la mise en scène de Warlikowski, je considère très breughélienne cette vision où ce qui se passe au premier plan et qui mobilise a priori l’attention n’efface jamais ce qui se passe en arrière-plan, ou sur les écrans : Warlikowski focalise et défocalise dans un travail à la Brueghel, montrant un monde à première vue uniforme et en réalité totalement divers, où la (les) vidéo(s) et les extraits de film n’expliquent pas, n’illustrent pas, mais complètent la vision par une autre dimension. Monde uniforme parce qu’anonyme, les masques, les costumes d’animaux, les combinaisons qui affichent de fausses nudités, les masques de chirurgie esthétique (Amando et Amanda) sont autant de subterfuges pour rendre indistincts les identités pour en faire des figures plus que des êtres, dans ce jeu de masques carnavalesques où l’on joue à cache-cache avec soi. D’un autre côté, comme dans les jeux de marionnettes, un art qu’aimaient et Ghelderode, et Ligeti, les rôles sont aussi identifiables, Piet, Nekrotzar, Astradamors, Mescalina, Gepopo, Prince Go Go etc… ce sont des personnages, mais en même temps des métaphores, ou des dérivations Mescalina fait penser à Messaline, Astradamors à Nostradamus, Piet vom Fass (Piet du tonneau) est la figure de l’ivrogne, Gepopo renvoie à Gestapo… figures de notre univers de l’histoire de notre humanité remisés en dérision, mais identifiables par jeux de rapprochement. On joue en permanence entre un anonymat qui protège et un tri qui désigne…

Le tri des humains, signe de fin du monde

Or, le tri est toujours l’élément précurseur de l’adieu à la vie : la mort qui tire ses flèches ou désigne les victimes dans le tableau de Sicile effectue un tri parmi une population insouciante : l’adieu à l’humanité reste sélectif.

Le Tri initial

Chez Warlikowski, tout commence par un tri : sur l’écran des ombres anonymes munies de valises entrent dans un espace, les uns vers la droite, les autres vers la gauche. Comment les valises et cette arrivée d’humains ombres anonymes pourrait-elle éviter qu’on pense immédiatement à l’arrivée aux camps de la mort et au tri initial entre ceux qui iront vers la vie (si l’on peut appeler cela « vie ») et ceux qui iront à la chambre à gaz ? Première image, lourde de sens, qui va ensuite donner au grotesque un sens profondément différent. En effet, dans cette fin du monde, vue comme fin de l’humain, la comète qui s’approche ne saurait être que l’outil et non pas la cause :  l’humain sait construire sa propre fin, il l’élabore avec une précision clinique.
Comme cette fin du monde a déjà eu lieu et aura encore lieu, le grotesque est une manière de banaliser, d’enfermer le monde sans un système où plus rien ne prend sens où rien n’a plus de sens. Alors le rire peut arriver, cette intrusion du mécanique dans l’humain comme disait Bergson.

La vidéo initiale du tri d’arrivée de tous ces gens, ces ombres qui arrivent de partout et donc de nulle part aboutissent dans cet espace clos, salle d’attente, prison, salle de gymnastique, un lieu qui n’a plus non plus d’identité propre. Le tri des juifs au Vel d’Hiv a détruit à tout jamais l’identité du Vél d’hiv comme vélodrome d’hiver, tout comme les tris-rassemblement dans les stades auxquels Valéry Giscard d’Estaing avait pensé au moment où il caressait l’idée de renvoyer les émigrés (déjà dans les années 1970) faisaient perdre aux stades leur fonction première de rassemblement festif pour leur donner la fonction d’outil de condamnation arbitraire.
Longchamp signale aussi Ellis Island, à vue de la statue de la liberté, petite île devant Manhattan où les émigrés arrivant aux États-Unis étaient enregistrés et triés, montrant qu’il y a humain et humain, l’humain-oui et l’humain-non, et cette affaire de tri pour migrants continue à être vivace dans nos contrées avec les centres Frontex aux bords de la méditerranée aux frontières de l’Europe : trier l’humain, c’est établir une hiérarchie, avec des critères de classement, comme si tous les hommes n’étaient pas égaux et ne se valaient pas. Nous sommes nous aussi, et en pleine lumière, en pleine conscience et bonne conscience, des organisateurs de fin du monde. Où est le concept de « Terre-Patrie » cher à Edgar Morin ? Qui osera dire encore que dans notre monde, un humain en vaut un autre ?

La Salle d'attente… en attente de..?

Le tri, l’administratif dont nous parlions plus haut est en permanence présent en scène sous la forme bien banale d’un bureau avec un ordinateur, d’où tout procède, Nekrotzar mais aussi Astradamors qui va taper nerveusement sur le clavier pour faire surgir l’image de la fin, la comète qui va tout détruire. L’ordinateur c’est la flèche de la mort sur son cheval et l’instrument de celui qui va trier parmi les vivants et les morts et astucieusement un autre cheval trône, tout proche, la déclinaison dérisoire du cheval de la Mort, le cheval d’arçon des salles de sport…

Humanité déshumanisée

Et les gens rient dans la salle, devant la succession d’une trame qui elle-même semble avoir une fin, mais qui en réalité n’en a pas. Le rire alors est le constat d’une aporie : il n’y plus rien à faire que rire.
Le grotesque indique la seule solution possible puisque la fin du monde et de l’humain semble une telle habitude, une telle accoutumance que plus rien n’a de sens, une comète passe, on attend la suivante, et la fin n’est qu’une ruine fumante qui va en appeler à la prochaine. Warlikowski nous dit que le monde est en soi grotesque de croire en l’humanité, puisqu’elle s’autodétruit en un cycle permanent, où tout recommence et tout finit dans la même sauce, ou dans une sauce encore plus raffinée dans le non-humain.
On comprend pourquoi certains ont trouvé cette approche un peu trop « sérieuse », mais Warlikowski a construit un non-lieu : salle de sport, salle d’attente, salle de tri, et salle de mort car Nekrotzar est là pour un non monde où pas un seul des personnages n’a l’air d’un humain, avec notamment des masques sur les yeux, des maquillages autour des yeux, parce que l’œil trahit par le regard quelque chose d’une trace d’humanité : il faut donc le masquer.
Dans le Jugement dernier de Michel Ange à la Sixtine, frappe une explosion d’humanité en déshérence, mais c’est une humanité, dans sa nudité ou toutes ses nudités (couvertes plus tard par Daniele da Volterra). Ici tout est couvert, et même la nudité est elle-même une combinaison (Nekrotzar), les visages sont dissimulés, les humains sont animalisés ou altérisés, ils sont presque engagés dans un processus de Métamorphose kafkaïenne. Et la fin, qui devait être apaisement, devient une sorte de danse macabre dérisoire. Les cages sont libérées, les valises sont laissées et empilées comme dans les vitrines d’Auschwitz, les soldats tirent sur les valises et les êtres, qui finissent par ressusciter ou à qui succède une autre humanité masquée pour une valse dérisoire de Piet vom Fass et des autres sur leurs sièges à roulettes, comme si émergeant des fumées tout allait recommencer (on voit Mescalina réapparaître…) mais non pas pour vivre un avenir, mais au simplement la prochaine fin du monde : la valse fait tourner non les couples mais les fauteuils roulants d’une humanité en éternelle cabosse.

 

De l’usage des références

L'apocalypse, et après ? une image de Melancholia de Lars von Trier (au dessus)

Alors on revient à Longchamp et aux sources, iconographiques et cinématographiques, comme Tod und Feuer de Paul Klee au Centre Paul Klee de Berne où la mort semble être justement un masque, qui tient une boule de feu,

Paul Klee Tod und Feuer, Paul Klee Zentrum Bern

ou à l’évocation de Melancholia de Lars von Trier, une autre vision de fin du monde où la planète Melancholia va heurter la terre pendant que les personnages essaient de vivre leur vie face à la menace de plus en plus précise pour finir en attente de la fin dans une sorte de Magic-Cave, la caverne magique que nous évoquions plus haut attendant la mort dans une sorte de sérénité, on y voit aussi des extraits de Murnau du Napoléon d’Abel Gance, images de destins, de massacres, de guerres, qui semblent des renvois à sa réalité autodestructrice en quelque sorte.
Plus encore ces images associent la figure de Ligeti, sorte de trompe la mort ou trompe l’exil qui a échappé aux camps, mais aussi aux événements de Hongrie en 1956, et qui a sans cesse vécu dans un ailleurs, en gardant par devers lui un incroyable sens de l’humour dont sa musique, et notamment ce Grand Macabre, son unique opéra, est rempli : ainsi Warlikowski comme marquant une sorte de compagnonnage à distance, truffe ses images de photos ou d’extraits vidéos de Ligeti, souriant et rieur, un Ligeti qui par exemple déclare «  j’aurais dû devenir un scientifique pour gagner le Prix Nobel », lui à qui a été décerné en 1986 le Prix Grawemeyer, sorte de Nobel de la composition musicale. Il y a dans les images comme un souriant jeu de cache-cache avec Ligeti, comme si sa présence était nécessaire dans le spectacle et qu’il en faisait partie. C’est que le personnage même de Ligeti pourrait être un des personnages de ce Grand Macabre sur l’exil, réel intérieur, mortifère, et en même temps vital.
Mais la présence en images de Ligeti (je ne sais d’ailleurs si le visage de Ligeti est si familier aux spectateurs) souriant et un peu farceur, est un signe fort de la présence presque corporelle du compositeur dans ce spectacle, avec son destin d’exilé, de juif errant, de Wanderer-de-fin-des-mondes qui finit par composer un anti-anti-opéra, persuadé qu’après Wozzeck il n’y a plus d’opéra. Le Grand Macabre, ou la fin de l’opéra d’après la fin…

Plus que dans d’autres productions de Warlikowski, la musique a une présence charnelle dans le spectacle, qui est une sorte de folle danse macabre chantée, et chorégraphiée.

 

De la musique avant toute chose

Présence charnelle d’abord parce qu’un des moments les plus forts de la soirée (courte, à peine 1h50) est le moment où des musiciens jouent en scène en solo, puis en écho avec la fosse, Katharina Kutnewski (Piccolo), Stefan Schneider (Petite Clarinette en mi b), Susanne von Hayn (Basson), Felix Gargele (Violon), Thomas Berg (Trompette) , Hans Ulrich Pförtsch (Trompette Basse), on y entend la domination des cuivres et bois (un seul violon) qui donne une couleur particulière à cette intervention et fait évidemment directement penser aux camps de la mort et aux musiciens qui accompagnaient les déportés à la chambre à gaz, mais aussi à l’usage qui fut fait de la musique au camp « modèle » de Theresienstadt, c’est-à-dire au tissage de ce que pouvait représenter la musique et l’expression artistique dans un contexte aussi mortifère, avec un contraste qui fait évidemment aussi aussi penser au fameux orchestre du Titanic. La musique accompagne souvent la mort, et en quelque sorte, Le Grand Macabre est une grande fête musicale funéraire, un oratorio de la mort joyeuse où nous enterrons en quelque sorte notre vie d’humains.
C’est ainsi qu’on ne peut (d’une certaine manière comme dans A quiet Place) dissocier le travail scénique de Krzysztof Warlikowski du travail musical de Kent Nagano à la tête de son ancien orchestre dont les retrouvailles ont semblé être célébrées non sans émotion. Si l’on considère cette musique comme le chant funéraire d’une nef des fous, la marche funèbre d’un Titanic en folie car Warlikowski construit une véritable chorégraphie vaguement monstrueuse (de Claude Bardouil) dans laquelle la musique a un rôle de force dynamique, qui fonctionne par ruades disruptives, qui ont visiblement aussi désarçonné certains spectateurs.
J'avais à l'esprit une action scénique fortement schématisée et comique, et la musique devait également être immédiate, comique, exagérée, colorée et folle. La nouveauté de ce théâtre musical ne devait pas se manifester dans les aspects extérieurs du spectacle, mais à l'intérieur de la musique, à travers la musique dit lui-même Ligeti.

Une musique « immédiate » dans son agressivité, qui est une alliance de notes, de son, d’instruments qui vont jusqu’aux klaxons du prélude. Cette musique donne l’impression qu’elle dirige le mouvement scénique, qu’elle le détermine, qu’elle le fait naître.

Il faut donc une entente profonde entre chef et metteur en scène pour que les choses fonctionnent.
Et le travail de Kent Nagano est simplement époustouflant de précision (parce qu’évidemment cette musique qui semble déréglée et folle, n’est là encore qu’un dérèglement raisonné, et ordonné) formellement rigoureuse, faisant côtoyer des formes diverses, remontant jusqu’au baroque, mais aussi citant (Offenbach, on en a parlé) ou se permettant notamment à la fin, des moments étonnants de lyrisme. C’est aussi Ligeti qui déclare : Je me considère comme ouvert aux influences de toutes sortes, car je suis extrêmement curieux. L’art a pour matériau l’ensemble des cultures et le monde entier.

Nous avons en quelque sorte une musique qui fait entendre tout et son contraire et qui – on va le voir- demande aux voix des prouesses. Ainsi donc la musique se présente-t-elle sous forme d’un chaos organisé aux frontières si ouvertes qu’on a l’impression que tout y est possible.

L’orchestre y est d’une netteté qui ne peut que provoquer l’admiration, les sons s’entrechoquent, surgissent et disparaissent, sans jamais de repos. Tout y semble heurté et pourtant – paradoxe- tout y semble avoir sa place : magie d’une direction complètement maîtrisée, jamais envahissante, laissant les voix s’épanouir, mais d’une incroyable limpidité. Si bien que ce chaos d’un monde en folie qui se noie est en même temps ciselure, dentelle, raffinement (un vocable étonnant vu l’impression agressive que donne cette musique).
C’est cette transparence qui frappe et qui laisse transparaître toute la structure de l’œuvre, les formes juxtaposées, en anacoluthes, les heurts, mais aussi la mise en valeur des voix, tout en donnant à l’orchestre un sens du rythme, de la rigueur, et en préservant la relativité des volumes du forte jusqu’à la sourdine, et surtout soulignant toujours les mouvements du texte que Ligeti voulait parfaitement intelligible. Enfin, à l’instar de la mise en scène dont il suit la couleur, il n’exagère jamais les aspects débordants ou dionysiaques, non pas une orgie, mais du grand art. Kent Nagano montre là quel chef il est, lui qui si souvent est mal compris par les auditeurs ou la critique.
Quant à la mise en scène, elle évite toujours de mettre les chanteurs en danger, dans une vraie conscience de chaque mouvement et des placements nécessaires pour que la voix porte, avec un sens du mouvement très naturel et très étudié pour que passe d’abord la musique, là encore il y a dentelle et vrai raffinement dans le choix des gestes et des mouvements, jamais en contradiction avec la fosse.
Enfin, le travail de coordination musicale scène-fosse est médiatisé par Volker Perplies dans le trou du souffleur que tous les solistes iront remercier avec une belle unanimité au moment des saluts.

La performance de tous est époustouflante de toute manière, et d’abord le chœur de la Bayerische Staatsoper dirigé par Christoph Heil, qui a retrouvé un vrai grand niveau après quelques années de difficultés.

Des voix aux extrêmes du possible

Bálint Szabó (Schwarzer Minister), John Holiday (Prince GoGo), Kevin Conners (Weißer Minister)

Mais la performance des voix solistes est aussi en tous points exceptionnelle, dans une distribution nombreuse où l’on reconnaît les colonnes portantes de la troupe, l’excellent Kevin Conners (Weißer Minister, ministre blanc), toujours impeccable et juste, toujours scéniquement au point, au chant toujours coloré et précis, tout comme Bàlint Szabó, le schwarzer Minister (Ministre noir), mais aussi les plus jeunes Thomas Mole (Schobiack), Andrew Hamilton (Ruffiack) qui furent du Studio et désormais dans la troupe et Nikita Volkov (Schabernack) encore au Studio (qui à Munich est excellent).

Seonwoo Lee (Amanda) Avery Amereau (Amando)

Les deux amoureux Amando (Avery Amereau, membre de la troupe et magnifique Cherubino de Nozze di Figaro) et Amanda (Seonwoo Lee, membre du Studio) sont à la fois étonnantes sous leur masque de chirurgie esthétique (toujours cette recherche d'identité flottante désir d'être autre)  et en même temps particulièrement émouvantes avec pour chacune un chant littéralement stupéfiant, leur performance est vraiment exceptionnelle et mérite d’être saluée.

Sam Carl (Astramadors), Mesacalina (Lindsay Ammann)

Lindsay Ammann en Mescalina est aussi un vrai personnage, très bien dessiné par la mise en scène et particulièrement bien incarné ici, et son alter ego Sam Carl en sado-masochiste Astramadors faut entendre une voix bien projetée et très colorée de baryton-basse en incarnant le personnage de manière particulièrement affûtée et efficace. Le couple fonctionne scéniquement et vocalement, là encore, rien à dire de cette distribution de l’extrême..

Sarah Aristidou (ici en Vénus)

Sarah Aristidou en Chef de la Police GePoPo et en Vénus est phénoménale de présence scénique et surtout vocale, avec une voix de soprano qui semble inépuisable, aussi bien dans la hauteur stratosphérique que dans les agilités, et des ressources d’actrice étonnantes,

Sarah Aristidou (ici en chef de la Police)

Sarah Aristidou est totalement bluffante et l’on ne doit pas s’étonner qu’un Jörg Widmann lui ait déjà écrit des œuvres, aussi bien en Vénus interlope qui livre Mescalmina à Nekrotzar qu’en chef de police déjanté et louche, elle est littéralement fabuleuse.

John Holiday (Prince GoGo)

En complet bleu, John Holiday prince GoGo, confirme les qualités exceptionnelles de cette voix de contreténor, très souple, aux agilités époustouflantes et à la belle présence en scène qui semble adaptable à toutes les situations, on l’avait déjà remarqué à Munich dans Dido and Aeneas et Agrippina, il confirme être un des contreténors les plus agiles et étourdissants qu’on ait pu entendre.

Benjamin Bruns (Piet vom Fass)

Piet Vom Fass, c’est un Benjamin Bruns totalement métamorphosé, extraordinaire acteur débordant, désopilant, tournicotant, étourdissant. Jamais il ne nous avait montré de telles capacités à incarner un rôle si éloigné de ses David, de ses Lohengrin. Il est ici l’une des personnalités les plus incroyables de la scène, totalement déchainé, et jamais ridicule. Et vocalement, il semble faire de sa voix ce qu’il veut, avec des sauts de registre des passages du grave au suraigu, des moments incroyablement colorés, j’en suis resté totalement éberlué parce qu’il est aussi bien lyrique et suave que sauvage et héroïque. Il est tout et son contraire et toujours éblouissant. Encore un acrobate vocal de l’extrême.

Michael Nagy (Nekrotzar)

Enfin en Nekrotzar, Michael Nagy. On connaît l’intelligence et la finesse de ce chanteur familier du Lied, délicat, assez versatile, aussi capable d’incarner un Falke ahurissant dans Fledermaus qu’un Amfortas émouvant. C’est un des beaux chanteurs de la terre allemande, qui plus est d’origine hongroise, ce qui ce soir n’est pas indifférent vu le compositeur.
La performance gagne peu à peu en assurance, en affirmation. Au départ, ce Nekrotzar manquait un peu de noirceur et de poids, ni trop tzar ni trop nekro. Et peu à peu le personnage s’impose avec une force surprenante, sans jamais être vraiment une caricature, sans jamais être non plus trop grotesque, mais toujours juste. On sent chez ce chanteur une vraie finesse et son interprétation très graduée en est la trace. Il s’impose comme un grand Nekrotzar, jamais monolithique, mais diversifié et très à l’écoute de la mise en scène.

Cette production est pour moi une totale réussite, époustouflante musicalement. Il serait de bon aloi qu’elle fût enregistrée et diffusée dans la collection de la Bayerische Staatsoper qui vient de sortir Fledermaus de Kosky et Elias de Mendelssohn par Sawallisch. Il s’agit d’une pierre miliaire musicale, une interprétation musicale et vocale qu’on ne devrait pas retrouver de sitôt.
Scéniquement, c’est un très grand spectacle, qui fait de l’œuvre le sujet d’un grand tableau vivant d’une humanité en déshérence, à vau l’eau, d’un vrai pessimisme où le grotesque devient ce qui reste quand toute le ressource humaine est épuisée et tourne à vide, si bien que ce grotesque-là est loin de faire rire dans un monde qui, à la scène comme à la ville ne cesse de se déliter. Comme les habitants de Naples et de Pouzzoles dansent sur les Champs Phlégréens, encore et toujours nous dansons le Cancan du volcan.

Prochaines représentation (à ne pas manquer) les 20, 23, 26 octobre 2024

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

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1 COMMENTAIRE

  1. Bravo pour votre critique qui disséque cette soirée.
    Personnellement j ai trouvé que vous bonifiait ce spectacle, qui m' a moins convaincu que les grandes productions de Warlikowski comme frau ohne shatten ou Salomé.
    Warlikowski flirte un peu avec le décoratif et avec moins de rigueur.
    La mise en scène de la furia del baus avec son énorme figure féminine qui emplissait la scène avec les personnages qui en entraient et sortaient comme une vulves était beaucoup plus forte et évidente.
    Quelle joie de revoir nagano à munich après jorovski dans elektra le jour d après qu'elle maison…

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