Richard Wagner (1813–1883)
Tristan und Isolde (1865)
Action en trois actes
Livret du compositeur
Créé au Königlisches Hof-und Nationaltheater de Munich, le 10 juin 1865

Direction musicale : Markus Poschner
Mise en scène : Roland Schwab
Décors : Piero Vinciguerra
Costumes : Gabriele Rupprecht
Dramaturgie : Christian Schröder
Lumières : Nicol Hungsberg
Chef des chœurs : Eberhard Friedrich
Vidéo : Luis August Krawen

Tristan : Clay Hilley
Marke : Georg Zeppenfeld
Isolde Catherine Foster
Kurwenal : Markus Eiche
Melot : Olafur Sigurdarson
Brangäne : Christa Mayer
Ein Hirt : Jorge Rodriguez-Norton
Ein Steuermann : Raimund Nolte
Junger Seemann : Siyabonga Maqungo

Chor und Orchester der Bayreuther Festspiele

Bayreuth, Festspielhaus, jeudi 3 août 2023, 16 h

On pourra toujours mettre sur le compte du très court délai dont il a disposé pour juger de la qualité relative de ce Tristan und Isolde mis en scène par Roland Schwab. Réduit comme l'an dernier simplement à deux dates sur l'ensemble de la programmation, ce spectacle affiche une faiblesse de conception qui oblige à baisser régulièrement le regard pour profiter d'une belle direction d'orchestre (Markus Poschner) et d'un plateau où l'Isolde de Catherine Foster supplante Clay Hilley dans ses débuts in loco en Tristan. 

 

Clay Hilley (Tristan), Markus Eiche (Kurwenal), Catherine Foster (Isolde), Christa Mayer (Brangäne)

Contraint à une étrange programmation en raison de deux reports COVID, cette production signée Roland Schwab a dû être montée en l'espace de six mois. On retiendra la piètre qualité du résultat, fruit de circonstances qu'on a du mal à juger atténuantes tant la gageure de la commande pouvait très bien déboucher confortablement sur une version concertante ou mise en espace. Katharina Wagner avait déjà eu recours à cette solution avec une Walküre adaptée par le plasticien Hermann Nitsch en 2021. Consensuelle dans le sens où elle donnait à voir des options simples et lisibles, cette production affirmait avec force et cohérence un statut de performance scénique dont le parti-pris esthétique faisait de l'art plastique un puissant vecteur à la musique de Wagner. En jouant à la fois dans le pré carré des "tradis" (côté décors et jeu d'acteurs) avec une touche "néo" (concentrée sur les projections sur les écrans LED), ce spectacle déçoit en passant au laminoir rétrograde une œuvre certes difficile, mais ici profondément enlisée dans le confort mou d'une esthétique alla Wieland.

Tour à tour navire de Tristan, demeure d'Isolde et le château de Karéol, ce décor vintage fixe signé Paolo Vinciguerra rappellera à certains nostalgiques les riches heures du Neues Bayreuth avec ces deux immenses ellipses posées obliquement l'une au-dessus de l'autre. Tout d'abord, une ouverture au niveau supérieur qui laisse voir un ciel bleu où passent les nuages et qui évolue vers une nuit étoilée à l'acte III. Une autre ouverture recouverte d'immenses écrans LED posés à même le sol à la façon d'une piscine où des images numériques (signées Luis August Krawen) traduisent les états d'âmes des protagonistes qui – littéralement – marchent sur l'eau. Tout ici travaille l'espace dans une idée de grandeur et d'infini, nourrie par ces vidéos allégoriques des Hymnes à la Nuit de Novalis… Au fil de la soirée, on verra les images de mer agitée traduire les tourments amoureux ou se changer en flots sanglants quand intervient le meurtre de Morold.

Clay Hilley (Tristan), Catherine Foster (Isolde)

D'un bout à l'autre de la soirée, Schwab ne fait pas vraiment dans la dentelle avec des détails qui ont la dimension et la fonction de poteaux indicateurs sémantiques. D'abord ce couple de figurants montrés au fil des trois actes à trois âges différents : enfance, adolescence et vieillesse. Puis sur le côté de la scène, cette inscription en sanskrit ("Eternité"), dont la permanence en néon rouge vif marque au fer rouge le regard et l'intellect du spectateur… et ce côté spirituel-chic du sanskrit dont on supposera un lointain écho de la thématique de l'extase sexuelle Tristan-tantrisme inspirée par l'intérêt de Wagner pour le bouddhisme. La piscine-LED sert d'espace de projection (vidéo) et de fantasmes (softs), faisant défiler des images de comètes, des pluies d'étoiles ou bien l'immense pupille formant avec les bords du bassin un immense œil métaphysique et décoratif. Autre miroir aux alouettes : ces deux grands ensembles végétaux qui tombent sur scène au III et dont l'explication sera à chercher d'une part dans le poème Herr Tristant de Ulrich von Türheim, publié dans le programme de salle avec la fable d'Ovide Philémon et Baucis. Les deux récits déclinent l'image des deux plantes qui mêlent leurs branchages à l'instar des deux amants.

Un autre aspect embarrassant concerne les similitudes évidentes de la mise en scène de Roland Schwab avec les deux précédentes productions montées à Bayreuth. On peut parler tout d'abord de ces chaises longues rappelant celles du pont de paquebot chez Christoph Marthaler (2005–2012) et surtout le dispositif qui place en surplomb de la scène des personnages qui observent l'action depuis une galerie. Ainsi Marke et Melot surveillent le couple adultère évoluant dans un univers carcéral proche de celui qu'on avait chez Katharina Wagner (2015–2019). Les projecteurs de surveillance sont là également, manipulés non plus depuis les cintres mais directement sur scène par Melot braquant son faisceau accusateur sur Isolde. On retrouve enfin ce même voile de mariée que déchire ici Tristan (c'était Isolde en 2015) – autant d'emprunts dont la présence ne peut qu'interroger une fois de plus sur la pertinence et la portée de cette mise en scène.

Catherine Foster (Isolde), Christa Mayer (Brangäne)

La direction d'acteur moins que minimale abandonne les chanteurs en scène, ouvrant et refermant les bras, totalement immobiles et inexpressifs de longues minutes durant. On relève la tête régulièrement pour vérifier si rien n'a bougé mais c'est bel un bien un ennui pesant qui finit par emporter par le fond toute velléité de résistance. Les meilleurs moments se concentrent à la fin du II lorsque, en costume blanc et écartant les bras dans une pose rappelant Parsifal recevant le baptême, Tristan s'offre au désir d'une mort matérialisée par une pluie de rayons-néons éclatants…

Scéniquement soporifique, cette production à l'eau tiède dégage paradoxalement tout l'espace à un plateau vocal dont la bonne tenue relative ne saurait toutefois emporter la soirée vers les sommets. À commencer par le Tristan de Clay Hilley remplaçant pour cette reprise Stephen Gould. Le ténor américain livre une prestation dont la relative vaillance se dérobe parfois comme dans un duo d'amour qui fait entendre un métal assez fruste d'expression et de couleurs. La ligne est marquée mais sans reliefs dans une agonie qui peut faire douter de la capacité de l'interprète à comprendre le contenu littéraire du livret à ce moment-là. Solide et endurante, Catherine Foster projette son Isolde à la façon d'une Brunnhilde qui se serait égarée en Cornouailles. Si la longueur de notes est généreuse au point de supplanter son partenaire au II, l'expressivité générale reste très rectiligne et concentrée sur une endurance, certes respectable, mais trop tempérée pour convaincre. Christa Mayer offre à Brangäne une énergie et un contraste qui manquaient singulièrement l'autre jour à sa Fricka – capable d'une autorité qui transforme le court échange précédant le duo d'amour en écho subtil avec la scène Brunnhilde – Waltraute dans Götterdämmerung. Le Marke de Georg Zeppenfeld rappelle que le chant wagnérien est d'abord une affaire de phrasé et de style. Maîtrisant à la perfection ces deux paramètres, la basse allemande signe un souverain dont la blessure cède en réalisme pur à la noblesse pure de l'expression. Rien d'étonnant non plus à découvrir comment Olafur Sigurdarson reproduit en Melot le mordant et la puissance qui font le succès de son Alberich actuel. Vraie déception : le Kurwenal de Markus Eiche, un brin trop terne d'engagement et de projection pour convaincre réellement. L'émission brouillonne perturbe la qualité du phrasé, trop neutre et trop limité pour pouvoir séduire. On reste dans le tout juste passable pour Jorge Rodríguez-Norton (ein Hirt) ou Raimund Nolte (Ein Steuermann), dépassés en présence et en précision par Siyabonga Maqungo (Junger Seemann).

La direction de Markus Poschner inscrit ce Tristan dans un format expressif délibérément tourné vers des volumes et des hauteurs. Le geste ne prend aucune précaution pour dissimuler un goût pour une sonorité large et confortable, laissant parfois en chemin quelques détails comme ces nuances parfois bâclées dans la furie d'Isolde au I et des baisses de tension dans le duo d'amour. Le caractère épique de la fin du II exige davantage de resserrement dans la battue pour en extraire tout le caractère – rattrapée de belle manière par l'élégance des transitions et la montée de l'émotion dans le dernier acte.

Clay Hilley (Tristan)

 

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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.

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3 Commentaires

  1. Parlons d’abord du spectacle. « L’ambitus ». Décor unique pas mal conçu. Quelques beaux éclairages, mais pas renversants. Le plus grave, pas de direction d’acteur. Il existe bien une mise en scène, une idée : »éternité » écrit en sanscrit à jardin et au premier acte un couple d’enfants en avant-scène du prélude, un couple d’ado au 2 et de vieillards au Liebestod mais hormis cela rien de cohérent. Par contre je ne dirais certainement pas "alla Wieland" ! Les pauvres acteurs sont livrés à eux même. Ainsi la deuxième partie du 1, après l’arrivée de Tristan, est sans aucune tension (autre que la musique) avec une agitation ridicule qui en devient gênante. Au 2 le duo est moins caricatural mais un bon banc au pied d’un menhir (Wieland) serait préférable…et avec de bonnes chaussures (dixit Birgit Nilsson). Et au 3 ont craint que Tristan fait ce qu’il peut pour essayer de placer toutes les notes. Cependant une bonne idée : rendre visibles le hautbois et le basson (chaudement applaudis au rideau). Bref heureusement qu’il y avait la musique.
    L’orchestre était superbe, un choix de jouer dense sans être écrasant avec de beaux pianissimi aux cordes et de très beaux moment aux bois. Une direction plutôt rapide, mais nuancée : 1:20 au 1, 1:06 au 2 et 1:10 au 3.
    Pour le chant je distingue le 1 et le reste. En effet les longs échanges d’Isolde et Brangäne nécessitent une ponctuation et vue l’absence de direction d’acteurs celle-ci disparaît. Ainsi C Foster paraît uniformément véhémente, ce qui ne devrait pas être le cas. Quant à la confrontation avec Tristan, je l’ai dit, elle est massacrée : on ne peut pas juger du chant. Hormis cela elle est solide et tient bien le rôle. Tristan de C Hilley. Il est très bien dans les moments non tendus. Mais la voix perd sa couleur dans les exaspérations du délire et de l’attente du 3. Donc pas mal, je le préfère à Schager, braillard, mais j’avais été enthousiasmé par Gould en 2019. Ma référence reste Windgassen. Zeppenfeld toujours superbe…mais que le rôle de Marke est ennuyeux dans ce contexte. Eiche très moyen et Mayer très bien.
    Excellente réception du public et en particulier de Poschner. Je n’ai pas applaudi au 1 et volontiers ensuite.
    Donc ce n’est pas un Tristan inoubliable, mais la musique reste….
    Mes références : Garnier 1966, Bastille 2008 et Bayreuth 2019.

    • Avez vous vraiment aimé la mise en scène de Katarina Wagner en 2019?Je l’ai subie 2 fois et j’ai de loin préféré ce Tristan ( vu l’année dernière).
      Évidemment la musique est sublime.Tous les lecteurs de ce site en seront d’accord.

  2. Eh ! Oui ! Je dois dire honnêtement que ni la première vision en vidéo ni la première pour moi in loco ne m’ont pas enthousiasmé. Cependant après avoir repris la vidéo et tente d’écrire mes impressions, j’ai été convaincu et surtout subjugué par la der des der de fin août 2019.

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