Au milieu du XIXème siècle l’élite culturelle se passionne pour l’exotisme, l’orientalisme, le japonisme, dont les sujets sont une source d’inspiration intarissable. De nombreux récits légendaires dont Les Mille et une nuits demeure le plus célèbre, font alors leur apparition, peuplés de figures mythiques venues de contrées lointaines, aux noms étranges et évocateurs qui fascinent tout ensemble peintres, romanciers et compositeurs : Delacroix s’empare de La mort de Sardanapale, Flaubert fait rêver avec sa Salammbô, de Nerval avec Le voyage en Orient, tandis que Bizet, Delibes, Massenet, Messager, Ravel ou Roussel exaltent les sortilèges de l’Inde (Lakmé, Le Roi de Lahore, Padmâvatî..), de l’Egypte (Thaïs, Djamileh..) ou du soleil levant (Madame Chrysanthème..). Ce goût pour les contes ancestraux rapportés après de longs voyages, authentiques ou fantasmés, irriguent ainsi la production artistique française pour le plus grand bonheur du public, qui adhère à ce courant des plus dépaysant. Henri Rabaud né en 1873, ne fait pas exception à la règle et choisi de célébrer l’Orient au moment où les empires coloniaux atteignent leur paroxysme, glorifiés dans de grandioses expositions universelles. Marouf savetier du Caire, son second opéra-comique créé Salle Favart en 1914, est un agréable divertissement qui raconte avec fantaisie l’incroyable histoire d’un pauvre cordonnier qui après bien des pérégrinations connaitra l’amour et deviendra riche, grâce à l’intervention d’un bon génie. Tout ici est réuni pour faire vivre à l’auditoire une expérience inédite, située dans un Orient aux charmes suaves où l’on évoque l’Egypte, le Nil, mais aussi les souks, les sultans, les vizirs et autres mamelouks sur fond de pouvoir magique.
Le spectacle imaginé par Jérôme Deschamps en 2013 et repris ici pour quelques représentations, s’empare avec humour de chacun des codes propres à ce genre lyrique : décors de cartons pâte, costumes burlesques, jeux de scène truculents, second degré assumé – jusqu’à ces amusantes danses batraciennes – traduisent de manière très « cartoonesque » l’univers exotique dépeint par le librettiste Lucien Népoty et mis en musique par Rabaud. Habile orchestrateur, le compositeur développe une grande palette de couleurs et de moyens musicaux dont les thèmes orientaux sont pittoresques, mais dont l’inspiration reste assez faible à force de se répéter. Pauvre en ensembles et en parties chorales, l’œuvre souffre d’une écriture vocale limitée, sans lyrisme particulier, sans réelle singularité, à la différence de celle plus affirmée d’un Massenet, sans parler d’un certain Puccini qui, en matière d’exotisme, a imposé son style en quelques années en Italie et dans le monde entier, ou de la modernité dont fait preuve à la même époque Ravel avec sa voluptueuse Shéhérazade (1904) …
Succédant à Alain Altinoglu, Marc Minkowski avec l’aide des musiciens de l’Orchestre National Bordeaux-Aquitaine, défend cette partition légère et sans prétention avec sa sincérité habituelle, ne parvenant pas totalement à gommer certaines longueurs et à animer l’intrigue qui s’émousse quelque peu et que l’on aimerait voir résolue plus rapidement. Jean-Sébastien Bou récidive sa performance et livre une interprétation pleine de sensibilité et de fougue ; son savetier plein de verve qui encaisse d’abord les coups, avant de fuir son exécrable femme, la « calamiteuse » Fattoumah et de vivre une nouvelle vie en étant pris pour un autre, est un bonheur, le baryton en excellente voix prenant plaisir à s’illustrer dans un rôle purement comique aux antipodes de Pelléas, de Don Giovanni, ou d’Eugène Onéguine qui ont jalonné sa carrière. Celle qui deviendra sa compagne, la Princesse Saamcheddine, est ici la soprano Vanina Santoni, qui rappelle la jeune Manfrino (pas étonnant, puisqu’elle faisait partie de la distribution initiale), voix pleine et lumineuse un peu avare en nuance, mais au caractère bien trempé. Tant d’audace pourrait déplaire à son père, le Sultan aux graves opulents joué comme une basse-bouffe par Jean Teitgen, mais ce dernier préfère s’en prendre, à juste titre, au crapuleux Vizir que campe avec espièglerie l’excellent Franck Leguérinel (présent en 2013). Aurélia Legay véritable virago (Fattoumah), Lionel Peintre (Ali), Luc Bertin-Hugault (Ahmad le pâtissier), Valerio Contaldo (Le Fellah/un marchand), ou Luc Bertin-Hugault (Ahmad) sont de précieux comprimari tous parfaitement à leur place sur cet échiquier.