Invitée pour la première fois à Peralada en 2007, Sondra Radvanovsky a immédiatement fait la conquête du public catalan qui ne cesse depuis cette date de la fêter à chacune de ses apparitions. Acclamée en récital ou en concert, mais également dans le rôle de Norma en 2013, la cantatrice a accepté cette année d’honorer la mémoire de Montserrat Caballé, disparue en octobre 2018, à l’origine de l’existence du festival qu’elle fréquenta assidument entre 1983 et 2011. Accompagnée par son fidèle pianiste Anthony Manoli, l’artiste a élaboré un programme extrêmement ambitieux constitué d’airs baroques, de mélodies et d’airs d’opéra dans lesquels s’était illustrée avant elle la diva catalane.
Très en voix, Sondra Radvanovsky a tout d’abord brillé dans l’air de Caccini « Amarilli » puis dans celui de Durante « Danza, danza », rapide et nerveux, mais c’est surtout avec « Sento nel core » de Scarlatti, magnétique et concentré, qu’elle a su imposer au public son propre tempo avec cette page sobre et dépouillée. Prenant la parole avec le plus grand naturel pour expliquer ses choix et en profiter pour glisser une anecdote plus personnelle, la chanteuse a par la suite interprété avec le plus grand soin trois mélodies de Bellini, dont la célèbre et ô combien poétique « Ricordanza » qui reprend note à note le « Qui la voce » de I Puritani. La première partie se terminait avec deux pages lyriques marquées en leur temps par Caballé : l’air de Gulnara « Non so le tetre immagini » de Il Corsaro techniquement souverain legato, filati, phrasé sur le souffle n’ayant rien à envier à celui gravé en studio en 1968 (RCA Anton Guadagno) par celle dont la mémoire était honorée, puis celui de Roberto Devereux de Donizetti « L’amor suo mi fe’beata » confondant d’audace vocale, de plénitude et de liberté.
Un passage chez Rossini avec La Regata veneziana, un cycle appris lorsqu’elle était étudiante, chanté avec ce qu’il faut d’allure et de gouaille populaire, puis chez Puccini avec deux mélodies, « E l’uccellino » suivie par « Sole e amore » librement inspirée par La Bohème, et la cantatrice s’attaquait avec un indiscutable panache à Manon Lescaut ; bénéficiant de l’accompagnement quasi orchestral d’Anthony Manoli, véritable magicien capable de dépeindre en quelques accords les beautés de la partitions, son « Sola perduta abbandonata » vibrant, intense et désespéré, vécu de l’intérieur avec un sens inné du drame, a fait l’unanimité et suscité l’enthousiasme de l’auditoire, captivé par tant de réalisme et de profondeur dramatique.
Contrainte d’interrompre les premières phrases de la scène de Somnambulisme du Macbeth de Verdi – un nouveau titre qu’elle a prévu d’aborder prochainement – pour lutter contre une crise d’asthme inopinée, Sondra Radvanovsky a finalement exécuté cette page redoutable avec brio, recourant aux plus infimes nuances et aux inflexions les plus subtiles pour recréer la folie dans laquelle s’enfonce lentement Lady Macbeth après être devenue meurtrière et avant de disparaitre sur une ultime note filée et piano, un ré bémol longuement tenu, comme on en entend rarement.
Ayant retrouvé son assurance, la chanteuse applaudie à tout rompre aurait a pu se contenter d’un petit rappel avant de se retirer ; mais Sondra Radvanovsky n’est pas de ces artistes formatés au tempérament tiède. Avec son « Io son l’umile ancella » d’Adriana Lecouvreur si généreusement dispensé, au souffle interminable, « Un soffio e la mia voce », la cantatrice a pu montrer l’étendue de son art de diseuse. Son « Casta diva » aux tonalités argentées, chanté archet à la corde a fait délirer le public ivre de retrouver sa déesse qui se lançait sans attendre dans un extraordinaire « Vissi d’arte » de Tosca. L’air de La Wally « Ebben ne andro lontana » offert ensuite, en souvenir du concours des Voix nouvelles du Met qu’elle avait remporté il y a vingt-trois ans, quatrième bis chanté d’une voix à la fois indestructible et émouvante, a fait chavirer les auditeurs, ko mais heureux de pouvoir vivre de tels moments.
Sourire aux lèvres Sondra Radvanovsky a finalement pris congé de ce parterre à qui elle a pris soin d’annoncer qu’elle serait de retour l’an prochain dans une Aida où elle sera entourée par Piotr Beczala, Anita Rachvelishvili et Carlos Alvarez, avec l’hymne de Judy Garland « Somewhere over the rainbow », tout simplement sublime.