« Jacques Prévert, rêveur d’images ». Musée de Montmartre, du 18 octobre 2024 au 16 février 2025.

Commissariat : Eugénie Bachelot Prévert, artiste plasticienne, petite-fille de Jacques Prévert ; Alice S. Legé, docteur en histoire de l’art, responsable de la conservation du musée de Montmartre

 

 

Vernissage presse le 16 octobre au matin

Au Prévert bien connu, poète et scénariste, la nouvelle exposition du musée de Montmartre vient superposer un autre visage : Prévert ami des plus grands artistes et artiste lui-même. Pour des livres d’art, il collabora avec Picasso, Miró et bien d’autres. Et dans la lignée du mouvement surréaliste auquel il n’appartint que quelques années, il créa des collages qui n’ont rien à envier à ceux de Max Ernst.

 

Quand nous étions enfants, son nom était synonyme de « récitations », ces poésies que nous devions apprendre par cœur et réciter devant toute la classe. A l’adolescence, nous avons découvert qu’il avait écrit le scénario et les dialogues de ces films en noir et blanc que la télévision nationale n’hésitait pas, alors, à diffuser à une heure de grande écoute : Drôle de drame (1937), Les Visiteurs du soir (1942) ou Les Enfants du paradis (1945). Ce Jacques Prévert-là, celui que connaît le grand public, n’est pas absent de l’exposition que lui consacre le musée de Montmartre, mais c’est pourtant sur d’autres visages qu’elle s’attarde : le premier niveau de la visite se penche surtout sur ses liens avec les plus grands artistes de son époque (Picasso, Miró, Calder…), et le second est tout entier consacré à Prévert créateur d’œuvres visuelles, essentiellement des collages.

Pas d’anniversaire concernant les dates principales de la vie de Prévert (né en 1900, mort en 1977), mais en réalité un double anniversaire : le Centre Pompidou célèbre par une très ambitieuse manifestation le surréalisme né en 1924, or le poète devint membre du groupe dès l’année suivante, donc on commémorera dans quelques mois cette adhésion ; par ailleurs, dans un registre plus intime, Prévert s’installa en 1955 dans un appartement de la Cité Véron, derrière le Moulin Rouge, où il avait notamment Boris Vian pour voisin. A tous ceux qu’il a déjà fêtés, le musée ajoute donc un Montmartrois de plus, mais non des moindres. L’exposition a pour co-commissaire la propre petite-fille (« et unique ayant-droit ») de Jacques Prévert, née trois ans avant le décès de son illustre grand-père ; beaucoup d’œuvres présentées proviennent de sa collection personnelle.

Yves Tanguy, Le Testament de Jacques Prévert (La Rue du Château), 1925. Huile, graphite et grattage sur panneau marqueté. Suisse, collection particulière © Adagp, Paris, 2024

Les premières salles du parcours proposent quelques données biographiques, et l’on note au passage divers éléments significatifs : un grand-père royaliste et catholique fanatique, en réaction contre lequel Prévert s’inscrira résolument par la suite (comme son père, lui-même anticlérical), ou la rencontre en 1920, au cours de son service militaire, Yves Tanguy qui n’est pas encore peintre. Plus décisive, peut-être, l’amitié avec le futur éditeur et traducteur Marcel Duhamel ; quelques années plus tard, Prévert et Tanguy seront hébergés à Montparnasse, dans un appartement de la rue du Château appartenant à Duhamel, ledit appartement devant servir de berceau au surréalisme. Prévert ne sera cependant membre du mouvement que pendant cinq ans, la rupture étant consommée en 1930, lorsqu’il signe « Mort d’un Monsieur », pour le pamphlet Un Cadavre corédigé par douze surréalistes dont Desnos, Bataille, Vitrac, Leiris et Queneau. Au cours de la décennie suivante, Prévert fait du théâtre au sein du groupe Octobre, puis se met à travailler pour le cinéma, son nom restant durablement associé aux chefs‑d’œuvre de Marcel Carné (on notera la présence dans l’exposition de trois « scénarios » dessinés, étranges feuilles divisées en une série de personnages pour lesquels Prévert imagine une intrigue émaillée de dessins divers).

Jacques Prévert, scénario illustré pour Les Enfants du paradis, film de Marcel Carné, 1943. Crayons de couleur, encre. Collection La Cinémathèque française © Fatras – Succession Jacques Prévert / Adagp, Paris

C’est ensuite que commencent les découvertes, pour qui ne connaît de Prévert que le poète et dialoguiste. Après la Seconde Guerre mondiale, il se lie avec les plus grands artistes de son temps, parfois d’une véritable amitié, parfois de façon moins étroite. De ces relations témoignent en général un ou plusieurs ouvrages, livres d’art où l’on ne sait si le texte ou l’image prime. A un étonnant Portrait de Prévert dessiné au fusain par Picasso en 1956, dans un style qui évoque davantage Bernard Buffet, répond le Portrait de Picasso écrit en 1959 par Prévert, sans oublier Diurnes (1962), volume où des photographies prises par André Villers sont découpées par le peintre puis retravaillées par le photographe, le poète y entrelaçant son texte. Calder, dont il possède un mobile, se fait graveur pour le livre Fêtes (1971). Pour Miró, Prévert écrit un premier texte en 1956, leur deuxième collaboration, Adonides, se révélant une entreprise de longue haleine qui n’aboutira qu’un an après la mort du poète : le texte et l’image se mêlent plus étroitement que jamais, avec même des gaufrages dans le papier, sans que l’un ou l’autre domine. Prévert rendra hommage à Braque paysagiste après la mort du peintre, il collabore en 1964 avec Max Ernst pour un ouvrage inspiré par des dessins de l’artiste, et il préface aussi un ouvrage autour de Boccace où des illustrations de Chagall accompagnent des images bien plus anciennes, également suscitées par le Décaméron.

Mais c’est peut-être surtout Prévert artiste lui-même que l’on vient admirer dans cette exposition. A partir de 1943, par amour pour Janine Tricotet qui deviendra sa deuxième épouse, il réalise ce qui est peut-être son premier collage, en élaborant un cadre à base d’images de fleurs et de feuilles découpées dans des planches botaniques pour une photographie de sa compagne. En 1948, suite à une chute du haut du premier étage du bâtiment de la RTF, Prévert passe plusieurs jours dans le coma, et sa longue convalescence sera égayée par une pratique assidue du collage.

Jacques Prévert, Le Christ du Moulin-Rouge, 20 mars 1968. Collage sur carte postale, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la photographie © Fatras – Succession Jacques Prévert / Adagp

Les cibles sont claires : l’autorité, qu’elle soit spirituelle (le blasphème joyeux était un art cultivé par Prévert, et il vise aussi bien les dogmes que la papauté) ou temporelle (les dirigeants et la police sont régulièrement visés, ceux d’hier – Napoléon transformé en chenille verte portant le costume du sacre – ou d’aujourd’hui – la Cinquième République « des poulets » dénoncée en 1968). Pour le matériau découpé, les sources sont nombreuses, mais les images pieuses se prêtent d’autant mieux au détournement, comme un Catéchisme en image acheté à cet effet. Prévert ne s’attaque pas seulement à « l’art néo-sulpicien », pour reprendre un de ses titres, ni aux œuvres de ce que l’on honnissait alors en les appelant « pompiers » (tous les personnages du Saint François Borgia de Jean-Paul Laurens sont transformés en singes), mais aussi à des chefs‑d’œuvre de la Renaissance, comme le double portrait de Frédéric de Montefeltro et de son épouse par Piero della Francesca, où les visages deviennent un effrayant amas d’organes. La méthode Arcimboldo est en effet chère à Prévert, en témoigne son « Barbu mycocéphale ». Des photographies de ses amis Brassai et Izis lui servent parfois de point de départ. Et si Max Ernst, grand maître du collage, préfère s’en tenir au noir et blanc des gravures du XIXe siècle, Prévert ose la couleur.

Couleur encore, pour ces grands dessins de fleurs dont le poète ornait les pages de format A4 qui lui servaient d’agenda, notant ses rendez-vous à côté de marguerites aux pétales pointus. Et l’exposition se clôt sur une évocation du bureau de Prévert, reconstituée avec l’aide de sa descendante, présidente de l’association « Chez Jacques Prévert ».

Catalogue bilingue français-anglais, 176 pages, 120 illustrations, 22 x 28 cm, éditions In Fine / Musée de Montmartre, 35 euros

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.

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