Commissariat : Mathieu Deldicque, conservateur en chef du patrimoine, directeur du musée Condé, et Julien De Vos, conservateur général, directeur du service des Musées et du patrimoine culturel de la Province de Namur

 

Vernissage presse le mardi 22 octobre au matin

Si les Bruxellois ne s’étaient enflammés d’une ardeur patriotique en entendant le duo de Masaniello et de Pietro dans La Muette de Portici (dont le refrain sert de titre à cet article), la Belgique ne serait peut-être pas née en 1830, et c’est toute la vie de la fille aînée de Louis-Philippe qui en aurait été changée. En quittant sa patrie natale pour régner sur une patrie d’adoption, Louise d’Orléans conserva un intérêt pour l’art cultivé dès l’enfance, et sut notamment discerner en Winterhalter un peintre propre à cultiver la fibre dynastique.

Il y a dans cette exposition une forte composante belge, la chose est incontestable (il suffit d’ouvrir le catalogue pour croire feuilleter un album de Tintin, avec cette galerie de portraits en camaïeu sur la deuxième et troisième de couverture, exactement comme dans les volumes d’Hergé !). Mais la figure historique qu’elle honore n’en est pas moins française, n’en déplaise aux natifs d’outre-Quiévrain. Franco-belge, dira-t-on alors, la manifestation l’étant autant que le personnage. Le château de Chantilly et la province de Namur ont uni leurs forces pour commémorer la première reine des Belges, qui n’était autre que la fille aînée de Louis-Philippe, roi des Français.

Oui, mais qu’y a‑t‑il lieu de célébrer exactement ? Dans la famille d’Orléans – le duc d’Aumale, propriétaire et reconstructeur de Chantilly, était le neuvième des dix enfants de Louis-Philippe, – les plus en en vue ont déjà eu droit à des expositions. De toute évidence, Marie d’Orléans (1813–1839), la troisième, est celle à qui les musées ont le plus de raisons de s’intéresser : sculptrice, passionnée par le gothique, elle a laissé assez d’œuvres pour justifier un hommage, et le Louvre et Chantilly s’y sont attelés simultanément dès 2008 (des sculptures de Marie d’Orléans appartiennent par ailleurs aux collections permanentes du musée de la Vie romantique). L’aîné, Ferdinand-Philippe (1810–1842), vécut à peine plus longtemps, et s’il ne créa rien de ses mains, il eut au moins le bon goût d’être un mécène éclairé, comme l’a montré une importante exposition présentée en 2021 au musée de Montauban.

Marie d’Orléans, Triple étude de Louise d’Orléans, reine des Belges, de dos. 1832, lithographie, 39,2 x 56 cm. Chantilly, musée Condé, EST P 160

Mais de Louise d’Orléans, que pouvait-on montrer ? On la savait reine des Belges, et l’on pouvait soupçonner qu’à ce titre, il devait bien exister d’elle quelques portraits officiels et autres souvenirs familiaux. Méritait-elle davantage ? Eh bien oui, car l’exposition coorganisée par le musée Condé et par les musées de la province de Namur révèle que son intérêt pour les arts n’était pas loin d’égaler celui de ses frères et sœur. Elle non plus n’eut pas la vie longue, puisqu’elle décéda en 1850, à l’âge de trente-huit ans ; elle laissa une descendance un peu plus nombreuse, mais guère plus heureuse : le futur roi Léopold II, désormais considéré comme le boucher du Congo belge, et Charlotte, impératrice du Mexique, qui sombra dans la démence après l’exécution de son époux Maximilien, auquel elle survécut pendant soixante années. Et pour des raisons de géopolitique européenne, la pauvre Louise avait dû épouser à vingt ans un veuf de quarante-deux ans, aussi protestant qu’elle était catholique, aussi allemand qu’elle était française. L’iconographie de ce mariage a son versant officiel (une grande toile de 2 mètres 60 sur 4 mètres peinte par Joseph-Désiré Court, qui immortalise la cérémonie célébrée au château Compiègne en 1832) et son versant plus intime, Marie d’Orléans en ayant résumé la quintessence dans ces dessins de sa sœur de dos, partant pour l’Angleterre, baluchon à la main, résignée, ou en tenue de bal, donnant le bras, toujours de dos, à son époux qui la dépasse de bien plus d’une tête.

Si l’on dépasse ces données purement biographiques, on peut retenir que, comme les autres enfants de Louis-Philippe, Louise d’Orléans reçut une instruction soignée, notamment dans le domaine de l’art, puisqu’elle eut pour maîtres deux insignes artistes : Pierre-Joseph Redouté, le peintre des fleurs, et surtout Ary Scheffer, autre héros du musée de la Vie romantique, dont le Louvre expose le Paolo et Francesca et les Femmes souliotes dans la même « Salle Rouge » que les Delacroix et les Géricault. La reine des Belges savait donc manier l’aquarelle ou à la gouache, mais les exemples de sa production laissent voir que son talent en la matière n’excédait pas la copie d’après les maîtres ou la peinture animalière.

François-Marius Granet, Le Chœur des capucins. Après 1815, aquarelle, 22 x 16 cm. Bruxelles, APR, fonds Comtesse de Flandre, inv. 222 ; petit album romantique, fol. 71

En revanche, et c’est un secret qui était jusque-là gardé dans les châteaux royaux de Belgique, Louise d’Orléans collectionna, d’abord les dessins d’artiste en tant que princesse de France, puis les peintures en tant que reine. Dans ses albums à la somptueuse reliure de cuir, elle collait des dessins des artistes préférés de sa famille (Granet, Lami, Decamps, Dauzats… ou son propre frère François, prince de Joinville). Une fois sur le trône, elle estime de son devoir de protéger les artistes de son pays d’adoption, c’est-à-dire que bénéficièrent de sa protection autant les grands peintres romantiques belges, spécialistes de la peinture d’histoire, comme François-Joseph Navez, Louis Gallait, Nicaise De Keyser et Gustave Wappers, que les artistes animaliers et peintres de genre comme Eugène Verboeckhoven, Edouard Hamman et Charles Van Meer.

Pourtant, c’est le genre du portrait qui attira surtout l’attention de Louis d’Orléans. En tant que première reine des Belges, il lui incombait de trouver des artistes aptes à donner une image glorieuse de la dynastie fondée par elle et Léopold Ier. Ses premières tentatives la laissèrent insatisfaite : c’est à nouveau Court, déjà sollicité pour son mariage, qui peignit d’elle une effigie officielle (utilisée pour l’affiche de l’exposition), mais les portraits en pied laissés par Dubufe ou Decaisne ne purent satisfaire le modèle. Côté miniature, l’Anglais William Charles Ross parvint à traduire une personnalité, mais en 1837, à l’occasion d’un de ses rares retours en France, Louise découvrit un jeune peintre dont elle allait assurer le succès durable auprès des têtes couronnées. Franz Xaver Winterhalter était depuis peu installé à Paris, et se fit remarquer au Salon avec son Décaméron : la reine des Belges fut sans doute sensible à ce que le critique de la Revue des Deux Mondes qualifiait de « ravissante causerie », et commanda au jeune Allemand un portrait intime, avec son fils, puis des portraits d’apparat d’elle-même et de son époux. Les enfants royaux furent eux aussi copieusement portraiturés par Winterhalter.

 

 

Jean-Baptiste Van Eyken, Louis d’Orléans, reine des Belges, mourante. 1851, huile sur toile, 208 x 165 cm. Paris, Galerie Mendès

Après le parcours dans les salles du rez-de-chaussée, l’exposition se conclut dans la galerie de Psyché, où sont présentés deux toiles de très grand format, non loin des portraits du duc d’Aumale et de son épouse par le même Winterhalter. Après la mort de la reine en 1850, alors qu’elle séjournait à Ostende dans l’espoir que les bains de mer restaureraient sa santé déclinante, les édifices publics belges voulurent se doter d’une représentation, même posthume, de la première reine de leur nouvelle dynastie, et la commande échut à Fanny Corr, épouse d’ascendance irlandaise du sculpteur Guillaume Geefs, qui avait probablement côtoyé Louise d’Orléans de son vivant, son mari ayant réalisé des bustes des souverains et de leurs enfants. Mais on retient avant tout le portrait de la reine mourante par Jean-Baptiste van Eycken, scène d’agonie truffée de symboles édifiants, qui va de pair avec les images pieuses qui furent alors publiées, transformant la défunte en héroïne incarnant sa nouvelle patrie, et les objets personnels aussitôt transformés en reliques (souliers de bal, mitaines, etc.)

 

Catalogue sous la direction de Julien De Vos et de Mathieu Deldicque, réunissant des contributions de Mélonie Brassinne, Baudouin D’hoore, Anne Dion, Grégoire Franconie, Nicole Garnier-Pelle, Christophe Guy, Charbel Hakim, Axel Tixhon et Sophie Wittemans. 208 pages, 150 illustrations, éditions In Fine, 35 euros

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.
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