Presque tous les musées parisiens s’engouffrent dans la brèche des Jeux olympiques de 2024, en proposant des manifestations célébrant plus ou moins directement les sports. On se focalise parfois sur un thème limité – et l’on peut alors s’interroger sur la pertinence d’une exposition consacrée au design sportif dans telle institution habituée à présenter des peintures et des objets d’art, par exemple – mais les plus inventifs tentent d’élargir le sujet afin de ne pas trahir leur vocation. Citons « Victoire », qui permettait au musée de l’Armée d’associer le triomphe sportif au succès militaire. A partir de juin 2023, le Musée Galliera a proposé « La Mode en mouvement », qui doit se prolonger jusqu’en septembre 2025, à cela près que, les vêtements étant fragiles, surtout les plus anciens, il est parfois impossible de les montrer au public pendant plus de deux ans. La manifestation est donc découpée en trois volets, pour permettre de remplacer certaines pièces par d’autres, similaires. Depuis le 20 avril, on peut donc visiter « La Mode en mouvement 2 » : la parcours reste le même, mais certaines tenues ont regagné l’obscurité et la température réglée des réserves.
Bien sûr, le principe directeur est inchangé, et il s’appuie sur un questionnement plus large que celui de « Mode et sport », exposition présentée au musée des arts décoratifs cet automne-hiver. Le sport est mis à l’honneur, mais pas seulement, car il s’inscrit dans une réflexion sur le couple vêtement-mouvement, et se penche donc sur l’évolution des discours sur le corps et sur la façon dont il peut ou doit être habillé.


Voilà pourquoi les premiers pas dans les salles du sous-sol du musée Galliera peuvent s’avérer déconcertants. Le visiteur se retrouve face à une robe de la première moitié du XVIIIe siècle, robe d’apparat, richement brodée, mais c’est précisément comme exemple de vêtement limitant le mouvement qu’elle est présentée. Avec son corset et ses paniers, cette robe se soucie avant tout de parure et nullement de confort, comme il était alors jugé seyant pour les dames de la haute société. Malgré tout, en quelques décennies, tout se transforme, sous l’influence anglaise notamment : les tenues d’abord réservées aux déplacements à cheval transmettent bientôt leurs formes au vêtement ordinaire, et le goût de Marie-Antoinette pour une certaine « simplicité » la fait poser pour Vigée-Lebrun vêtue d’une souple robe de coton blanc ou « chemise à la Reine », dont la mode sera renforcée par le retour à l’Antique. Le règne du corset n’est pourtant pas fini, car il perdurera jusqu’au début du XXe siècle.
Les vitrines suivantes s’intéressent aux habits de cheval, robes d’amazone qui, loin d’avoir été immuables, ont évolué au gré des modes (manches gigot à l’époque romantique, ligne princesse vers 1900…). Sous le Second Empire, il est possible, grâce à un système de tirettes, de retrousser la crinoline afin de se mouvoir plus librement lorsque l’on se promène dans la nature. Une confrontation éloquente rapproche le vêtement de ville du vêtement de plage vers 1880 : à gauche, une robe à lourde tournure, chargée de dentelles ; à droite, un habit étrange à nos yeux d’aujourd’hui, composée d’un pantalon et d’une tunique en toile grossière, qui permettait aux dames de faire quelques pas dans la mer tout en restant décentes. Si les cache-poussières et autres manteaux d’automobilistes masquent tout le corps, les tenues de cyclistes font scandales car elles imposent la jupe-culotte. On remarque des efforts de contextualisation, les vêtements étant accompagnés d’affiches ou de peintures, de magazines ou d’objets renvoyant à l’univers dont ils sont extraits.


Après la ligne sinueuse que doit prendre le corps féminin à la Belle-Epoque, les années 1910 marquent, tout à fait en dehors des exercices sportifs, un pas vers moins de contrainte, Paul Poiret remplaçant le corset par une ceinture baleinée. C’est néanmoins aussi le temps des jupes entravées et des manteaux en entonnoir : libérer le corps n’est pas une priorité, mais un caprice esthétique réversible à volonté. La Première Guerre mondiale, en revanche, imposera des tenues plus « pratiques », beaucoup de femmes contribuant à l’effort de guerre, et les années 1920 entérinant le raccourcissement des jupes, que ce soit pour travailler ou pour danser..
L’exposition s’attarde inévitablement sur les Jeux Olympiques de 1924 : si les femmes y ont peu à peu conquis une place, certaines disciplines s’ouvrant lentement à elles, les journaux de mode se contentent sagement de proposer des modèles élégants pour assister aux épreuves, événement mondain comme un autre. Seule différence : les gravures de mode ont alors pour arrière-plan des terrains de sport… Malgré tout, certains types de vêtements s’introduisent dans la garde-robe féminine, sous l’influence sportive : c’est l’heure du « sweater », ce tricot dont l’allure rejoint celle des maillots comme en portaient une décennie auparavant les premiers champions cyclistes.
La Seconde Guerre mondiale a des effets comparables à la première : les femmes se déplaçant davantage à bicyclette, il leur faut des tenues adaptées. Le turban à la Simone de Beauvoir s’expliquerait par des nécessités pratiques : à vélo, il tient mieux qu’un chapeau (et il permet de dissimuler une chevelure moins soignée qu’en temps de paix). Les années 1950 voient l’apparition du sportswear chic (blouson rose de Schiaparelli), les sixties fascinées par la science-fiction proposent mini-jupes ou combinaisons unisexes. L’influence du sport, bien résumée par une ultime vitrine consacrée aux baskets, éclate aussi avec la tenue de surfeur pailletée conçue par Karl Lagerfeld pour Chanel en 1991.


Mais la visite ne s’arrête pas là, car une deuxième exposition est présentée dans la longue galerie en demi-cercle qui se déploie sous la cour du musée. Consacrée à la mode balnéaire, elle fait défiler près de deux siècles de maillots de bain et autres tenues de plage, de moins en moins couvrantes, de plus en plus propices au mouvement. Les tenues de natation se rapprochent du corps mais leur souplesse permet le confort, et la nudité progresse, sous un soleil désormais non plus fui mais recherché. L’élégance n’est pourtant pas perdue de vue, et les grands couturiers s’intéressent aux vacancières, concevant des ensembles combinant maillot une pièce et jupe assortie pour le soir, ou vêtements de plage tout aussi futuristes que les ensembles conçus à la même époque par Courrèges.
[Pas de catalogue à ma connaissance ; lien vers le compte rendu de l’expo Victoire dont il est question dans le premier paragraphe : Scabellum pedum tuorum – Wanderer (wanderersite.com) ]