« Horace Vernet, 1789–1863 »
Exposition au château de Versailles, du 14 novembre 2023 au 17 mars 2024.

Commissariat : Valérie Bajou, conservateur général au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

Scénographie : Antoine Fontaine, Roland Fontaine et Perrine Villemur

Château de Versailles, le 19 novembre 2023

Baudelaire détestait ses « toiles badigeonnées au galop », ses contemporains estimaient qu’il peignait « tous ses tableaux d’histoire au grand galop » pour arriver plus vite à la fortune et à la gloire : Horace Vernet sut s’imposer sous tous les régimes qui se succédèrent en France entre le premier Empire et le second. S’il pâtit peut-être à présent de sa réputation d’artiste officiel, l’exposition proposée par le château de Versailles permet de redécouvrir un talent aux multiples facettes.

Horace Vernet est un de ces peintres dont on a peine à croire qu’ils aient pu jouir en leur temps d’une telle gloire, alors qu’ils sont aujourd’hui sinon oubliés, du moins très peu présents dans les esprits. Qui pourrait ainsi imaginer qu’en 1855, lorsque la France organise sa toute première exposition universelle, l’école nationale de peinture était notamment honorée à travers trois grandes salles consacrées à Ingres, Delacroix et… Vernet ? Issu d’une dynastie d’artistes – son grand-père Joseph était peintre de marines, son père Carle se spécialisa vite dans les scènes historiques –, Horace Vernet reste surtout associé au règne de Louis-Philippe, qui lui confia d’importantes commandes dont on peut encore voir le fruit à Versailles. Il était donc assez logique que ledit château honore cet artiste à travers une exposition qui montre toutes les facettes de sa production.

On ne s’attardera pas sur l’heureux hasard qui le fit naître au Louvre en juin 1789 (son père, Prix de Rome 1782, venait d’être reçu à l’Académie et occupait à ce titre un atelier dans l’ancienne demeure royale). Horace Vernet reçoit les leçons de son père mais échoua au concours de Rome. Âgé d’une vingtaine d’années, il exécute un certain nombre de travaux alimentaires : petits portraits en pied conçus selon une formule éprouvée, gravures de mode, dessin de toile imprimée pour la manufacture de Jouy. Comme Géricault, son cadet de quelques années, il trouve sa véritable inspiration dans la peinture de chevaux. L’exposition de Versailles rapproche ainsi des œuvres conçues sur le même sujet par les Vernet père et fils et par Géricault : tandis que la « course de chevaux libres » à Rome inspire à ce dernier des variations d’une monumentalité rappelant la sculpture antique, les Vernet donnent plutôt dans le pittoresque italien. Pourtant, Horace témoigne d’une certaine fougue dans la représentation équestre, que confirmera son adhésion à l’école romantique. Il produit alors des œuvres inspirées notamment par la poésie anglo-saxonne, comme les deux toiles d’après le Mazeppa de Byron (1826), avec son cheval horrifié digne de Stubbs, ou l’étonnante Lenore d’après Bürger (1839) et son cavalier-spectre.

Vue de l’exposition : évocation de l’atelier d’Horace Vernet

Qui dit peinture hippique au XIXe siècle dit presque inévitablement peinture militaire, et le « cheval de bataille » devient vite le sujet privilégié d’Horace Vernet. Parmi les nombreux revirements politiques qui caractériseront cet artiste ayant vécu une époque riche en révolutions et en changements de régime, c’est d’abord comme admirateur de Napoléon qu’il se fait remarquer (il bénéficie dès 1811 d’une commande de portrait équestre émanant de Jérôme Bonparte). En 1821, ayant appris la nouvelle du décès de l’Empereur, il imagine aussitôt une Apothéose de Napoléon. Pour autant, le peintre travaille depuis plusieurs années pour Louis-Philippe d’Orléans ; en parallèle, il reçoit sous la Restauration des commandes de Louis XVIII, de Charles X, puis de Louis-Philippe roi des Français sous la monarchie de Juillet, signe d’une « souplesse » assez exceptionnelle, ses convictions privées n’ayant apparemment jamais été un obstacle (en 1822, pourtant, certaines de ses œuvres sont refusées au Salon, au motif qu’il y a représenté des cocardes tricolores…). Il sera également soigné par le Second Empire, lorsque lui sera confié le soin de dépeindre pour la postérité les grands moments de la guerre de Crimée. Comblé d’honneurs, chevalier de la Légion d’Honneur dès 1814 pour son action au sein de la Garde national, officier en 1825, commandeur en 1842, membre de l’Institut depuis 1826, Horace Vernet accède aussi à des fonctions prestigieuses, puisqu’il fut de 1828 à 1835 directeur de l’Académie de France à Rome : la Villa Médicis garde une trace de son passage puisqu’il y fit aménager la fameuse « chambre turque » que devait immortaliser Balthus un siècle après (et dont la scénographie d’Antoine Fontaine recrée la porte mauresque).

Vue de l’exposition ; au premier plan, La Prise de Tanger (œuvre inachevée, 1848).

Pourquoi cette turquerie ? Tout simplement parce qu’en mai 1833, Horace Vernet accomplit son premier voyage en Orient, c’est-à-dire en Afrique du nord (il passera ensuite six mois au Levant). Une commande officielle l’envoie peindre La Prise de Bône, glorieux épisode de la conquête de l’Algérie. Ce séjour marque un nouveau tournant dans la carrière de l’artiste, pour deux raisons. D’une part, ce n’est que le début d’une production d’œuvres patriotiques qui culmine avec les immenses toiles présentées en permanence dans les galeries historiques du château de Versailles : le parcours de l’exposition intègre inévitablement les « salles d’Afrique » par lesquelles Louis-Philippe entendait célébrer les exploits guerriers de ses fils, immenses espaces dont Vernet assura la décoration grâce à de non moins immenses scènes de bataille. Parmi ces gigantesques toiles horizontales qui font un peu songer aux panoramas chers à l’époque romantique, se détache une superbe marine, la Prise du Fort Saint-Jean d’Ulloa, 27 novembre 1838 ; on peut difficilement échapper à la Prise de la Smala d’Abd-el-Kader par le duc d’Aumale à Taguin, le 16 mai 1843, avec ses vingt-deux mètres de long. Et comme si cela ne suffisait pas, l’exposition inclut aussi une toile de plus de dix mètres, condamnée à l’inachèvement quand éclata la révolution de 1848, une Prise de Tanger où manque en fait la « prise », puisque seul l’arrière-plan en fut peint, superbe paysage exotique. Outre ces très grands formats, Vernet multiplia aussi les scènes pittoresques d’épisodes mineurs, montrant les à‑côtés des combats, comme l’étonnant Brebis allaitant un enfant (1848) ou Le Zouave trappiste (1856).

Vue de l’exposition ; Salle des Portraits (au fond, Portrait de Frère Philippe, 1845)

L’autre raison pour laquelle ce voyage en Algérie joue un rôle fondateur dans la carrière de Vernet, c’est qu’il se fait dès lors peintre orientaliste, comme avaient pu l’être Rubens ou Delacroix – lumineuse et théâtrale Chasse au lion (1836) prêtée par la Wallace Collection de Londres – mais aussi selon une veine typique de ces décennies. Alors qu’outre-Manche, Sir David Wilkie effectua en 1840 un voyage en Terre sainte d’où il rapportait assez d’esquisses pour révolutionner la peinture religieuse s’il n’était pas mort en mer lors du trajet retour l’année suivante, Horace Vernet découvre à son tour qu’il suffit d’observer les mœurs de l’Orient de son époque pour retrouver intactes les conditions de vie des protagonistes de la Bible. Là où Wilkie et ses émules britanniques voulaient appliquer cette méthode à la représentation d’épisodes de la vie du Christ, Vernet se concentre prudemment sur l’Ancien Testament ; il en exposa la théorie dans une conférence à l’Académie, Des rapports qui existent entre les costumes des anciens Hébreux et celui des Arabes modernes (1848).

L’exposition se termine sur un autre genre que Vernet pratiqua avec autant de succès aux yeux de ses contemporains. Son Portrait de frère Philippe, supérieur général de l’Institut des Frères des Ecoles chrétiennes, fut considéré comme le chef‑d’œuvre de son auteur dans ce domaine lorsqu’il fut présenté au Salon de 1845. On peut lui proposer d’autres effigies, plus sensuelles ou plus personnelles, comme celles qui lui inspira sa fille Louise, épouse du peintre Delaroche, morte à 31 ans. Une autre salle rassemble des œuvres conçues en Italie, comme l’énorme Pape Pie VIII porté à la basilique Saint Pierre (1831) ; le célèbre Raphaël au Vatican (1832) est évoqué par des esquisses préparatoires, cette toile de trois mètres sur quatre étant restées au Louvre. On voit aussi le buste Vernet par Thorvaldsen et le portrait du sculpteur danois par le peintre français, ce qui annonce la toute fin du parcours, consacrée aux effigies de Vernet, dont la pilosité caractéristique fit à partir des années 1840 le bonheur des caricaturistes et des photographes.

Catalogue sous la direction de Valérie Bajou avec les éditions Faton
24 x 27 cm, 448 p., 54 € TTC
ISBN 978–2‑87844–344‑8
Novembre 2023

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.
Crédits photo : © Château de Versailles, S. Giles
© Château de Versailles, D. Saulnier

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