Par le flot tout est emporté : si vous cherchez à échapper aux Jeux olympiques, ne croyez pas pouvoir vous réfugier dans les musées pour les oublier, car eux aussi célèbrent l’événement. Puisque tous les musées de la ville de Paris sont soumis à l’exercice, le plus généraliste d’entre eux se devait d’y aller lui aussi de sa présentation spéciale pour l’occasion. Les collections du Petit Palais étant riches et très diversifiées, c’est sans trop de difficultés qu’il est possible d’y proposer non pas une exposition isolée dans un lieu précis, mais un parcours de visite à travers les salles habituelles du musée, où des cartels arborant les couleurs olympiques signalent une cinquantaine d’œuvres mises en avant de manière exceptionnelle, parce qu’il est permis de leur trouver un lien avec les différentes épreuves qui se succéderont à Paris en juillet-août. Si toutes ces peintures, sculptures ou dessins n’ont pas toutes un rapport direct avec les disciplines sportives, un titre aussi souple que « Le Corps en mouvement » permet néanmoins de les y rattacher.
Chronologiquement, le Petit Palais bénéficiant grâce au legs Duthuit d’une belle collection d’antiquités grecques, tout commence par une évocation de la naissance des Jeux, vers 776 avant notre ère. Quatre objets ont été retenus : deux amphores et une coupe à figures rouges, représentant les exercices de la palestre, la déesse de la victoire, ou le discobole, qui inspire aussi une très petite statuette en bronze. Et comme il fallait dans l’idéal associer chacun des départements du musée, on est même allé chercher une des œuvres de la salle des icônes (legs Roger Cabal) pour reconnaître une sorte d’athlète en saint Georges terrassant le dragon, en développant tout un discours sur les qualités de la chevalerie, mises en rapport avec celles des sportifs de haut niveau, ainsi que sur la notion de dépassement de soi.

La représentation du corps en mouvement est un sujet que l’on pourrait étudier dans toute la peinture occidentale du Moyen Age à nos jours : si l’on exclut les portraits, le plus souvent statiques, beaucoup de genres picturaux représentent des incidents ou des événements dont les protagonistes se déplacent dans l’espace. Le Petit Palais a donc sagement choisi de se concentrer sur les œuvres graphiques pour traverser rapidement plusieurs siècles : une gravure de Dürer, un dessin de Rembrandt, et une superbe académie de Proud’hon, qui mettent en valeur l’anatomie des personnages nus. Et l’on peut y ajouter une tapisserie de Beauvais à sujet « sportif », où des enfants jouent au volant.
Après quoi le Petit Palais se focalise à juste titre sur l’un des points forts de ses collections : l’art vers 1900, français surtout (signalons tout de même une superbe lithographie du Britannique Walter Crane). Du sport, il y en a un peu tout de même, avec l’esquisse de Falguière pour ses Lutteurs, ou les eaux-fortes d’Edgar Chahine montrant des artistes de rue, lutteurs ou funambules. Et puisque ces dernières sont en fait appelés « danseuses de corde », force est de reconnaître la part essentielle jouée par la danse : ce n’est pas une discipline olympique, mais c’est un art où le corps a fort à faire, et qui a beaucoup intéressé les peintres à partir du milieu du XIXe siècle.

Corps en mouvement, donc, pour les Trois Grâces de Carpeaux, groupe qui reprend en fait les nymphes entourant le génie de la danse sur la façade de l’Opéra. Corps en mouvement pour les différentes œuvres suscitées par la Loïe Fuller et sa danse serpentine, par la Belle Otéro, qui ne fut pas qu’une horizontale puisqu’elle se produisait aux Folies-Bergère et au Moulin-Rouge, ou par Isadora Duncan, sculptures principalement, car comment mieux évoquer le déploiement d’un corps dans l’espace. La danse se dessine aussi, et l’on revoit avec plaisir deux des sept grands panneaux au crayon réalisés par Fernand Pelez (peintre auquel le Petit Palais avait consacré une belle rétrospective en 2009 : on y admire l’étonnant raccourci du corps de l’une, et le profil hiératique de l’autre, digne de Seurat. Les vitrines de sculpture permettent aussi d’attirer l’attention sur des artistes qui n’ont pas (encore) eu l’honneur d’une remise sous les projecteurs, comme Jules Desbois. De ce sculpteur, on connaît l’extraordinaire Misère en chêne (commande de l’Etat, musée de Nancy), mais on découvre aussi une Salomé (1911) aux bras dressés, tordue par l’ardeur dans sa danse, et surtout une étonnante Nageuse (1903) en biscuit, dont le corps s’étend entre deux supports dans une figure que ne valideraient pas forcément le jury des Jeux Olympiques.
Car des sportifs et des sportives, il y en a aussi. En peinture, les portraits de jeune fille s’y prêtent : Léon Comerre en montre un à bicyclette, Jacques-Emile Blanche représente Mlle Meuriot sur son poney. Parmi les grandes sculptures déployées au rez-de-chaussée, parmi les inévitables danseuses (audacieuse Sacha Lyo de 1932 par Serge Youriévitch), les personnages mythologiques (Orphée ou Diane, retenus pour leur description de corps actifs) ou les travailleurs en pleine action (un Botteleur de foin, un Dénicheur d’aigles), on remarque un marbre de Femme à l’arc (1905) de Jules Desbois, cité plus haut.

On aimerait en savoir plus sur le curieux sculpteur Pierre Roche (pseudonyme de Fernand Massignon, 1855–1922) dont sont présentés deux « gypsotypies sur papier », estampes expérimentales grâce auxquelles il donne un relief au papier utilisé pour des cartes de vœux assez déconcertantes. En 1910, une sportive féminine s’accompagne du slogan « Lance hardiment au loin ton poids, année nouvelle », et en 1913, une autre est exhortée en ces termes : « Saisis l’aviron, espérance du nouvel an ».
L’œuvre la plus récente est Le Nageur d’Augustin Rouart (1943), avec ses vagues stylisées renvoyant vers l’esthétisme de décennies antérieures, mais le parcours ne s’arrête pas là, puisqu’il a été décidé de solliciter une douzaine d’athlètes français qui livrent leurs réflexions sur les liens entre art et sport, notamment sous la forme de vidéos. Leur photographie auprès d’une des œuvres est également visible, et le visiteur y enrichira même son vocabulaire en apprenant ce qu’est une parabadiste, profession de Marilou Maurel, athlète paralympique pratiquant le badminton.