La programmation musicale de ce Festival largement dominé par Les musiciens du Prince-Monaco dans trois programmes, comprenait donc, comme en miroir, un concert de la Deutsche Kammerphilharmonie Bremen sous la direction de son chef, Paavo Järvi, avec pour soliste la star Daniil Trifonov dans un programme comprenant la symphonie (n°31) en ré majeur KV297 (300a) Parisienne, le concerto pour piano et orchestre (n°25) en Ut majeur KV 503 et la Symphonie « Jupiter », en ut majeur, KV 551 en conclusion du concert.
Tout d’abord on reste frappé par l’excellence de cet orchestre prestigieux, pas toujours très connu, à la sonorité claire, brillante, qui propose un Mozart à la couleur traditionnelle, si on compare l’approche des Musiciens du prince-Monaco, dont la sonorité sur instruments anciens tranche. Mais justement, entendre ce Mozart sur instruments modernes aiguisait l’écoute, permettait des comparaisons entre le caractère presque rassurant d’une écoute habituelle, et la forêt profonde et surprenante de l’approche historiquement informée.
Un son aiguisé, très net, brillant, assez carré, sous la direction d’un Paavo Järvi très rigoureux, au geste précis, permettait de répondre avec brio et même allégresse à la symphonie KV 297 « Parisienne », composée par Mozart durant son séjour à Paris, alors qu’il avait 22 ans (1778) sur commission de Joseph Legros pour le « Concert Spirituel ». L’œuvre, écrite pour un orchestre plus important en nombre que ce qu’il connaissait à Salzbourg, a connu assez rapidement le succès, dès les premiers concerts parisiens puisque qu’après le dernier, Mozart, écrit-il à son père, est allé se récompenser en dégustant une glace au Palais Royal.
Riche en contrastes, au son assez puissant, la symphonie comprend des audaces mélodiques et des moments d’une particulière élégance que l’orchestre sait souligner avec grande souplesse et fluidité, notamment dans l’andante central. Le final ouvert par une brutale rupture de dynamique, qui ravit les premiers auditeurs, est ici conduit avec une grande clarté, laissant apparaître la complexité de la partition, la variété des entrelacs sonores, et avec une énergie soutenue sans toutefois jamais être débordante. Paavo Järvi maintient un cadre rigoureux et serré. Rien de trop…
Le concerto n° 25, KV 503, est l’un des derniers écrits par Mozart (1786), et constituait à cause de la présence de Daniil Trifonov, le plat « de choix » de la soirée.
Achevé en décembre 1786, entre Le nozze di Figaro et Don Giovanni, il inaugure une période de raréfaction de la production pianistique de Mozart, puisqu’il n’écrira plus que trois concertos pour piano dans les cinq dernières années de sa vie alors qu’il était considéré comme un virtuose du genre ayant renouvelé l’écriture pianistique.
L’œuvre ici exécutée montre combien on est loin de la seule exhibition virtuose d’un soliste que l’orchestre ne ferait qu’accompagner, l’écriture est en effet étroitement interdépendante, proposant une conception formelle nouvelle, plus complexe et nous en avons ici une démonstration éclatante.
En effet, la richesse instrumentale de la partition orchestrale avec flûte, hautbois, bassons, cors, trompettes, timbales montre l’importance d’une tendance « symphonique » confortée par l’introduction orchestrale, l’une des plus longues de la production concertante de Mozart, menée ici avec énergie, mais aussi une grande clarté, qui fait découvrir la richesse de l’exercice de style, présentant deux thèmes alternés, de manière à la fois fluide et très scandé, en un « en même temps » parfaitement maîtrisé par un orchestre exceptionnel de couleur, sur lequel le piano semble intervenir comme par effraction tant l’introduction symphonique dessinait un monde différent. La couleur et la fluidité du piano s’enchainent parfaitement à l’orchestre qui sait aussi parfaitement répondre en écho au toucher léger presque effleuré d’un Trifonov presque primesautier, naïf, juvénile, qui se transforme dans l’andante qui suit en un de ces moments indicibles de poésie, faits de sons aux limites du perceptible et pourtant nets, aux effets incroyables d’émotion contenue, et de délicatesse, avec un orchestre particulièrement en osmose, se tressant sans rupture au soliste. À aucun moment, Trifonov ne travaille sur l’effet ou sur la rhétorique au sens péjoratif du terme, mais sur une sorte d’expression venue de racines du plus profond de soi, avec des variations de phrasé, composant un ensemble aux couleurs multiples dans un feu intérieur vivace, en suspension (dialogue avec les vents…) vaguement pathétique avec une retenue qui tranche avec le mouvement précédent, une retenue presque résignée, à la limite du mélancolique qui rappelle certains moments des Nozze di Figaro, un sommet.
Le rondo final laisse place à plusieurs expressions en contraste entre les cordes et les vents, un peu plus rudes et moins fluides, laissant un piano moins intérieur que précédemment mais incroyable techniquement. Toujours dans la même veine qui allie l’absence de rhétorique et une certaine simplicité, sans jamais de complaisance égotique, Trifonov est hallucinant par son côté aérien, qui masquerait presque la prouesse, dans une sorte de tourbillon au jeu qui semblerait enfantin, tant le piano semble à la souriant et libéré, et aussi techniquement ahurissant avec un pianiste au contraire complètement immergé concentré, isolé dans son monde. Et l’orchestre dans le jeu subtil notamment entre les vents et le soliste, ne se montre ni dominant ni secondaire : soliste et orchestre se prolongent l’un l’autre. Prodigieux.
En bis, adagio céleste de la Sonate KV 332 qui met la salle en délire.
Pièce finale du concert, la Symphonie « Jupiter » n°41 KV 551 ponctue en point d’orgue un programme qui met fortement en exergue un Mozart symphonique, maniant les relations entre les différents pupitres, les sons qui se répondent, les ruptures et les contrastes où la Deutsche Kammerphilharmonie a montré une incroyable ductilité, et une capacité à exposer sans jamais être « envahissante », dans un vrai classicisme et composant en même temps un tableau aux milles couleurs et aux mille formes. Et cette Jupiter est exemplaire par la mise en son, par la mise en valeur des sonorités, par le brillant. Peut-être plus démonstrative qu’intérieure, comme si au terme du concert la volonté était de montrer l’orchestre dans ses œuvres et sa technicité plus que l’œuvre dans sa profondeur. Dix ans la séparent de la symphonie parisienne jouée en ouverture du concert, et on ne perçoit pas toujours le bond en avant. Il reste que la performance orchestrale est exceptionnelle, notamment dans le mouvement final que toute la symphonie prépare, avec son jeu entre fugue et forme sonate, et son côté brillant et solaire, une brillance qui masque peut-être la part d’ombre d’un Mozart qui à l’époque de la composition connaissait encore des difficultés dans une Vienne qui continuait à ne pas totalement lui réussir. Il reste que la « performance » au strict sens du terme, est absolument remarquable.
En bis, Järvi quitte Mozart pour les rives de Sibelius, idiomatiques pour lui, avec une belle et profonde exécution de la valse triste qui conclut en triomphe la soirée.