Programme

Johannes Brahms
Ouverture tragique, op.81

Robert Schumann
Concerto pour violoncelle et orchestre en la mineur, op.129

Anton Dvorák
Symphonie n°7 en ré mineur, op.70

Nicolas Altstaedt, violoncelle
Orchestre des Champs-Elysées

Direction musicale : Philippe Herreweghe

Boulogne-Billancourt, La Seine Musicale, samedi 16 octobre 2021 à 20h30

C’est un programme résolument romantique qu’ont proposé Philippe Herreweghe et l’Orchestre des Champs-Elysées à la Seine Musicale, en réunissant l’Ouverture tragique de Brahms, le Concerto pour violoncelle de Schumann et la Symphonie n°7 de Dvorák. Si l’orchestre ne parvient pas totalement à convaincre, manquant d’équilibre entre les pupitres et de nuances, le violoncelliste Nicolas Altstaedt livre en revanche une très belle prestation du concerto de Schumann, lyrique, dense et expressive. 

 

Philippe Herreweghe

 

C’est un programme particulièrement riche en tension dramatique et en grands effets tragiques que l’Orchestre des Champs-Elysées a proposé au public de la Seine Musicale pour un concert sans temps mort et construit autour de trois grands maîtres du Romantisme : Brahms, Schumann et Dvorák. Dirigé par Philippe Herreweghe, l’ensemble accueille en soliste le violoncelliste germano-français Nicolas Altstaedt, que l’éclectisme de son répertoire (allant du XVIIème siècle à la musique contemporaine) n’empêche pas de revenir aux « fondamentaux » de la musique composée pour le violoncelle. Jalon essentiel pour cet instrument, ouvrant la voie à tous les grands concertos romantiques, le Concerto pour violoncelle et orchestre de Schumann est également une œuvre importante pour Nicolas Altstaedt puisqu’elle a marqué ses débuts internationaux en 2010 avec les Wiener Philharmoniker placés sous la direction de Gustavo Dudamel ; associée ici à l’Ouverture tragique de Brahms et à la Symphonie n°7 de Dvorák, la soirée promettait du pathos, du drame, et surtout un lyrisme constant.

L’Ouverture tragique de Brahms fait partie de ces pièces courtes du répertoire orchestral que les ensembles se plaisent à interpréter afin d’imposer, d’emblée, la couleur et le caractère du concert. Très beethovenienne dans l’esprit (il suffit d’écouter les premiers accords !), sombre, tourmentée, l’œuvre est parfaitement structurée et cohérente sous sa forme sonate qui laisse place à quelques pages plus apaisées et lyriques, avant que la réexposition ne réaffirme son thème orageux et ne s’achève dans une atmosphère résolument dramatique.

On connaît l’élan et la force expressive dont l’Orchestre des Champs-Elysées est capable ; mais à trop vouloir faire entendre le tragique, à trop vouloir, peut-être, tout souligner dans l’écriture de Brahms, c’est une ouverture brouillonne que l’on entend d’abord : la direction ne hiérarchise pas les voix, les premiers violons, au jeu très acéré, écrasent un peu leurs collègues, les vents peinent à se faire entendre du fond de la scène… A tous parler en même temps, on ne perçoit plus bien le discours, noyé sous les timbres. A la réexposition heureusement, la masse orchestrale retrouve de la définition, les cordes gagnent en moelleux et les pages fuguées sont même tout à fait limpides : le discours n’est plus étouffé et l’expressivité n’en est pas moindre. On soulignera tout particulièrement les interventions des trombones qui ont su se faire entendre et donner un relief intéressant. Disons que cette Ouverture tragique a permis à l’orchestre de trouver ses marques et finalement une forme d’équilibre.

Nicolas Altstaedt

 

Mais dans le premier mouvement du Concerto pour violoncelle en la mineur de Schumann, l’orchestre et le soliste peinent à trouver leur juste place. Il faut dire que face aux cordes extrêmement lyriques et rutilantes de l’Orchestre des Champs-Elysées, le son beaucoup plus feutré de Nicolas Altstaedt avait tendance à être recouvert et envahi par la masse qui l’entourait. Le lyrisme du violoncelliste dans ce premier mouvement ne s’exprime pas en effet par de grands déploiements, ou par un son brillant et affûté : il s’exprime par un legato superbe qui fait entendre la partition de Schumann comme un long chant jamais interrompu – ce qui est d’autant plus évident au sein d’une œuvre où les mouvements s’enchaînent sans pause. Soliste et orchestre n’étaient donc pas d’emblée sur la même longueur d’ondes, mais le deuxième mouvement a permis de rétablir un bel équilibre entre tous les musiciens. Schumann y construit en effet un écrin orchestral où le violoncelle peut se déployer librement. Mieux encore, il crée un dialogue entre le soliste et le violoncelle solo de l’orchestre, le second venant donner de la profondeur au premier, et une sorte d’écho qui le fait résonner davantage. Nicolas Altstaedt trouve ici un son assez différent du premier mouvement, beaucoup plus profond, plus vibrant. On a du mal à croire que Schumann ait pu écrire une partition aussi touchante, apaisée même alors qu’il était déjà sujet à des crises hallucinatoires ; mais le mouvement se déploie avec une simplicité superbe et Nicolas Altstaedt assume l’absence de virtuosité, d’éclat par un jeu essentiellement intimiste où le timbre de l’instrument, le legato et le phrasé portent à eux seuls toute l’intensité de cette musique.

On l’a dit, ce concerto ne donne pas au soliste l’occasion d’étaler sa virtuosité – à peine a‑t‑il droit à une cadence dans le dernier mouvement ! Mais celui-ci est servi ici par une ligne impeccablement dessinée, par des phrasés acérés et l’écriture très dialogique avec l’orchestre permet de résoudre les problèmes d’équilibre qui s’étaient posés plus tôt dans l’œuvre. Derrière ses allures décontractées, Nicolas Altstaedt tient en réalité le concerto d’une main de maître et assume sa vision de l’œuvre. On regrette que Philippe Herreweghe n’ait pas donné autant de lyrisme à sa direction et que l’orchestre, là encore, n’ait pas fait preuve d’autant de relief et de couleurs.

La Symphonie n°7 de Dvorák convient bien mieux au tempérament de l’Orchestre des Champs-Elysées par son caractère enlevé, dense, riche. Mais on se retrouve encore et toujours face aux mêmes problèmes : le déséquilibre entre les pupitres, et surtout un spectre de nuances beaucoup trop réduit. Du mezzo-forte au forte (voire au fortissimo), la différence n’est pas flagrante avec cet ensemble : on ne peut donc pas avoir de vrai crescendo, et encore moins de vrai contraste. Les cordes jouent trop souvent forte, quitte à étouffer les vents dans le premier mouvement : le cor à l’entrée du second thème parvient à se faire entendre, mais les trilles de la flûte, et ensuite les interventions des clarinettes et des hautbois, semblent bien lointains. C’est dommage dans une œuvre qui use merveilleusement des timbres de l’orchestre et avec un ensemble dont tous les pupitres ont des qualités évidentes (on pense notamment aux cors, qui trouvent l’occasion de briller par leur musicalité dans le deuxième mouvement). Heureusement le troisième mouvement, reposant sur des effets de dialogue au sein de l’orchestre, rétablit de fait une égalité entre les voix. Les accents tragiques et les élans de la partition souffrent également moins du manque de nuances : ces pages sont ainsi tout à fait réussies, d’une belle intensité, et le finale profite lui aussi de l’expressivité et de l’énergie de l’orchestre. Le concert se termine donc sur une note beaucoup plus positive qui nous réconcilie avec la direction de Philippe Herreweghe.

Est-ce le programme qui lui a fait perdre de vue le souci du relief et du détail, sacrifié au tragique et à l’intensité des œuvres ? Est-ce par excès d’expressivité que l’on a perdu le contraste ? C’est dommage avec un orchestre qui possède de très beaux moyens et qui aurait seulement eu besoin d’être plus précisément et fermement dirigé. On retiendra donc de cette soirée ses dernières pages, où la musique de Dvorák emporte tout sur son passage, et surtout la sensibilité avec laquelle Nicolas Altstaedt a abordé le concerto de Schumann – prouvant qu’il est sans hésitation l’un des violoncellistes les plus intéressants de sa génération.

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Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.
Crédits photo : © Marco Borggreve (Nicolas Alstaedt)
© Wouter Maeckelberghe (Philippe Herreweghe)

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