En Italie et ailleurs, les institutions qui veulent commémorer ou célébrer ont l’alternative de proposer ou le Requiem de Verdi ou la IXème de Beethoven. La IXe avec sa valence humaniste, son poids symbolique convenait sans doute mieux en cette période d’épidémie pour une célébration de la joie et de l’amitié.
Il y avait en effet nécessité à affirmer cette valeur symbolique : la IXe est l’hymne européen et le Covid a mis à mal la cohésion des états membres de l’UE, dans un chacun pour soi où la médiocrité en a disputé à la stupidité. Et les italiens en ont souffert, bien seuls au début de l’épidémie. L’Italie sort en plus depuis quelques mois d’un gouvernement de droite et d’extrême droite dont on chercherait en vain le message humaniste et la Région de Campanie est gérée par le Partito Democratico, de gauche, ouverte à l’Europe et à la Culture. Il y a donc plusieurs raisons à afficher la IXe, outre sa popularité, au moins celle du dernier mouvement, auprès du public.
Pour l’occasion, le président de la chambre des députés Roberto Fico s’est déplacé et le concert a donc commencé par l’hymne italien de Mameli (Fratelli d’Italia) et pour le concert outre l’Orchestre et les chœurs du San Carlo, on avait invité quatre solistes italiens bien connus, Maria Agresta, Daniela Barcellona, Antonio Poli et Roberto Tagliavini sous la direction du directeur musical du San Carlo, le chef slovaque Juraj Valčuha qui est aussi premier chef invité du Konzerhausorchester Berlin.
Une Neuvième est toujours un peu un quiz : l’œuvre est multiple, changeante, et peut-être plus qu’une autre abordée sous des angles très différents selon l’orchestre, le lieu, les circonstances. Il est clair que l’occasion se prêtait à une interprétation plutôt grandiose, par l’espace et le lieu apte à la célébration. Dans un concert de ce type, tout le monde attend l’Hymne à la joie, qui comme on le sait arrive après une petite heure de musique. Alors les trois premiers mouvements paraissent à ceux qui attendent d’une excessive longueur, en témoignent les bavardages ou l’usage un peu excessif du mobile.
Juraj Valčuha donne à son approche pourtant un rythme incisif, avec les deux premiers mouvements précis, au rythme serré, montrant par là également qu’il a bien en main un orchestre qui depuis la fin de l’Orchestre Scarlatti de la RAI (il y a plus de vingt ans) est la seule formation à Naples défendant le répertoire symphonique. On peut voir combien Valčuha – qui est un véritable chef de symphonique et pas seulement un chef d’opéra égaré- fait doser les volumes, en modulant, en laissant aussi les musiciens respirer et faire respirer la musique et stimulant son orchestre non seulement à jouer mais aussi à faire de la musique. Dans les deux premiers mouvements, énergiques, au rythme soutenu, il y a quelque chose qui palpite et qui emporte, et l’exécution se révèle de très bon niveau. La fin du premier mouvement avec son crescendo et sa rupture suscite d’ailleurs des applaudissements spontanés. Le deuxième mouvement ne laisse d’ailleurs pas indifférent avec sa scansion rapide, sa respiration haletante (malgré le passage malencontreux d’un avion), l’attention de l’assistance quelquefois relâchée est ici particulièrement concentrée, signe que quelque chose se passe. Un des beaux moments du concert avec un tempo qui ne se relâche pas.
C’est souvent l’adagio qui est le point de bascule d’une audition, situé avant le quatrième mouvement, par son lyrisme, sa couleur particulièrement mélancolique. Il y a vraiment un très beau moment, moins perturbé par la sonorisation, qui dans les « forte » sature légèrement. Moment toujours « suspendu », qui s’élargit et laisse entendre de jolis moments des instruments singuliers (les bois notamment) mais aussi des cordes de bonne facture : il y a un engagement de tout l’orchestre et une concentration qui font plaisir à voir, même si on préfèrerait quelquefois que le chef imprimât un tempo un peu plus retenu.
Le dernier mouvement élargit la perspective avec une introduction à l’orchestre assez vigoureuse et lyrique aussi dans son crescendo, et particulièrement limpide, puis l’entrée de la basse (Roberto Tagliavini) est impressionnante par la projection, le volume, les harmoniques. Cette entrée est redoutable, on le sait (Beethoven n’est pas toujours tendre avec les voix) et Tagliavini est vraiment impressionnant d’affirmation et de présence. Les autres solistes ne sont pas en reste : les parties solistes de la IXe ne sont pas très longues, mais souvent plutôt ardues et les deux voix féminines de Maria Agresta et Daniele Barcellona se conjuguent parfaitement, avec des moments vraiment exemplaires. Antonio Poli a une vraie vaillance malgré de menus problèmes de précision dans le suivi de la ligne beethovénienne mais au total ce quatuor vocal est particulièrement convaincant, ainsi que le chœur, dirigé par Gea Garatti Ansini, qui nous avait un peu déçu dans le Deutsches Requiem dirigé par Daniele Gatti au début du mois de février dernier. Mais la IXe leur est visiblement plus familière, et on ressent en même temps de la part de tous les participants la volonté de marquer cette soirée. L’Apothéose finale est un vrai moment de grâce qui conclut un des grands rendez-vous de cette programmation exceptionnelle de juillet, magnifié par la majesté du lieu.
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Nota : Juraj Valčuha dirigera l'Orchestre National de France dans la Symphonie n°2 de Schumann à l'Auditorium de Radio France le jeudi 17 septembre à 20h. Ceux qui ne le connaissent pas feraient bien d'aller l'écouter.