Michel Pignolet de Montéclair (1667–1737)
Beloved and betrayed, Montéclair’s miniature dramas for flute and voice

Carrie Henneman Shaw (soprano)
Leela Breithaupt (traverso)

Les Ordinaires

1 CD Naxos, 64'30"

Enregistré du 13 au 15 mai 2018 au Boutell Memorial Concert Hall, Northern Illinois University

Si Montéclair s’est imposé comme un compositeur phare de la musique baroque française et de plus en plus présent dans la discographie, l’ensemble Les Ordinaires accompagné de la soprano Carrie Henneman Shaw présenteici plusieurs pièces en premier enregistrement mondial et mettent à l’honneur les œuvres pour voix et flûte traversière. Si le titre de l’album promet des pièces riches en drame, l’interprétation ne parvient pas à rendre justice à la finesse d’écriture de Montéclair. Le programme vaut ainsi pour le panorama intéressant qu’il propose (cantates, brunettes, concert, airs) mais laisse un peu sur sa faim quant au travail proposé par les musiciens sur ces pièces. 

Bien qu’il n’ait pas laissé derrière lui une œuvre immense en quantité, Michel Pignolet de Montéclair a su s’imposer dans le répertoire des « baroqueux » et connaît même, depuis quelques années, une notoriété certaine au disque – que l’on pense à Eva Zaïcik et Le Consort dans leur album Venez chère ombre, à l’ensemble Odyssée dans Dancing with the Sun King ou encore à l’enregistrement de Jephté paru chez Glossa début 2020 et dont nous nous faisions l’écho sur ce site. La soprano Carrie Henneman Shaw, la flûtiste Leela Breithaupt et l’ensemble Les Ordinaires ont malgré tout déniché des airs gravés pour la première fois au disque et parcourent dans Beloved and Betrayed une trentaine d’années de la vie du compositeur (de 1696 à 1728 environ), et plus particulièrement ses pièces dédiées à la flûte traversière.

Montéclair fut en effet le témoin d’une période faste pour cet instrument, qui connaît dès les années 1670 des évolutions sans précédent dans sa facture : c’est notamment avec la célèbre famille Hotteterre que la flûte traversière se divise en trois morceaux (la tête, le corps et le pied), et surtout qu’elle devient capable de jouer tous les sons de la gamme chromatique. Nouvelles possibilités techniques, nouvelles possibilités expressives : l’instrument devient de plus en plus soliste au sein du répertoire où l’on met en valeur sa virtuosité et son lyrisme. Le traverso, comme on l’appelle souvent à l’époque, n’est pas seulement le peintre de couleurs pastorales ou un imitateur hors-pair du chant des oiseaux : il exprime aussi la plainte, accompagne la danse, ou devient un instrument principal dans les concertos.

Cette variété d’emplois se trouve particulièrement bien illustrée dans le programme de cet enregistrement nommé Beloved and Betrayed, Montéclair’s miniature dramas for flute and voice qui, malgré son titre, présente également des concertos et brunettes qui ne sont pas, en eux-mêmes, des pièces dramatiques. On s’attend en revanche, avec un tel intitulé, à ce que la musique soit chargée de sens, d’affects et d’une forme de narration. C’est le cas notamment de la cantate Ariane et Bachus (publiée en 1728) où Montéclair donne la parole à plusieurs personnages, depuis le désespoir d’Ariane délaissée par Thésée jusqu’à l’arrivée du dieu Bachus qui la console et lui offre l’immortalité. Ce travail narratif, doublé de figuralismes à l’orchestre (la viole imitant les mouvements de l’eau dans « Mais, quel Dieu fait frémir les ondes », les rythmes pointés et les syncopes au violon dans l’air final), appelle une interprétation fine, ciselée, soulignant les contrastes et les élans. Malheureusement on ne les trouve pas dans la voix de Carrie Henneman Shaw ; l’air d’Ariane « Plus cruel que le Minotaure » manque absolument d’engagement dramatique, de travail sur le texte, de nuances, de tout ce qui fait le cœur de l’écriture de Montéclair. La cantate se déroule sans qu’on en saisisse l’action, ni les effets de tension et de détente, et sans que la voix se déploie : on aurait voulu plus de rondeur, plus de matière, et surtout qu’elle se pare de couleurs. On est également étonnée que la fusion n’opère pas avec des musiciens pourtant rompus au répertoire baroque.

La déception se confirme dans Le Dépit généreux (publié en 1706) où le talent du compositeur s’exprime pourtant de manière frappante, parcourant en moins d’un quart d’heure une variété d’affects remarquable, tout en contrastes et ruptures tant dans les tempos que dans l’écriture. On notera tout particulièrement l’emploi de la flûte dans « Arbre épais, sombre feuillage », l’emploi du clavecin seul pour exprimer la colère du personnage, mais aussi le lyrisme du violon dans « Je sens finir mes peines », où les vocalises de la voix répondent à celles de l’instrument. L’ensemble Les Ordinaires y est plutôt convaincant, bien qu’il aurait pu aller plus loin dans le drame ; mais encore une fois la voix n’investit pas cette partition ni son texte. Jacqueline Nicolas et Eva Zaïcik étaient autrement plus éloquentes au disque, avec une intensité vocale et dramatique ainsi qu’un travail sur l’ornement dans les reprises qui font défaut ici. Certes la voix et la flûte sont bien présentes et mises en relief par le compositeur, mais on ne les entend pas se fondre ensemble, ni se répondre dans l’interprétation qu’en font Carrie Henneman Show et Leela Breithaupt.

On ne s’étendra pas sur les trois extraits du Recueil d’airs sérieux et à boire, enregistrés pour la toute première fois mais passant relativement inaperçus ; le Premier recueil de brunettes est autrement plus intéressant, notamment parce que cette forme musicale est relativement tombée dans l’oubli. En réalité, la mode de la brunette a été de bien courte durée, de la fin du XVIIème siècle au début du XVIIIème, mais n’en a pas moins incarné le goût pour le pastoral, les idylles des bergers et l’Arcadie rêvée qui faisaient fureur en France, sous la forme de petites chansons pour une seule voix, a cappella ou doublée. Les titres des brunettes enregistrées ici ne trompent pas, « Lisette aime son berger » côtoyant « Le beau berger Tircis » et « La bergère Célimène » ; mais Montéclair ne cède ni à la facilité ni à la mièvrerie et donne une couleur et des accents particuliers à chaque pièce. On retiendra notamment « Iris aux bords de Seine », où le violon imite les larmes d’Iris, et « Aimable solitude » où le dialogue entre la voix et la flûte se fait de manière dense et harmonieuse. Ces pièces semblent mieux convenir aux musiciens et à la soprano, et l’intérêt de l’auditeur est ainsi un peu relancé.

Mais c’est vraiment le Premier concert pour flûte et basse continue qui permet de mettre en valeur les qualités de l’ensemble Les Ordinaires, et notamment leur sens du dessin mélodique (dans « L’Auvergnate » par exemple) et la virtuosité du clavecin (dans « La Milanoise »). C’est sans doute l’œuvre qui convainc le plus, parce qu’on y sent davantage de nuances et de variété ; c’est dommage pour un enregistrement qui voulait mettre à l’honneur des pièces pour voix et flûte et le sens du drame déployé par Montéclair, et on reste un peu déçue devant un album au programme si prometteur

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Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.

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