Programme

Leonard Bernstein
Symphonie n° 2 pour piano et orchestre „The Age of Anxiety“
***
Ludwig van Beethoven
Symphonie n° 3 en mi bémol majeur op. 55

Berliner Philharmoniker
Sir Simon Rattle, direction musicale
Krystian Zimerman, piano

Festspielhaus Baden-Baden, 1er avril 2018

Deuxième concert de ce week-end de Pâques 2018, la très attendue prestation de Krystian Zimerman aux côtés de Sir Simon Rattle, pour célébrer ensemble le centenaire de Leonard Bernstein par l’exécution de la Symphonie n°2, « The Age of anxiety » pour piano et orchestre d’après W.H Auden, complétée par une plus classique Symphonie n°3 « Eroica » de Beethoven. Un concert contrasté qui peut-être n’a pas tenu toutes ses promesses.

 

Il y a de fortes affinités entre Sir Simon Rattle et la musique de Leonard Bernstein : on se souvient qu’un des premiers concerts du 31 décembre à Berlin fut dédié à une mémorable exécution du musical Wonderful Town, qu’il avait déjà enregistré à Birmingham et qu’il vient de reproposer avec le LSO. Mais il s’agit ici d’une œuvre plus ambitieuse, rarement jouée, que Krystian Zimerman a déjà exécutée sous la direction du compositeur en 1986, où Bernstein lui avait demandé s’il consentirait à jouer sous sa direction pour ses cent ans. Chose promise chose due : Bernstein n’est plus, mais il le fait avec d’autres chefs et surtout Sir Simon Rattle avec qui il a déjà proposé cette même symphonie avec le LSO en décembre dernier et qui clôturera en juin la saison de la Philharmonie et avec elle l'ère Rattle.
La Symphonie n°2 « The Age of Anxiety » a été créée en 1949 par le Boston Symphony Orchestra sous la direction de son chef Serge Koussevitsky, à qui elle est dédiée, avec Leonard Bernstein au piano. Elle a été révisée en 1965 et cette version a été créée par le Philharmonique de New York dirigée par Leonard Bernstein, avec au piano Philippe Entremont. C’est une symphonie en quatre mouvements et deux parties, la première en un prologue et deux moments : The Seven Ages et the Seven Stages faites au total de 14 variations, la seconde de trois moments, The Dirge, the Masque et un épilogue somptueux qui répond au prologue plutôt hiératique.
L’impressionnant dispositif orchestral laisse la part belle aux percussions de toutes sortes, avec deux pianos, l’un soliste, l’autre dans l’orchestre comme une ombre portée surtout à la fin : le piano soliste est tantôt ce qu’on attend dans un concerto, tantôt un instrument parmi d’autres et exige une vraie gymnastique du soliste qui doit suivre  avec attention l’orchestre. C’est le cas avec Krystian Zimerman qui ne quitte pas des yeux l’orchestre et les musiciens, se penchant vers eux, donnant les rythmes, encourageant presque, se retournant vers les musiciens lors des moments sans piano.
L’exécution de l’orchestre est évidemment brillantissime, dès le départ avec le solo de clarinettes (Ottensamer!) semblant émerger du néant, mais aussi avec les cuivres exceptionnels ou les deux harpes impressionnantes menée par Marie-Pierre Langlamet.
Le poème de W.H Auden, suivi par Bernstein, retrace la conversation de quatre individus (trois hommes et une femme) qui se rencontrent dans un bar qu’on imagine être presque un tableau d’Edward Hopper tant la correspondance des arts ici (littérature peinture et musique) impressionne et tant l'ambiance musicale dessinée par Bernstein est proche de sa peinture . Cette musique sait rentrer en elle-même en une retenue notable, voire une certaine noirceur ou une angoisse (marquée évidemment par le titre) d’un monde qui sort de la guerre.
Au lieu de travailler sur un thème développé classiquement en variations, chaque variation commence par s’appuyer sur les instruments de la variation précédente pour créer quelque chose de neuf. Ainsi se développent des points de vue qui sont à la fois tournés vers le passé mais qui évidemment amènent une progression vers le futur. Les berlinois dont ce n’est pas le répertoire, montrent évidemment les qualités de virtuoses qui sont les leurs, mais manquent peut-être (et encore!) de la familiarité idiomatique qu’un orchestre anglo-saxon pourrait avoir. Il reste que leur exécution est stupéfiante de précision et de justesse avec des morceaux d’une réelle virtuosité pris avec un tempo périlleux par Rattle. Zimerman dans ce répertoire est « juste », aucun maniérisme, aucune afféterie, mais une réelle présence presque brute, très sensible et particulièrement attentive aux échos orchestraux pour rendre la totalité de cette musique, qu’il embrasse avec gourmandise, en particulier dans le très jazzy « Masque ». MAsque précède l'épilogue en forme d’impressionnant crescendo où le piano disparaît mais où s’imposent cordes et percussions en une apothéose à la respiration exaltée où l’« anxiety » initiale semble disparaître et exploser en un éclatant sourire presque solaire, avec le son phénoménal des Berliner en exposition coloriste. Une œuvre exceptionnelle comme faite d’un théâtre sans paroles, mais qui ne cesse de construire des images. Une fête de correspondances baudelairiennes.
Krystian Zimerman est rare, et dans ce répertoire encore plus qu’il défend avec une ardeur et un engagement sans pareil. En bis une pochade qui commence en Sonate au clair de lune et finit en Happy birthday to you dédié évidemment à Lenny.

En seconde partie, comme pour revenir au répertoire très classique des Berliner et plus familier au public du Festival, une exécution de l’Eroica de Beethoven qui ne laissera pas de grands souvenirs. Ce Beethoven-là évidemment exécuté avec la patte des Berliner, qui sont des instrumentistes exceptionnels, ne fera que confirmer la fabuleuse sonorité de l’orchestre, sans convaincre d’un point de vue interprétatif. Avec un début digne des meilleurs films, qui met la salle en joie : un musicien n’ayant pas la bonne partition a dû se précipiter en coulisse pour aller la chercher, sous les commentaires amusés et pleins d’humour de Sir Simon Rattle,

Le son incomparable des Berliner et leur engagement dans le jeu ne masquent pas une interprétation sans vrai caractère, certes spectaculaire, précise avec un orchestre au sommet, mais qui reste superficielle (une marche funèbre grandiose mais sans véritable intériorité par exemple) malgré d’incontestables qualités de relief . Rattle s’y montre un grand technicien des formes, un merveilleux metteur en son, grand « concertatore » comme on dit en Italie, mais sans choix réels, sans surprise, sans vraie direction interprétative, comme s’il s’agissait d’une exécution de plus, et sans plus. Il faut chercher Rattle dans d’autres répertoires (Bernstein, par exemple…mais pas seulement) pour y trouver une vraie sensibilité. Il s’agissait d’un grand concert ordinaire…les Berliner quand même…
Même si pour ses adieux à Baden-Baden, il fallait que Sir Simon Rattle affiche quelque chose du répertoire classique de l'orchestre, le choix de mettre au programme Bernstein et Beethoven (le concert de la semaine précédente affichait la Septième) était peut-être erroné. Je suis sûr que le public aurait salué avec bonheur une suite de Bernstein (West Side Story) ou si les moyens financiers le permettaient, une reprise de Wonderful Town comme à Londres avec le LSO. Mais ce Beethoven semblait placé là faute d’autre chose, alors que tout le public était venu pour Zimerman et ce Bernstein rare et passionnant.

 

Avatar photo
Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.
Crédits photo : © Monika Rittershaus (Bandeau, répétitions)
© Michael Gregonowits (concert)

Autres articles

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire !
S'il vous plaît entrez votre nom ici