Ludwig Van Beethoven (1770–1827)

Triple Concerto en do majeur, opus 56
Créé en 1804 à Vienne

Allegro
Largo Attaca
Rondo Alla Polacca

Joseph Suk (1874–1935)

Symphonie en Do Mineur, opus 27, "Asrael"
Créée le 3 février 1907

Andante sostenuto
Andante
Vivace-Andante sostenuoto-Quasi tempo
Adagio
Adagio et Maestuoso-Allegro appassionato- Adagio e mesto

Aleksei Kiseliov, violoncelle
Martin Sturfält, piano
Julia Kretz-Larsson, premier violon et soliste

Orchestre de la Radio suédoise/Sveriges Radios Symfoniorkester
Daniel Harding
direction

Stockholm, Berwaldhallen, vendredi 9 décembre 2022, 19h.

Daniel Harding et l’Orchestre de la Radio suédoise poursuivent le fil rouge de la saison 2022–2023 consacrée à Dvořák. La symphonie Asrael de Joseph Suk, beau-fils du compositeur tchèque, est le cœur de cette programmation. La soirée prend une teinte très personnelle quand on apprend que le premier violon Julia Kretz-Larsson est une descendante de Suk et que les solistes du triple concerto de Beethoven sont issus de la phalange de l’Orchestre de la Radio suédoise. D’où une étrange impression de proximité pour un concert riche en émotions esthétiques.

Daniel Harding a choisi de placer la 2022–2023 sous le signe de Dvořák mais on peut imaginer que le cœur du projet était de s’attabler à la symphonie Asrael de Joseph Suk. Quoi qu’il en soit, elle en est le centre rayonnant, en milieu de saison. Comme pour Mahler, on peut établir des comparaisons, voire des intrications vie/composition avec les événements ayant présidé à la création de la symphonie Asrael. Son écriture débute en 1905 avec l’idée d’honorer son maître et beau-père Antonín Dvořák, récemment décédé et de placer cet éloge funèbre sous le patronage de l’ange Asrael. ll est l’ange de la mort pour les juifs, notant dans un livre les noms des hommes et les effaçant à leur décès. Pour les musulmans, lorsque le jour de la mort d’un homme approche, une feuille portant son nom tombe de l’arbre sous le trône d’Allah et l’ange doit séparer l’âme du corps du défunt dans les quarante jours qui suivent. C’est une figure complexe suivant les textes et les différentes interprétations mystiques, quoi qu’il en soit toujours liée à la mort. Pour les plus (ou moins) jeunes, c’est aussi le chat de Gargamel des Schtroumpfs de Peyo…

Joseph Suk écrira les trois premiers mouvements de sa symphonie en pensant à Dvořák mais, cruelle ironie du destin à la Mahler, Otilie, sa chère épouse décède quelques mois après son père. La Symphonie Asrael en est toute changée, perdant son caractère lumineux en conclusion, que Suk élimine finalement pour ajouter deux nouveaux mouvements dédiés à Otilie, plus légers et moins sombres sans pour autant perdre en intensité émotionnelle.

Pour précéder ce monument méconnu qu’est la symphonie Asrael, même si d’autres chefs tendent à introduire dans leurs programmes des œuvres de Joseph Suk, tels Petrenko à de nombreuses reprises, l’Orchestre de la Radio suédoise et Daniel Harding ont choisi le triple concerto de Beethoven, plus classique. Le premier violon((en binôme avec Malin Broman)) Julia Kretz-Larsson se retrouve ainsi entourée de Martin Sturfält au piano et de son collègue au sein de l’orchestre, Aleksei Kiseliov, au violoncelle solo. L’Allegro est doux voire moelleux avant de se faire plus vif et serré. Le Largo Attaca est interprété avec beaucoup de douceur comme un écrin duveteux enfin le rondo ala pollaca explose le côté chambriste, volontairement esquissé par Harding. Le chef s’efface ostensiblement, laisse la part belle aux solistes, concentrés mais peu avares de sourires entre eux. Tout est précis, plein de couleurs mais on est peu emporté par l’œuvre malgré l’engagement des solistes et la pleine mise à disposition de l’orchestre par Harding. C’est une pièce virtuose mais un peu froide qui fonctionne ce soir par la lumière personnelle des solistes, ici chez eux. C’est, on le sent, une pièce apéritive, de mise en valeur, de focus sur des membres éminents de l’orchestre.

 

Julia Kretz-Larsson, premier violon, Aleksei Kiseliov, violoncelle, Martin Sturfält, piano

Une courte pause, le temps d’augmenter considérablement l’orchestre et nous voilà lancés dans l’énorme symphonie Asrael, qui devrait trouver, au fil du temps et à mesure que des chefs la mettront à l’honneur, son public. C’est d’ailleurs l’un des chevaux de bataille de Harding , mettre en lumière ce genre de composition (Dream of Gerontius d’Elgar, The Planets de Holst, cette dernière une fois de plus au programme cette année).

Ici aussi, les parallèles avec Mahler sont faciles : orchestre large, importance primordiale des percussions, des harpes, timbres moirés, longue exécution, narration-destin prenant le pas sur l’intervention de figures mythiques (l’ange Asrael)…

Dès les trois premiers mouvements, consacrés plus précisément à Dvořák, on remarque que Harding se fait moins poète fougueux que savant metteur en sons. C’est la position qu’il tiendra tout au long du concert : gestes précis, battue sérieuse, en dehors de toute envolée lyrique improvisée.

L’Andante sostenuto est tout de lyrisme sombre avec un cor à la Tristan, un tuba qui évoque les circonvolutions d’un pesant Dragon, des cuivres qui claquent (incroyable triple apothéose avec des trombones impressionnants) et une clarinette basse qui creuse les abymes. On notera dans cette économie de concert, la retenue de Harding ce soir-là, avec le final des grosses caisses qu’on trouva étonnamment sourdes alors qu’on aurait, peut-être, attendu plus de puissance. Harding refuse donc ce soir-là, les effets appuyés, par trop convenus.

De l’Andante qui débute sur un étonnant accord de longues tenues flûtes/trompettes, on retiendra des timbales vraiment funèbres, des accords de cordes vraiment paradisiaques, éthérées qui rappellent Lohengrin, ainsi que des harpes discrètes puis surprenantes sur des moments orientalisants faisant surgir des images sonores du désert, avec une fin tout en pizzicati vraiment prodigieux.

Le troisième mouvement, Vivace, est puissant sans lourdeurs (ensemble flûte/clarinette étonnant). Le solo de violon (Julia Kretz-Larsson encore sous les feux), lumineux, n’en est pas moins une danse de mort. Les cordes se font lyriques, les cuivres tonnent. Une fois encore c’est Tristan qui est convoqué via le cor anglais avec un superbe contrepoint des harpes (d’un Wagner l’autre…). Enfin, la montée vers le paradis s’effectue en montagnes russes avec un Harding qui tient solidement la barre pour ce vrai-faux final.

 

Daniel Harding direction et l’Orchestre de la Radio Suédoise

On peut voir la seconde partie comme l’éloge funèbre de l’autre aimé(e), l’autre Dvořák, Otilie donc cette fois. Cette partie est moins heurtée mais tout aussi prenante.

L’Adagio débute par des cordes graves et un glas assuré par des harpes qui se fondent en cloches sensibles. Pour libérer le lyrisme des cordes, Harding est tout de gestes mesurés et larges faisant s’épanouir le retour du thème grave (bois, harpes et grosse caisse). C’est presque le personnage musical de Hagen qui vient s’immiscer ici. L’aiguillon de la mort, sans doute.

L’ultime retour du thème est magistral avec des cordes graves qui avancent avec le glas des harpes versus un violoncelle solo très expressif (et revoilà le lien avec le triple concerto du début du concert : les harpes se font ici l’écho du piano), tout comme le hautbois, si féminin, si touchant, tout en lyrisme.

L’Adagio e maestuso fait intervenir des appels de timbales fortissimi comme autant de coups du destin, sur des océans des cordes rehaussées de trompettes, ainsi que des trombones en sourdine, très délicats. Harding fait monter la sauce, joue de ces singulières montées et accalmies, toujours très mesuré, sans saturer le son, ni enflures.

Il suffit d’un tremolo de flûtes et toute l’atmosphère est changée, comme purifiée malgré l’obscurité qui plane (ce maudit cor anglais…). Une fois encore, la fin est tristanesque (voix de mort) mais orientalisante (les effluves des parfums de Kundry sans doute…).

Le solo de violon remet l’individu au cœur du concert, extrait l’âme du tout, pour finir sur un lit de violoncelles/bois terminant dans des aigus des violons.

Une fois de plus, on est surpris par la direction de Daniel Harding qui peut être plus fantasque, poète dans du Brahms (terribles séries de symphonies l’an passé) par exemple, voire du Beethoven, et qui se fait mesuré et concentré, presque analytique, dans des œuvres d’importance comme l’Asrael. On attendait un débordement d’émotion (les prérequis personnels pouvaient nous y conduire), c’est le metteur en scène du son du patient créateur qui était à l’œuvre ce soir-là.

Ce fut sans aucun doute un grand moment de concert, de découverte aussi, pour beaucoup, d’une œuvre vraiment énorme, imposante et puissante mais pleine de finesses, de détails, de douceurs, de tendresse et de douleurs aussi. On ne peut qu’espérer que Suk se fasse une belle place dans les programmes du futur et sorte de l’ombre de Dvořák pour venir se coller tout prêt des Mahler, Strauss et Bruckner, piliers des programmes à orchestres monumentaux. Ce n’est qu’une question de temps.

Daniel Harding direction et l’Orchestre de la Radio Suédoise

 

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Guillaume Delcourt
Il collabore, en amateur revendiqué, depuis les années 2000 à divers médias, de la radio associative à la programmation et l’organisation de concerts, festivals et happenings (Rouen, Paris, Stockholm) dans les champs très variés de la musique dite alternative : de la pop à la musique électro-acoustique en passant par la noise et la musique improvisée. Fanziniste et dessinateur de concerts, ses illustrations ont été publiées dans les revues Minimum Rock n’ Roll et la collection Equilibre Fragile (revue et ouvrages) pour laquelle il tient régulièrement une chronique sur la Suède. Il contribue, depuis son installation sous le cercle polaire, en 2009, à POPnews.com, l’un des plus anciens sites français consacrés à la musique indépendante. Ces seules passions durables sont À La Recherche du Temps Perdu de Marcel Proust, les épinards au miso et la musique de Morton Feldman. Sans oublier celle de Richard Wagner, natürlich.

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