LE MARIAGE

Tiré du codex Faenza 117 (1400-talet | 15th century)

Jacopo da Bologna

Non al suo amante

Anonyme

Bel fiore dança

Tiré du codex Modena a.M.5.24 (début 1400-tal | début 15th century)

Matteo da Perugia

Dame souvrayne

Pour Dieu vous pri

Traditional Sepharade

A la una yo nasí (chant de noce)

Tiré du ms CZ-Pu MS XI.E.9

Ja falla – Benedicamus Domino

LE DEUIL

Francesco Landini (ca 1325/1335–1397)

Lasso di donna vana innamorato

Gilles Binchois (ca 1400–1460)

Dueil angoisseus (texte : Christine de Pizan)

Antoine Busnoys (ca 1430–1492?)

Quant j'ay au cueur

Traditionel Ecossais

The Broom of Cowdenknowes

Tiré du ms. British Museum Add. MS 15117 (1600-talet | 17th century)

The Willow Song

LA BATAILLE

William Byrd (ca 1540–1623)

The Battell

The marche before the battell – The battell – The marche of footemen – The marche of horsmen – The trumpetts – The Irishe marche – The bagpipe and the drone – The flute and the droome – The marche to the fighte – The retreat

Traditional Ecossais (Child Ballad no, 19)

King Orfeo

Tiré du Piae Cantiones (1582)

Scribere proposui de contemptu mundano

APOTHEOSE

Tiré du Piae Cantiones (1582)

Tempus adest floridum

Juan de Anchieta (1462–1523)

Dos ánades, madre

Bartolomeo Tromboncino (ca 1470-ca 1535)

Vale diva, vale in pace

Claudin de Sermisy (ca 1490–1562)

Tant que vivray en âge florissant

Zachary Wilder, ténor

Francesco Corti, clavicymbalum & virginal

Anna Danilevskaia, vihuela de arco

Andrés Locatelli, Flûtes à bec

Drottningholm Slottskyrka (Chapelle royale du palais de Drottningholm), Stockholm, dimanche 11 août 2025, 19h

En marge de la production annuelle de Drottningholm, L’Orpheus de Telemann, l’équipe du Théâtre propose un concert de musique ancienne, principalement renaissante, ludiquement savante, autour de la figure d’Orphée : Le Voyage d’Orphée. Francesco Corti, directeur musical du Théâtre, au clavisymbalum et virginal, s’entoure de son flutiste au sein de l’orchestre, Andrés  Locatelli, d’Anna Danilevskaia à la vihuela de arco et donne la place centrale du chant au ténor Zachary Wilder, personnage revenant du Théâtre que nous avions particulièrement aimé dans The Fairy Queen de Purcell en 2023 mais aussi dans Armide de Lully en 2024 (cliquez pour lire les comptes rendus ainsi que sur celui, récent, de La Callisto à Aix en 2025). Le voyage proposé est un aimable bricolage de chants sacrés et profanes, collant ainsi de près au mythe d’Orphée et à ses suites Mystérieuses, prolongement voire héritage de ceux d’Eleusis : l’Orphisme. Évidemment il s’agit de savourer le lyrisme et les accords des musiciens dans un lieu particulièrement adapté à ce type de musique et d’instruments. Une soirée conviviale et intimiste, chargée de délices et de découvertes.

La chapelle royale de Drottningholm est l’autre joyau du palais, outre son théâtre bien connu des baroqueux et classicophiles. Elle ne se visite guère en dehors des cérémonies et des concerts. Avec son plan en croix grecque et son architecture en bois caractéristique du lieu, le lieu est absolument parfait pour la musique ancienne, ses jeux d’échos et le son feutré de ses instruments. On s’est souvent plaint de l’église allemande de Gamla Stan, lieu privilégié du Swedish Early Music Festival, magnifique certes, mais dans laquelle luth et clavecins se perdent dès le 5e rang…, pour apprécier hautement l’acoustique de cette chapelle réservée à l’usage privé de la famille royale et, ponctuellement, à un public de happy few.

Chapelle Royale du palais de Drottningholm

Architecturalement, on est dans une charmante chapelle à coupole dessinée par Tessin père et terminée par le fils en 1730, dont le plan rappelle celui voulu par Mme de Sévigné dans son château des Rochers en Bretagne (en plus grand tout de même) : croix grecque et haute de plafond et donc propre à une atmosphère à la fois ramassée de recueillement et d’élan mystique. On apprécie l’installation des musiciens, au centre devant l’autel, avec le public autour d’eux sur des bancs reproduisant la croix grecque et se déployant dans les travées. Sur un plan très personnel, on se rappelle d’un concert de Marc Maullion dans la chapelle royale de Versailles en 2019 qui invitait le public à s’installer autour de lui et de l’orgue, à la tribune, pour des Leçons de Ténèbres de Michel Lambert pendant la semaine pascale (sans parler du media noche, pour tous, merci Laurent Brunner !, qui suivit).

Autel et "scène" centrale

Pour ce soir, on fait dans l’intime, la proximité et la dentelle aussi avec de la manufacture millimétrée : clavicymbalum (pour faire court : clavier au son de harpe) et virginal (pré-clavecin), pour Francesco Corti,vihuela de arco (pré- viole de gambe mais proche de la vielle) pour Anna Danilevskaia et enfin, un choix relativement large de flûtes à bec pour Andrés  Locatelli (voir photos). Soit de l’orfèvrerie de lutherie et de facteurs : un instrumentarium un peu nerdy pour un choix de musiques et de compositeurs peu connus à destination des fans hardcores de musique ancienne. Hormis Gilles Binchois sur un texte de Christine de Pizan, quelques William Bird, et The Willow Song (merci Alfred Deller et ses enregistrements autour de Shakespeare), on est dans un choix de spécialistes pour le plaisir des amateurs et de la découverte, non dans l’auto satisfecit du programme ronronnant. C’est bien : laissons-nous guider.

Ensemble de flûtes, clavicymbalum (et Andrés Locatelli)

Le voyage se décline en quatre parties suivant de loin ou de près les étapes du mythe d’Orphée soit, pour ce soir : le mariage, le deuil, la bataille (la lutte poétique d’Orphée aux Enfers), l’apothéose. Au programme, textes poétiques d’amour heureux ou malheureux, chants sacrés, traditionnels, instrumentaux ou chantés :  on voyage aussi (comme pour L’Orpheus de Telemann, nous y reviendrons) dans une Europe plurielle, naviguant entre le latin, l’anglais, l’espagnol, le français, sans compter l’inévitable italien. C’est d’ailleurs ce que l’on constate en lisant Saint Simon, Madame de Sévigné ou encore Casanova, voire même encore chez Dumas qui a bien lu les précédents : si les peuples se castagnent plus ou moins sans cesse, une union culturelle et familiale règne dans une quasi harmonie, du moins dans les cours…

Dans Jacopo da Bologna, Non al suo amante, on apprécie l’entrée progressive et successive des trois instruments avec notamment les pizzicati de la vihuela de arco qui duétise avec le clavicymbalum. D’emblée, on est saisi par la réverbération naturelle qui amplifie à merveille les instruments.

Dame souvrayne de Matteo da Perugia permet de retrouver la voix du ténor canadien Zachary Wilder avec ses basses gouleyantes, ici chaleureusement amplifiées par l’acoustique. Comme par le passé, on apprécie ses riches ornementations et sa qualité dans la diction, très à l’aise, évidemment avec le français, mais on le verra, aussi dans les autres langues. Tout est toujours précis et compréhensible (capital dans ce genre de répertoire) sans rien renier à la coloration. Et on apprécie le soin patient du chanteur à habiter les compositions par le chant seul, même si on sent que le corps demande aussi à s’exprimer.

L’intermède musical sépharade, chant de mariage,  A la una yo nasí, permet au flûtiste de faire valoir son jeu léger, aérien, avec un decrescendi et des pianissimi à se damner.

Le Ja falla – Benedicamus Domino déconcerte un peu certains spectateurs à la recherche d’un texte évidemment absent mais enchante par son élévation mystique et joyeuse à la Josquin Desprez.

Pour l’entrée dans la seconde partie du programme, le Deuil, le Lasso di donna vana innamorato de Francesco Landini (ca 1325/1335–1397) nous plonge dans l’ambiance avec les cordes sèches dès l’intro à la vihuela de arco.

Dueil angoisseus de Gilles Binchois (ca 1400–1460) sur un texte de Christine de Pizan (dont on redécouvre aujourd’hui les textes pour son proto-féminisme) est sans conteste le climax de la soirée. L’accompagnement réduit au début par Francesco Corti permet à Zachary Wilder de laisser s’épanouir pleinement sa voix avant de se couler dans des entrelacs ou des tuilages avec les cordes. Une fois encore, on se délecte d’un texte poétique particulièrement bien chanté, se lovant dans les e muets et voyelles vallonnées.

« Et si ne puis ne garir ne morir. »

C’est un texte dit, c’est un chant, c’est une musique faite ensemble par des êtres contrastés. C’est une déploration orphique d’une réelle modernité qui nous évoque presque les lieder de Schubert. C’est d’ailleurs (sans aller chercher la fameuse pancarte du Godard de La Chinoise (1967), Ancien=Moderne), une caractéristique du programme, il me semble, de chercher non pas à se complaire dans une musique ancienne compassée voire confite mais de montrer toute la modernité de ces auteurs et leurs liens avec une musique du futur.

Quant j'ay au cueur d’ Antoine Busnoys (ca 1430–1492?), débuté par la vihuela de arco, magnifique dans ses couleurs mordorées, puis rejointe par le clavicymbalum, est délicat et lyrique.

The Broom of Cowdenknowes, tradionnel écossais, entame, d’une certaine manière, le Voyage d’Orphée proprement dit avec Andrés Locatelli qui quitte le centre et ses camarades pour prendre de la hauteur et s’installer à la tribune, jouant ainsi d’une autre manière avec les échos du lieu.

Tribune

Enfin, pour conclure cet épisode, et sans doute faire le lien avec l’Orphée émouvant la Nature dans son ensemble, un véritable tube, l’Ophélien, The Willow Song. Francesco Corti quitte le clavicymbalum pour le virginal.

Zachary Wilder nous semble un peu rapide pour nos oreilles rabattues par la version d’Alfred Deller mais on apprécie ses aigus clairs, ses graves charmants avec une dynamique presque italienne et des pianissimi incroyables.

Virginal "préparé"

C’est le temps des batailles avec le morceau de bravoure de Francesco Corti au virginal pour The Batell de William Bird. On est estomaqué par cette nouvelle génération de clavecinistes, qui s’adonnent à faire revivre un répertoire passionnant, extrêmement moderne, avec un jeu flamboyant presque rock (cf. les incroyables disques et performances de Jean Rondeau bien sûr, mais aussi Corti qui ici nous met KO avec une richesse de jeu et de couleurs impressionnantes sur ce virginal). La suite aux noms évocateurs permet de déployer les couleurs d’un quasi orchestre (The marche before the batell), mais aussi de la noblesse, de la légèreté, un air guilleret ou du moelleux délicieux. On pense parfois au Combatimento de Tancredi e Clorinda, à du Rameau ou du Royer. Francesco Corti se paye même le luxe, pour notre plus grand plaisir, de jouer du  virginal… « préparé » avec une feuille d’aluminium introduite pour maximiser l’effet. On cherchait Eurydice et on retrouve John Cage !

Pour King Orfeo, traditionnel… écossais,  Zachary Wilder monte à la tribune puis entame une pérégrination dans la salle après les vers « Now they have taken her life from me. But her corpse they’ll never see », tel un dadouque/porte-torche lyrique.

Il touche une fois de plus au cœur avec Scribere proposui de contemptu mundano tiré des Piae Cantiones (1582), carpe diem musical magnifiquement introduit par Anna Danilevskaia à la vihuela de arco, rejointe par Francesco Corti, de retour au clavicymbalum qui séduit par ses tonalités de harpe.

Apothéose…

On bascule vers la thématique de l’apothéose toujours avec un extrait des Piae Cantiones (1582), Tempus Adest Floridum dont le texte appelant à une re-floraison du monde fait le lien entre les mystères d’Eleusis liés à Céres et ceux de l’Orphisme. Andrés Locatelli à la flûte fait montre de sa technique impressionnante avec un jeu tout en velours aussi passionnant à voir qu’à entendre.

Modernité encore, Dos ánades, madre de Juan de Anchieta (1462–1523) évoque Clapping Music de Steve Reich lorsque Zachary Wilder et Anna Danilevskaia accompagnent aux clappements de mains Francesco Corti et Andrés Locatelli, avant de se retrouver tous pour les deux derniers morceaux : Vale diva, vale in pacede Bartolomeo Tromboncino (ca 1470-ca 1535) et Tant que vivray en âge florissant de Claudin de Sermisy (ca 1490–1562).

« Aultant et plus en emporte le vent. »

Certes, mais il reste, encore un peu, le souvenir de l’instant.

Une fois encore on peut louer Anna Karinsdotter pour son travail à la tête du théâtre de Drottningholm qui prend ces dernières années une dimension supérieure, notamment avec le directeur musical Francesco Corti. Ces concerts intimistes permettent d’entendre et de réentendre dans un tout autre registre des solistes extraordinaires et d’éclairer de nouvelles facettes d’œuvres à découvrir ou redécouvrir. On a sur les pages de Wanderer et sous différentes plumes loué de nombreuses fois Corti et Wilder mais c’était ce soir-là l’occasion formidable de découvrir aussi le jeu fin et délicat d’Anna Danilevskaia et d’Andrés Locatelli, sans parler de l’occasion unique d’entendre des instruments et compositeurs rares, qui plus est dans un lieu d’exception à l’acoustique adéquate. En attendant l’Orpheus de Telemann…

Zachary Wilder, Anna Danilevskaia, Andrés Locatelli, Francesco Corti.
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Guillaume Delcourt
Il collabore, en amateur revendiqué, depuis les années 2000 à divers médias, de la radio associative à la programmation et l’organisation de concerts, festivals et happenings (Rouen, Paris, Stockholm) dans les champs très variés de la musique dite alternative : de la pop à la musique électro-acoustique en passant par la noise et la musique improvisée. Fanziniste et dessinateur de concerts, ses illustrations ont été publiées dans les revues Minimum Rock n’ Roll et la collection Equilibre Fragile (revue et ouvrages) pour laquelle il tient régulièrement une chronique sur la Suède. Il contribue, depuis son installation sous le cercle polaire, en 2009, à POPnews.com, l’un des plus anciens sites français consacrés à la musique indépendante. Ces seules passions durables sont À La Recherche du Temps Perdu de Marcel Proust, les épinards au miso et la musique de Morton Feldman. Sans oublier celle de Richard Wagner, natürlich.

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