Si le programme a subi quelques modifications, il a conservé son centre de gravité autour de Verdi, de larges extraits de Traviata et de Rigoletto permettant aux interprètes de chanter à la fois en duo et en solo. Après une ouverture de Nabucco à la mise en place scabreuse, l’Orchestre régional Avignon-Provence dirigé par Luciano Acocella n’étant pas dans un bon jour, Nucci et Ciofi illuminaient de leur présence la longue scène de confrontation entre Violetta et Germont Père. Cueilli un peu à froid, mais d’une fermeté d’accents et d’une autorité technique impressionnante, le baryton a mis du temps à se chauffer, mais demeure à 75 ans garant d’une aisance expressive et d’une probité musicale qui laissent rêveur. Rigide et casant à son entrée, convaincu de pouvoir régler rapidement l’affaire à laquelle il souhaite mettre un terme, voilà Germont qui vacille malgré cette canne à laquelle il se cramponne avec détermination, face à cette courtisane prête à tout pour sauver l’amour que lui voue Alfredo. Dans son rôle-signature, Patrizia Ciofi pourrait se contenter de reproduire un des nombreux portraits de l’héroïne qu’elle a déjà testés à la scène. C’est sans compter sur son besoin d’aller toujours plus loin, de fouiller le texte pour laisser entrevoir de nouvelles failles, traquer de nouvelles fêlures, mises en lumière par une voix qui s’éclaire, se fane ou se froisse au gré des modulations psychologiques : « Cosi alla misera », « Dite alla giovine » ou « Morro ! morro la mia memoria » sont autant de brûlures laissées sur notre peau.
Après cette page intensément vécue, Leo Nucci revenait seul pour exécuter l’air du 2ème acte « Di provenza il mar » avec une assurance vocale et surtout une exceptionnelle longueur de souffle, suivi par une parfaite cabalette « No, non udrai rimproveri », si souvent passée à la trappe, la soprano concluant la première partie par un splendide « E strano…Sempre libera » aux appuis vigoureux et aux vocalises contrôlées, couronné par un mi bémol inattendu.
Rigoletto, qu’ils ont incarné à la scène à Orange et à Salerno, occupait la seconde manche de ce concert. Dans le rôle du Bouffon qui n’a jamais quitté son répertoire, Nucci (qui l’a endossé près de 600 fois et s’apprête à le reprendre l’été prochain aux Chorégies) est sans rival, même si le timbre n’a plus les couleurs ni la stabilité d’autrefois ; pour autant sa manière d’investir la musique, de tout donner pour dépeindre la détresse et l’humanité du personnage secoué de spasmes et de larmes, n’a tout simplement pas de prix dans « Quel vecchio maledivami » à l'aigu redoutable.
Plus calme lors du duo avec sa fille, Gilda, « Figlia ! Mio padre », dont la soprano traduit à merveille l’innocence et la candeur, le baryton italien retrouvait toute sa puissance et ce slancio dévastateur au moment des imprécations « Cortigiani vil razza dannata » avant que la Ciofi ne reprenne l’un de ses chevaux de bataille, le céleste « Caro nome » chanté en état d’apesanteur, sur un fil, archet à la corde. Réunis dans l’urgence comme si le temps leur manquait, le « Si vendetta » a bien sûr fait l’effet d’un électrochoc, les deux complices ne se faisant pas prier pour redonner la pièce en bis, pour le plus grand bonheur du public. Titanesque !