Programme improvisé pendant le concert :

  • Johann Sebastian Bach (1685–1750)
    Sarabande de la Suite Anglaise n°4 en fa majeur pour clavier
    Capriccio sopra la lontananza del suo fratello dilettissimo pour clavier
  • Wolfgang Amadeus Mozart (1756–1791)
    Sonate pour Piano (n°17) en si bemol majeur KV 570
  • Johann Sebastian Bach (1685–1750)
    Suite Française n° 5 sol bémol majeur
  • Wolfgang Amadeus Mozart (1756–1791)
    Gigue en sol majeur KV 574
  • Johann Sebastian Bach (1685–1750)
    Ricercare à 6 (extrait de l'Offrande musicale, version pour piano)
  • Wolfgang Amadeus Mozart (1756–1791)
    Fantaisie en do mineur pour piano KV 475
  • Joseph Haydn (1732–1809)
    Sonate pour piano n°33 en ut mineur
  • Ludwig van Beethoven (1770–1827)
    Sonate pour piano n°30 en mi majeur
Stockholm, Konserhuset, le dimanche 27 mars 2022, 15h
Godard, Bande à Part, 1964

András Schiff a eu tous les honneurs. Y compris les honneurs de Sa Très Gracieuse Majestée Elisabeth II qui le gratifia d’un titre de noblesse en 2014. C’est quand on n’a plus rien à prouver qu’on est finalement le plus libre et c’est ce que nous dit, textuellement et en creux, András Schiff ce jsoir-là à la Konserthuset de Stockholm. 

Le récital prévu de longue date est annoncé sans programme, que le soliste improvisera le jour même. Quelques jours auparavant, un mail nous apprend que le concert durera deux heures. Sans pause.

Arrivé sur scène, il déroule une très belle sarabande de Bach puis prend le micro pour nous apprendre que chaque jour, il commence par Bach, plutôt que par des exercices pianistiques, que c’est bon pour le corps et l’âme. Et qu’il voulait débuter ce concert comme il débute ses journées puis il annonce qu’il tentera de nous montrer les liens entre Bach et Mozart, ce qu’il fait en enchaînant une œuvre de jeunesse de Bach, écrite avant le départ de son jeune frère, et la sonate KV 570.
Schiff nous donne à entendre les thèmes, les liens d’une œuvre à l’autre, passe du piano au micro, fait œuvre de pédagogie, de transmission. On est très loin des effets de manche, de l’interprétation ô combien personnelle, du jeu intense. Au contraire, ce soir-là, c’est la clarté qui compte.

Schiff commente : « je fais toutes les reprises, contrairement à certains pianistes. D’abord parce qu’elles sont indiquées et donc qu’elles le sont pour une certaine raison. Et aussi parce que c’est l’occasion d’essayer de mieux les jouer la seconde fois. Et pour le public de mieux les entendre. »
Le couple suivant se fait autour de danses, une suite française pour Bach et une gigue pour Mozart, là encore, thèmes et parentés soulignés au clavier.
Schiff se fait archiviste, suivant les pas de Mozart dans les bibliothèques de la noblesse de l’époque pour aller trouver des partitions de compositeurs oubliés à son époque… comme Bach.

Du duo Bach-Mozart, on passe au trio incluant désormais Haydn, pour enrichir les similitudes et les contrastes. Comme le remarque Schiff, « avec Haydn la musique parle, avec Mozart elle chante ». La fantaisie de Mozart est l’occasion de regarder à quel point, avec Mozart, « un œil pleure et l’autre est rieur ».

La musique pure de Bach, la musique discours de Haydn, la grâce de Mozart… Schiff nous propose un voyage dans le classicisme, à rebours des tournées promotionnelles. Il le souligne : « les programmes des pianistes manquent de surprise. On les attend. On s’attend même à ce qu’ils interprète ceci ou cela de telle façon. ». C’est tout le contraire de Schiff, qui se promène dans ses souvenirs, avec des œuvres qu’il a dans les doigts et dans la tête, capable de tracer un parcours intime, d’expliquer ses choix, ses haltes, l’historique.

En conclusion, la sonate 30 de Beethoven, l’une de ses préférées nous dit-il, dont on entend par ses allers-retours entre classicisme et modernisme, tout le sel de ce dernier choix en regard de sa sélection précédente. C’est peut-être le moment le plus personnel du concert où Schiff appuie davantage sur les nuances, imprimant davantage sa marque là où il s’effaçait volontiers auparavant.

Humilité toujours, il s’excuse, enfin, de nous avoir retenus si longuement et interrompt le concert pour laisser la place aux solistes de Kiev qui doivent prendre la place en soirée. Grand, grand Monsieur.

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Guillaume Delcourt
Il collabore, en amateur revendiqué, depuis les années 2000 à divers médias, de la radio associative à la programmation et l’organisation de concerts, festivals et happenings (Rouen, Paris, Stockholm) dans les champs très variés de la musique dite alternative : de la pop à la musique électro-acoustique en passant par la noise et la musique improvisée. Fanziniste et dessinateur de concerts, ses illustrations ont été publiées dans les revues Minimum Rock n’ Roll et la collection Equilibre Fragile (revue et ouvrages) pour laquelle il tient régulièrement une chronique sur la Suède. Il contribue, depuis son installation sous le cercle polaire, en 2009, à POPnews.com, l’un des plus anciens sites français consacrés à la musique indépendante. Ces seules passions durables sont À La Recherche du Temps Perdu de Marcel Proust, les épinards au miso et la musique de Morton Feldman. Sans oublier celle de Richard Wagner, natürlich.
Crédits photo : © Yanan Li

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