Programme

Orchestre symphonique de la Radio bavaroise 
 Chœur de la Radio bavaroise 
(Howard Arman préparation)
Mariss Jansons  direction
Martin Angerer  trompette
Julia Kleiter  soprano
Gerhild Romberger  contralto
Christian Elsner  ténor
Florian Boesch  baryton-basse

Igor Stravinsky
 (1882–1971)
Symphonie en trois mouvements
Johann Nepomuk Hummel (1778–1837)
Concerto pour trompette en mi majeur
-
Ludwig van Beethoven
 (1770–1827)
Messe en ut majeur op. 86
Lucerne, KKL, 24 mars 2018

Désormais traditionnelle, la mini résidence du Symphonieorchester der Bayerischen Runfunks conclut la semaine du Festival de Pâques de Lucerne, avec un concert symphonique et un concert choral. En ce festival 2018, on a entendu des œuvres plutôt rares dans l’ensemble, mais un florilège allant de Hummel à Bernstein, en passant par Beethoven Schumann, Stravinsky et Rachmaninov, avec un éclectisme qui pouvait satisfaire tous les goûts, mais une unité qui dominait : la relation exceptionnelle de Mariss Jansons avec son orchestre et l’incomparable qualité de la phalange, parmi les meilleures du monde.

Stravinsky dernière mesure

Face à la Messe en ut majeur op.86, il fallait proposer un programme cohérent et équilibré. Les trois œuvres choisies n’ont pas apparemment de point commun sinon la proximité temporelle du concerto de Hummel (1807) et de la messe de Beethoven (1807) ou la relation un peu agitée de Stravinsky à Beethoven. Et pourtant on entend entre ces trois œuvres quelque chose de commun qui est le temps des guerres et des paix armées, guerres napoléoniennes au début du XIXe pour Beethoven et Hummel, quant à la Symphonie en trois mouvements de Stravinsky, elle a été écrite pendant la deuxième guerre mondiale sur commission du Philharmonique de New York à partir de 1942 est créée en 1946, quelques mois après la naturalisation américaine de Stravinsky, si bien que c’est la première œuvre créée par Stravinsky en tant que citoyen américain. On sait que la composition de cette sorte de « concerto pour orchestre » n’a pas été élaborée en une seule pièce, le premier mouvement étant composé de  bandes d’illustrations sonores d’actualités de la guerre, le deuxième mouvement  destiné à une musique d’un film de Franz Werfel sur Bernadette de Lourdes, quant au troisième, on ne sait s’il fut destiné à cette symphonie ou à une autre œuvre. L’œuvre n’a pas bénéficié d’une grande popularité jusqu’en 1972, année où Balanchine la choisit pour un ballet dont elle a le format.
Mais Stravinsky déclara que l’œuvre était inspirée par les temps difficiles de la guerre, comme le premier mouvement rude, dramatique, le laisse entendre – presque une musique de film de guerre- puisque Stravinsky était alors à Hollywood. Y alternent au départ interventions rudes des timbales et du piano et l‘ensemble du mouvement est singulièrement noir. Le second mouvement, où harpe et flûte prennent la voix à la place du piano, est plus lyrique. Au troisième mouvement qui rappelle le premier piano et harpe prennent tour à tour la voix.
On comprend pourquoi Balanchine s’est intéressé à cette pièce pour un ballet : la musique en rappelle par moments Le sacre du printemps, presque cité note à note quelquefois. L’orchestre rend évidemment tous les contrastes de cette musique quelquefois abrupte et d’autres fois empreinte d’une (très) relative sérénité, avec une précision redoutable et une grande variété de timbres et de couleurs. C’est la perfection du côté des parties solistes, et des rythmes, en parfaite osmose avec le chef. C’est un sacre d’orchestre auquel on assiste ici avec ses rugosité mais aussi sa fluidité, car Jansons n'est jamais paroxystique.

Mariss Jansons et Martin Angerer

Le concerto de Hummel nous projette dans un tout autre univers. Créé en 1803, au moment où la paix napoléonienne préparait d’autres guerres, en une sorte de paix armée, il reflète les influences de ses maîtres Mozart, Salieri, et surtout Haydn, il essentiellement connu comme l’auteur de ce concerto pour trompette que tous les trompettistes solistes ont évidemment à leur répertoire, c’est plus comme pianiste virtuose qu’il était fameux à son époque. Ce concert a été créé comme « Tafelmusik » (musique de table) pour le prince Nikolaus II Esterházy (Hummel succédait à Haydn comme Maître de chapelle) par le trompettiste virtuose Anton Weidinger. On y entend des souvenirs de la Symphonie Haffner de Mozart, mais aussi de Cherubini, très à la mode à l’époque, mais cette musique montre aussi comme il existe une intertextualité musicale qui traverse frontières et style : on a parlé de Cherubini, on y entend aussi quelques phrases qui sembleraient presque anticiper  Donizetti, c'est une musique à la mode, sans grande originalité mais très maîtrisée.
C’est le trompette solo de l’orchestre, Martin Angerer qui assume la partie soliste, avec une grande sûreté, sans toujours  les feux d’artifice de virtuosité qu’on entend quelquefois (encore que le troisième mouvement!), mais avec une grande précision, et une vraie technique dans les trilles et les variations.
Quant à l’orchestre, il enchante évidemment d’abord par sa fluidité, par la qualité du dialogue avec le soliste (le mouvement lent est à ce titre remarquable, peut-être le moment le plus marquant de cette exécution) avec la vélocité marquée du troisième mouvement, évidemment le plus virtuose pour le soliste, mais aussi pour l’orchestre qui en est un écrin prodigieux. On reconnaît la patte de Jansons à l’élégance de l’ensemble, sans jamais trop marquer les accents et toujours attentif aux équilibres, avec une formation plus réduite que la précédente évidemment. Et coincé entre un Stravinsky tendu et violent et une messe beethovénienne, cette musique sans grande surprise peut sembler mal assortie, mais elle a constitué une respiration sensible, avec un vrai succès du public, au point que Mariss Jansons a consenti le bis d'une partie du troisième mouvement.

Julia Kleiter, Gerhold Romberger, Mariss Jansons, Christian Elsner, Florian Boesch

La messe en ut majeur de Beethoven était évidemment le mets de choix de la soirée avec la présence du chœur de la Radio Bavaroise, l’une des références mondiales en la matière, et quatre solistes dont la solidité n’est plus à prouver, Julia Kleiter, Gerhild Romberger, Christian Elsner et Florian Boesch…Comme l’œuvre de Hummel, la messe avait été commissionnée à Beethoven pour la fête de son épouse par le Prince Esterházy qui la reçut particulièrement mal. C’était le deuxième œuvre religieuse de Beethoven, quinze ans avant la Missa Solemnis , pour un lieu où Haydn avait livré cinq messes. Le caractère plutôt pacifique de l’œuvre (qui fut redédiée au prince Kinski lors de sa publication en 1812) à une époque agitée (c’est l’époque de la quatrième coalition contre Napoléon) a peut-être déçu là où on s‘attendait à plus tendu et nerveux et plus spectaculaire.

Et de fait cette messe reste peu jouée actuellement. Elle n’a pas un caractère monumental, mais celle d’une expression simplement humaine vers la divinité. Et l’approche très délicate de Mariss Jansons souligne cette absence non de transcendance mais d’écrasement de l’humain. L’Agnus Dei par exemple sonne inquiétant, au crescendo orchestral marqué, au sons plutôt sombre (les contrebasses), et aux interventions instrumentales d’une rare précision (le hautbois) avec un final qui n’a rien de triomphal et qui retourne à la musique du Kyrie, presque tourné vers l’intérieur et qui semble surprendre le spectateur. C’est une approche fluide, plutôt dynamique, qui ne cherche jamais la monumentalité. Les solistes renforcent cette impression, Julia Kleiter dont la  belle voix ici se laisse quelquefois un peu étouffer par les masses, mais dont les interventions restent bien maîtrisées, comme celles de Florian Boesch à la projection peut-être un peu en deçà de l’attendu (mais Lucerne n’est pas une salle très favorable aux voix) , qui sculpte pourtant les paroles, en habitué du Lied, et  comme toujours remarquable Gerhild Romberger entendue précédemment dans Mahler, au beau mezzo bien projeté, très rond, et au phrasé impeccable, très émouvante dans ses interventionscomme celles de Christian Elsner, dont la voix poétique fait ici merveille, diction impeccable, clarté de l’expression et magnifique timbre, qui conviennent très bien à l’œuvre.
Enfin le chœur, dirigé par Howard Arman, splendide, à la diction exemplaire, remarquable dans la manière de nuancer et de colorer, particulièrement énergique procure toujours dans cette salle-cathédrale une émotion particulière difficilement reproductible ailleurs.
Au total une soirée aux œuvres contrastées et inhabituelles, mais qui procurent chacune une écoute différente, et un Jansons toujours parfaitement calibré, équilibré, élégant qui reste le grand architecte de l’ensemble sans jamais chercher à imposer autre chose que la dynamique de la « simple » musique.

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

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