Directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Radio France depuis 2015, le chef finlandais Mikko Franck a déjà à son actif une discographie bien remplie couvrant plus de deux cents ans de musique, de Beethoven à Michel Legrand ou Thierry Escaich. Avec ce nouvel album consacré à Stravinsky, Mikko Franck et le Philharmonique poursuivent leur collaboration avec le label Alpha Classics, initiée en 2020 à l’occasion d’un enregistrement consacré à César Franck, et explorant par la suite le répertoire de Richard Strauss (Burleske, Serenade, Tod und Verklärung) et Claude Debussy (La Demoiselle élue, Le Martyre de Saint Sébastien, Nocturnes).
En rassemblant le Capriccio pour piano et orchestre, l’Octuor pour instruments à vent et Le Sacre du Printemps, le programme proposé dans cet album présente un double avantage : il met en miroir deux époques de la vie de Stravinsky – celle du ballet, culminant avec Le Sacre et ses expérimentations sur le rythme et la polytonalité, puis celle d’une esthétique néo-classique interrogeant les formes traditionnelles – et il met remarquablement en valeur les qualités des pupitres des vents et des cuivres d’un orchestre. Ce programme est un écrin, certes exigeant, mais flatteur pour les musiciens, qui trouvent de multiples occasions de faire valoir leurs qualités individuelles au sein de l’ensemble.
Pour le Capriccio, c’est à la pianiste française Nathalia Milstein qu’il a été fait appel et la musicienne parcourt la partition avec une aisance tout à fait remarquable. Jouant quasiment sans discontinuer d’un bout à l’autre de l’œuvre, dont les mouvements s’enchaînent, Nathalia Milstein semble être la colonne vertébrale de la pièce : le jeu est clair, véloce, lisible, sans ostentation, en pleine maîtrise. On n’a certes pas la fausse impression d’improvisation que d’autres interprètes peuvent laisser entrevoir dans cette œuvre, mais une sensation générale de fluidité. La particularité de cette lecture est sans doute de ne pas mettre le piano et l’orchestre dans un véritable dialogue, mais plutôt d’avoir le fil rouge du piano sur lequel viennent se juxtaposer les interventions de l’orchestre, comme autant d’événements sonores. Cela n’empêche pas une belle homogénéité entre les instruments dans le deuxième mouvement (notamment entre le piano et la flûte), qui entretient les réminiscences de concertos classiques avec lesquels Stravinsky s’amuse, avant un troisième mouvement où les cordes rendent toute l’ironie du compositeur.
Comme dans le Capriccio, Mikko Franck évite avec l’Octuor les ruptures ou les rugosités. A l’écoute de cette partition, on est un peu partagé entre la très agréable sensation de clarté qui se dégage de cette lecture, et l’impression qu’il y manque des contrastes. L’interprétation est certes impeccable ; il y a une douceur, une lumière, un élan qui sont évidemment attendus dans cette œuvre. Mais on aurait aimé que le spectre de nuances soit plus large, notamment dans le thème et variations ; que le cheminement soit moins linéaire en quelque sorte. Mais cela n’enlève rien aux qualités des musiciens, en parfaite synergie, et qui brillent individuellement autant que collectivement.
Après ces deux pièces appartenant à la période dite néo-classique de Stravinsky (et créées respectivement en 1929 et 1923), Le Sacre du Printemps nous ramène quelques années en arrière (1913). Nul besoin de revenir sur le choc esthétique que fut Le Sacre, ni sur la complexité de son écriture ; l’intérêt majeur de la lecture proposée par Mikko Franck est de construire la tension dramatique de l’œuvre de manière extrêmement progressive. Le chef ne se jette pas dans la brutalité de la partition, abordant son caractère rustique et archaïque avec beaucoup de retenue dans toute « L’Adoration de la Terre ». Toute cette première partie garde un caractère champêtre, le « Jeu du rapt » se permettant seul – mais sans excès – d’aller sonder les couleurs plus abruptes de la partition.
Le risque de cette lecture est de perdre l’attention de l’auditeur – c’est un peu ce qui arrive dans l’introduction de la seconde partie, où l’interprétation tarde à se renouveler et peine à se développer. Son avantage en revanche est de rendre d’autant plus éclatante la « Glorification de l’élue » : les forces se déploient avec d’autant plus de richesse qu’elles ont été longtemps contenues. L’ « Action rituelle des ancêtres » est également parfaitement tragique, mais Mikko Franck ne perd jamais la recherche du beau son. Ce Sacre n’est pas frénétique ou sauvage : c’est une occasion de déployer les forces musicales et expressives de son orchestre, de rechercher des couleurs et des textures. Ce n’est certainement pas la lecture la plus frappante de l’œuvre qu’on ait entendue, mais le son y est particulièrement soigné. Il y a une beauté purement sonore dans cet enregistrement, un goût du lyrisme et du phrasé qui feront regretter à certains l’élan primitif qui se dégage de certaines versions ; mais on ne perd pas au change en goûtant mieux les couleurs et les chatoiements de la musique de Stravinsky.
Avec cet enregistrement, Mikko Franck et l’Orchestre Philharmonique de Radio France poursuivent une collaboration fructueuse et dont la discographie laisse un témoignage précieux. Reconduit à la tête de l’orchestre jusqu’en 2025, les occasions seront encore nombreuses d’entendre le chef à la tête d’une phalange qui lui permet d’exprimer son goût pour les lectures claires, lisibles, lumineuses, auxquelles les musiciens se prêtent particulièrement bien.
[…] Stravinsky a été ébloui par la lumière de la foi, qu’il a retrouvée à la fin de sa vie. Il s’est converti au catholicisme en 1926, et il a composé des œuvres religieuses comme Oedipus Rex, Canticum Sacrum ou Requiem Canticles. Il a exprimé sa vision de la lumière divine comme une force qui transcende la mort et le mal5 […]