Giuseppe Verdi.
Stiffelio.
L’Avant-Scène Opéra, n° 323, juillet 2021.
Extraits audio avec l'appli ASOpera
ISBN 978–2‑84385–379‑1, 130 pages, 28 Euros

L'œuvre

- Chantal Cazeaux
– Francesco Maria Piave (Livret)
– Traduction du livret (Laurent Cantagrel)

Regards sur l’œuvre

- J.Souvestre et E.Bourgeois (Extraits)
- Max Ulrich Balsiger
– Jean Cabourg
– François de Singly
– Jules Cavalié

Écouter voir et lire

– Alfred Caron
– Chantal Cazaux
– Olivia Pfender

Parution du n°323 de l'Avant-Scène Opéra, juillet-août 2021 , consacré à Stiffelio de Giuseppe Verdi

Un nouvel opéra de Verdi rejoint les rangs de L’Avant-Scène Opéra, le trop rare Stiffelio, à l’affiche un peu partout sauf en France. Espérons que la production annoncée en octobre à Strasbourg aura bien lieu : l’œuvre le mérite amplement, comme le montre le volume agencé par Chantal Cazaux.

Que Stiffelio ait dû attendre le numéro 323 pour entrer dans L’Avant-Scène Opéra, on ne s’en étonnera peut-être pas trop, car il y a d’excellentes raisons à cela. Après tout, Attila, I due Foscari ou I masnadieri manquent encore à l’appel. Et la revue étant principalement destinée à aider le public francophone à se préparer aux représentations, encore aurait-il fallu que l’œuvre soit à l’affiche dans un grand théâtre, avec de possibles lecteurs à la clef. Certes, Stiffelio fut donné en 2013 à Monte-Carlo et en 1994 à Liège mais, jusqu’ici, aucun théâtre en France ne s’est soucié de le programmer, d’où l’intérêt que suscite la création française annoncée en octobre prochain à Strasbourg, avec Jonathan Tetelman dans le rôle-titre.

Pourquoi cette longue indifférence hexagonale ? Peut-être simplement parce que Stiffelio est un opéra « maudit ». Composé en parallèle avec Rigoletto, on ne peut pourtant pas le ranger parmi les œuvres de jeunesse, mais son livret, également signé Piave, attira d’emblée les foudres de la censure pour son sujet, cocktail d’adultère et de protestantisme. Le texte dut être expurgé in extremis de toutes les références à la religion (nombreuses, comme on pouvait le prévoir, le héros étant pasteur et montant en chaire au dernier acte pour prononcer un sermon). Qui plus est, l’intrigue est située non pas dans un passé lointain, mais au début du XIXe siècle, distance temporelle jugée insuffisante par un public déjà avant tout friand de spectacles dépaysants. A sa création à Trieste en novembre 1850, l’œuvre ne connaît qu’une douzaine de représentations. La Scala s’y intéresse mais Verdi refuse, le théâtre milanais ayant pris la fâcheuse habitude de modifier les œuvres. A Rome, en février 1851, sans que le compositeur ait été consulté, Stiffelio est donné sous le titre Guglielmo Wellingrode, l’action étant transposée au XVe siècle, le pasteur devenant ministre : Verdi n’y reconnaît pas son enfant. Peu de salles se décident à monter Stiffelio, et le succès n’est guère au rendez-vous. Le compositeur finira donc par se résigner à remanier lui-même sa partition, dont il a ordonné la destruction du matériel d’orchestre. Comme l’explique l’article de Jules Cavalié, Piave trouve dans un roman de Walter Scott une situation approchante, et emprunte les nouveaux noms des personnages à Harold, dernier des rois saxons de Bulwer-Lytton : agrémenté notamment d’un quatrième acte entièrement neuf, l’opéra devient donc Aroldo, situé à l’époque des Croisades, créé en 1857 à Rimini. Cette nouvelle mouture n’est guère mieux accueillie, et l’œuvre sombre doucement dans l’oubli.

Il faut attendre la deuxième moitié du XXe siècle pour que Stiffelio resurgisse, avec la redécouverte d’une partition d’orchestre à Naples. Le Teatro Regio de Parme programme aussitôt l’œuvre, une intégrale de studio est gravée en 1979 (la seule à ce jour, au milieu d’une poignée de lives ; Alfred Caron pour la discographie et Chantal Cazaux pour la vidéographie n’ont guère eu l’embarras du choix). La musicologie s’y intéresse à son tour, la partition originale finit par être reconstituée grâce à des fragments autographes retrouvés, et une édition critique est publiée en 1993. Aussitôt José Carreras, Placido Domingo et José Cura, entre autres, deviennent Stiffelio à New York, à Londres, à Milan, à Vienne ou à Zurich. Evidemment, Paris reste sourd aux sirènes de cette œuvre qui avait pourtant de quoi séduire les directeurs désireux d’élever l’esprit du public au lieu de simplement le divertir.

Quand il cherchait un livret, Verdi avait notamment l’habitude de tourner ses regards vers le théâtre français de son temps. Si les sources hugoliennes d’Ernani et de Rigoletto ne sont plus très souvent jouées, que dire de la pièce Le Pasteur, ou l’Evangile et le foyer (1849) qu’Emile Souvestre (grand-oncle de Pierre Souvestre, co-auteur de Fantômas) a tiré de son roman Le Pasteur d’hommes (1838). Le dramaturge-romancier y dépeint un nommé Stifellius, partagé entre son métier de pasteur « ahasvérien », secte protestante imaginaire devant son nom au Juif errant, et la jalousie que lui inspire la trahison de son épouse adultère. Outre l’article de Max Ulrich Balsiger, sur le passage de la pièce au livret, on apprendra beaucoup du texte fascinant que François de Singly consacre à la question du divorce, sujet on ne peut plus délicat, tabou pendant une bonne partie du XIXe siècle, mis en avant par Souvestre comme plus tard par Ibsen dans Maison de poupée. Stiffelio propose d’abord à son épouse un divorce par consentement mutuel, puis lui pardonne en relisant la parabole de la femme adultère. Avant d’en arriver là, le personnage sera d’abord passé par une phase de colère inspirée par la jalousie : en effet, au premier acte, le pasteur tient des propos ressemblant étrangement à « Tiens ! Où est l’anneau que j’avais donné… la bague de nos noces » qui retentiraient un siècle plus tard sur une autre scène lyrique. Et s’il ne maudit pas explicitement celle qui a égaré son alliance (elle donnée à son séducteur, en fait), il la menace du châtiment réservé à celles qui se déshonorent elles-mêmes et leur époux.

Contrairement à d’autres œuvres de Verdi qui pâtirent à leur création d’une distribution inadéquate, Stiffelio eut en 1850 l’avantage d’être confié à des interprètes tout à fait adéquats, ainsi que le montre Jean Cabourg. Le ténor Gaetano Fraschini, illustre Edgardo dans Lucia di Lammermoor, était surnommé tenore della maledizione à cause de l’ardeur qu’il mettait dans ses imprécations ; il créera en tout cinq personnages verdiens, dont Riccardo du Bal masqué. Marietta Gazzaniga avait été la première titulaire du rôle-titre de Luisa Miller, et Filippo Colini, rompu au style bellinien-donizettien, avait les moyens attendus de ce qu’on n’appelait pas encore un baryton Verdi.

Comme le souligne Chantal Cazaux dans son Introduction et Guide d’écoute, Stiffelio est une partition aussi raffinée qu’efficace, émaillée de passages admirables, et dont l’écriture détaille les tourments de personnages à la psychologie tout sauf simpliste. Œuvre exigeante, aussi, qui exige des voix qui maîtrisent la virtuosité du primo ottocento tout en possédant déjà l’énergie, l’urgence d’un style plus tardif. On espère maintenant que la saison 2021–22 pourra se dérouler comme prévu, et que ce bel opéra rencontrera enfin le public français.

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.
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