Ce n'est évidemment pas un hasard si les éditions Sony ont eu la bonne idée de publier de nouveau en CD le célèbre enregistrement studio réalisé en 1976. Cet ouvrage au pompiérisme assumé et à l'inspiration foisonnante, réputé impossible comme la plupart des partitions de Meyerbeer, dirigé avec mesure par Henry Lewis à la tête d'une Royal Philharmonic Orchestra aux sonorités parfois clinquantes, dispose d'une distribution dominée par la phénoménale Fidès de Marilyn Horne, alors au faîte de ses moyens. Après un fantastique galop d'essai donné à la RAI de Turin en 1970 déjà avec Lewis au pupitre mais surtout un Gedda aussi génial et inattendu dans pareil répertoire qu'en Enée un an plus tôt (avec Horne en Cassandre, Verrett en Didon sous la baguette inspirée du regretté Georges Prêtre, à la RAI de Rome), Horne qui allait accéder au statut suprême de "prima donna" grâce à des rôles comme Orphée, Carmen, Mignon, Iphigénie en Tauride ou Tancredi, gravait ce Prophète avant de triompher sur la scène du Met de New York quelques mois plus tard avec Lewis, McCracken Scotto et Hines. Sa voix de bronze et d'or, d'une puissance indestructible, l'étendue vertigineuse des registres, son souffle inépuisable et la prodigieuse inventivité des ornementations n'ont évidemment pas d'équivalent. Il n'est donc pas surprenant qu'après une incarnation aussi poussée, marquée par de telles prouesses vocales la sphère lyrique n'ait connu aucune Fidès majeure après la sienne. S'il manque parfois à cette prestation l'excitation de la scène, l'auditeur bénéficie ici de conditions d'écoute optimales et se retrouve à plusieurs reprises soulevé de son siège face à une telle leçon de chant, notamment au 5ème acte à partir du fameux « O prêtres de Baal ». Ecrasant lui aussi, le rôle-titre du Prophète Jean, confié dans cette gravure à James McCracken, fameuse voix de stentor un peu oubliée aujourd'hui (il fut Florestan auprès du Fidelio de Nilsson dirigé par Maazel, l'Otello de Gwyneth Jones au disque et le Don José de Horne dans l'atroce version de Carmen signée Bernstein pour DG), le ténor américain n'est pas toujours suffisamment nuancé et sa diction française est souvent peu orthodoxe, mais l'interprète défend son rôle avec rage et conviction tout en venant à bout d'un partition d'une longueur harassante, parsemée de chausse-trappes que Domingo à Vienne en 1998 n’hésitait pas à contourner ou à transposer. La voix de Renata Scotto donne plus d'un signe de fatigue et ce dès l'air d'entrée « Mon cœur s'élance » dont les stridences vrillent les oreilles, mais comme toujours chez la soprano italienne celle-ci réussit le tour de force de transcender ses propres écueils en qualités : seul son français demeure irrémédiablement exotique. Jules Bastin campe un solide Comte d'Oberthal sans pour autant y mettre toute la noirceur requise, Jerome Hines est un Zacharie plein de hargne mais monolithique et difficilement compréhensible, Jean Dupouy (Jonas) et Christian du Plessis (Mathisen) venant compléter correctement ce cast, auquel il se doit d'associer le très bon Ambrosian Opera Chorus. Pour Horne avant tout !