Il y a un peu plus d'un an, la planète lyrique était en ébullition pour suivre la prise de rôle d'Otello du ténor Jonas Kaufmann. Fidèle à Londres et au Royal Opera House qui l'adore, la star endossait donc les vêtements du Maure (mais pas le maquillage au brou de noix !…) dirigé par Antonio Pappano et mis en scène par Keith Warner. Abondamment commenté, le spectacle retransmis en direct sur les écrans européens, nous arrive aujourd'hui dans un son et une image superlatifs. Il ne fait aucun doute que ce personnage emblématique tombe sans un pli sur les cordes de Jonas Kaufmann dont les boucles grises, les traits séduisants et la voix aussi sombre que virile, s'épanouissent naturellement dans ce Verdi tardif. Ce fier conquérant, héros admiré et détesté, cet amoureux exclusif et impulsif, ce colosse aux pieds d'argiles rattrapé par la jalousie, offre à cet interprète une inestimable matière psychologique et dramatique. Puissant face à ses troupes, son Otello cultive une certaine réserve qu'il ne révèle qu'à ses proches, son épouse Desdemona et son terrible confident Iago, dont il ne se méfie pas de la perversité. Ainsi son caractère apparemment invincible en vient à se morceler sous l'effet du poison que lui inocule patiemment Iago et qui le mènera au meurtre. D'une tenue vocale exemplaire Jonas Kaufmann fait valoir la beauté de son instrument, qu'il pare de milles nuances, passant sans ambages de la violence à la déchéance avec la même splendeur et la même capacité d'attraction. Si l'on admire la richesse de ce timbre velouté, caressant sur lequel plane toujours l'orage c'est aussi parce que l'on peut suivre l'évolution physique et les changements comportementaux prêtés au personnage : point d'orgue de la représentation, le final du 3ème acte où cet Otello après avoir insulté son épouse se retrouve seul au sol, terrassé, alors que Iago surgit, lui pose un masque sur le visage comme pour l'étouffer et l'anéantir enfin.
Ecarté de la production, Ludovic Tézier aurait bien évidemment été un partenaire autrement plus excitant, vocalement en tout cas et l'on regrette ici qu'il ait été remplacé par Marco Vratogna, baryton au style bien plus sommaire que le français. Son Iago sonore, n'a pas toujours la subtilité souhaitée et son jeu est plus appuyé que décanté, mais sa prestation demeure honorable. Maria Agresta chante convenablement les notes de Desdemona, mais on rage devant une telle platitude, l'absence totale d'investissement et d'émotion dont la soprano fait état ; Anja Harteros ou Sondra Radvanovsky auraient permis de hisser la rencontre à un tout autre niveau. Beau Cassio de Frédéric Antoun, excellente Emila de Kai Rüütel, superbe Lodovico de In Sung Sim, mais grande déception du côté des chœurs bruyants dès leurs entrée (la tempête) et souvent décalés. Mis en image avec élégance et respect, l'intrigue progresse sagement mais sûrement dans des décors soignés – beaux effets de moucharabiehs – joliment éclairés, pour le plus grand bonheur d'un public conservateur venu avant toute chose applaudir sa star préférée. La partie musicale confiée au grand Pappano à la tête de la formation maison est en revanche en deçà de ce que la partition verdienne requiert. Dépassé par les audaces du compositeur qu'il a pourtant servi avec maestria (Don Carlos et Aida notamment), le chef britannique peine à restituer le climat général de l'œuvre comme s'il ne parvenait pas à l'appréhender dans sa totalité et de contentait de le diriger finalement de loin.
Pour ceux qui voudraient retrouver Jonas Kaufmann dans ce rôle à la scène, rien de plus facile puisqu’ils est attendu à l’opéra de Munich en novembre prochain avec Harteros et Finley puis en juillet 2019 lors du festival d’été.
C, était très bien, écouté cette ouevre magnifique avec Jonas Kaufmann, Othello, la vois est vraiment dramatique !