Hans Werner Henze (1926–2012)
Der Prinz von Homburg (1960)

Livret d‘Ingeborg Bachmann d’après la pièce de Heinrich von Kleist „Prinz Friedrich von Homburg oder die Schlacht bei Fehrbellin“. (Le Prince de Hombourg ou la bataille de Fehrbellin)

Der Prinz von Homburg : Robin Adams
Prinzessin Natalie von Oranien : Vera-Lotte Boecker
Friedrich Wilhelm, Kurfürst von Brandenburg : Stefan Margita
Die Kurfürstin : Helene Schneidermann
Graf Hohenzollern : Moritz Kallenberg
Feldmarschall Dörfling : Michael Ebbecke
Obrist von Kottwitz : Friedemann Röhlig
Wachtmeister : Johannes Kammler

Staatsorchester Stuttgart.
Direction musicale : Cornelius Meister
Mise en scène : Stephan Kimmig

1 DVD Naxos. 114 minutes

Filmé les 22 et 22 mars 2019 à la Staatsoper Stuttgart

En attendant que les théâtres français se décident à monter les opéras de Henze qui le mériteraient pourtant amplement, le DVD nous permet de confirmer que le succès du compositeur ne se dément pas, près d’une décennie après sa mort. Der Prinz von Homburg fait partie de ses titres les plus appréciés, et cette captation réalisée à Stuttgart en 2019 en propose une vision conforme aux habitudes actuelles de la mise en scène d’opéra en Allemagne, avec ses forces et ses ficelles.

En dehors du festival d’Avignon à deux reprises, et de la Comédie Française en 1994–95, il n’est pas sûr que Le Prince de Hombourg ait beaucoup foulé les scènes françaises. Même si une nouvelle série de représentations en a été donnée dans la cour du Palais des Papes en 2014 dans une mise en scène signée Giorgio Barberio Corsetti, le drame historique de Kleist aura surtout marqué les esprits, de ce côté-ci du Rhin, grâce à l’incarnation de Gérard Philipe qui, peu après la guerre, légua sa silhouette au guerrier rêveur, prisonnier de ses propres contradictions.

On comprend bien en quoi cette figure énigmatique a pu intéresser Hans Werner Henze. Contrevenant aux règles que sa distraction ne lui a peut-être pas permis d’entendre, le Prince se conduit en héros mais il est puni pour désobéissance ; lorsqu’il est gracié, il rejette ce pardon parce qu’il ne correspond pas à son code d’honneur. Ce personnage qui entretient avec la société des relations complexes et conflictuelles, le compositeur s’y reconnu forcément, lui qui était horrifié par le nazisme ardent de son père, lui qui avait été rejeté par son géniteur en raison de son homosexualité. On songe alors combien Henze pouvait être proche d’un Benjamin Britten, de treize ans son aîné : le Prince de Hombourg est un frère germanique de Peter Grimes et de Billy Budd, et El Cimarron de Henze fut créé au festival d’Aldeburgh en 1970. Alors que la plupart des opéras de Britten s’imposent toujours plus au répertoire, on s’explique mal pourquoi ceux de Henze ne prennent pas le même chemin, du moins hors d’Allemagne. Les opéras de Henze auraient pourtant tout pour réussir : des livrets solides et dotés de réelles qualités dramatiques, souvent inspirés d’œuvres littéraires (autre point commun avec Britten), une musique d’une modernité tempérée mais réelle, bien écrite pour les voix, ce qui n’est pas si courant, et des œuvres variées, tantôt comiques, tantôt tragiques. The Bassarids, qui a connu récemment les honneurs de Salzbourg et de la Komische Oper de Berlin, est sans doute le seul titre de Henze qu’on ait pu voir en France au cours des deux dernières décennies, mais les représentations données au Châtelet en 2005 n’ont hélas guère fait d’émules. Pourquoi ne voit-on jamais en France Der Junge Lord ? Pourquoi Elégie pour de jeunes amants est-il si rare, depuis sa création française à Nice en 1965 ? Depuis son décès en 2012, le compositeur aurait pourtant eu le temps d’être réévalué, mais sans doute faudrait-il pour cela que le public manifeste un peu plus de curiosité qu’à son habitude.

Heureusement, l’Allemagne et l’Autriche n’oublient pas Henze, ce qui nous vaut la parution chez Naxos d’une captation de Der Prinz von Homburg réalisée à Stuttgart en mars 2019. Luxe inouï : on dispose désormais de deux DVD pour cet opéra, alors même que pour beaucoup d’œuvres lyriques de Henze, il n’existe dans le commerce pas même une version filmée et récente. L’intérêt de ce DVD est aussi de proposer une alternative au spectacle monté en 1994 par Nikolaus Lehnhoff à Munich, disponible chez Arthaus Musik.

Stephan Kimmig ne pratique la mise en scène d’opéra que depuis une dizaine d’années, ses premiers pas remontant apparemment à un Don Giovanni toujours au répertoire de la Bayerische Staatsoper. Le spectacle de Stuttgart s’affranchit de toute référence au passé (le prince Friedrich von Essen-Homburg a bel et bien existé, et la pièce tourne autour de son comportement à la bataille de Ferhbellin en 1675), et situe l’action entre la création de l’œuvre en 1960 et notre époque. Toutes les scènes se déroulent dans un décor unique, sorte de gymnase un peu miteux, avec ses douches à l’arrière-plan et son carrelage blanc qui se décolle ici et là ; les personnages arborent des costumes d’une laideur revendiquée et assumée, uniformes-combinaisons dignes de StarTrek pour les militaires, T‑shirts, pulls ou jogging assortis à une veste ou un manteau pour les autres. Dans cette salle, on voit l’Electeur de Brandebourg faire des exercices d’assouplissement, que le reste de sa cour partage parfois, et l’ambiance sportive est prolongée par la transformation des gants de la princesse en véritables gants de boxe ! Il faut probablement voir dans ce lieu impersonnel un équivalent moderne du « palais à volonté » où se déroulaient les tragédies classiques. Même si le rideau descend après chaque scène, le décor ne change guère, en dehors de quelques échelles ou accessoires que l’on y découvre quand le rideau se relève. C’est perché sur la plus grande de ces échelles que le Prince est surpris en plein rêve au début de l’œuvre ; lors de son entrevue avec l’Electrice, celle-ci s’enduit les jambes de crème hydratante et reçoit les soins distribués par ses suivantes, irruption d’une banalité qui ne devrait pas étonner les habitués des mises en scène germaniques. L’intervention la plus marquante de Stephan Kimmig coïncide avec la scène pendant laquelle le Prince observe de loin la bataille avant d’y entraîner son armée, malgré les ordres de l’Electeur : pendant tout le début de ce tableau, quatre militaires en sous-vêtements, à l’arrière-plan, plongent les bras dans des seaux remplis de sang et s’en barbouillent peu à peu le corps et le visage, rappel de la barbarie qu’était la guerre, même « en dentelles » à la mode du XVIIIe siècle.

Directeur musical de l’Opéra de Stuttgart, le chef Cornelius Meister a un répertoire large, qui inclut la plupart des classiques (il sera à l’Opéra de Paris en janvier prochain pour La Flûte enchantée) mais qui fait aussi une place aux œuvres de notre temps, comme Luci mie traditrici de Sciarrino, ou The Snow Queen de Hans Abrahamsen dont il a dirigé la version anglaise en création mondiale à Munich. Il semble chez lui dans la partition de Henze, dont il sait exalte les courtes bouffées d’émotion, notamment les duos entre le héros et la princesse Natalie, à travers le crépitement martial des musiques renvoyant à l’univers militaire qui est celui du Prince.

Dans le DVD Arthaus, le héros avait les traits et la voix de notre compatriote François Le Roux. Cette fois, c’est encore un non-germanophone qui incarne le Prince : le baryton anglais Robin Adams, qui abandonne toute image romantique pour nous montrer un homme d’aujourd’hui, et qui assume crânement les tenues étonnantes qu’il doit ici endosser (veste et slip, pull et slip, etc.). La voix est bien conduite, et le personnage bien rendu dans sa diversité. Face à lui, Vera-Lotte Boecker, que l’on voit beaucoup depuis peu à la Komische Oper de Berlin, en Musetta dans La Bohème ou en héroïne de Frühlingsstürme de Weinberger. La soprano brille ici de la même aisance, dans un rôle qui sollicite toutes ses ressources expressives ; après Autonoé dans The Bassarids à Salzbourg en 2018, Henze la poursuit décidément puisqu’elle sera Fusako dans une nouvelle production de Das Verratene Meer présentée à la Staatsoper de Vienne en décembre (elle rejoint cet automne la troupe de cette maison).

Avec le troisième personnage principal, l’Electeur, une question se pose inévitablement. En 2018, le festival de Salzbourg proposait Der Prozess de Gottfried von Einem, opéra de 1953, et le label Capriccio en avait publié l’écho. Excellente initiative, mais où l’on s’étonnait de voir que le personnage central de K, créé par Max Lorenz et donc destiné à une voix wagnérienne, était cette fois confié à un ténor « de caractère », plus habitué à Pedrillo qu’à Siegfried. Le problème est cette fois le même : Henze a écrit le rôle de l’Electeur pour un heldentenor, ce que n’a jamais été Stefan Margita, dont l’emploi wagnérien est plutôt Loge. Bien sûr, les notes sont là, émises sans difficulté, mais la couleur vocale n’est pas du tout la même, et cela modifie totalement notre perception du personnage.

Autour de ce trio, les autres rôles, plus brefs, sont aussi plus faciles à distribuer. Helene Schneidermann donne sa maturité à l’Electrice, mais le rôle n’appelle aucun effort surhumain (Helga Dernesch en fin de carrière y brillait de ses derniers feux à Munich en 1994). Andres de ce Wozzeck qu’est le Prince, Hohenzollern trouve en Moritz Kallenberg un interprète à la voix souple et déliée. Et l’on remarque en Dörfling le vétéran Michael Ebbecke, dont la voix bouge désormais beaucoup, mais dont on se souviendra comme le Stolzius des Soldats de Zimmermann dans la légendaire production montée en 1989 par Harry Kupfer à Stuttgart, déjà.

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.

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