L’année marquant le centenaire de la mort de Saint-Saëns a encore quelques mois devant elle, et il n’est pas interdit d’espérer que cette commémoration soit encore marquée par quelques parutions attendues. Il a fallu faire son deuil du Henry VIII qu’aurait dû présenter le Théâtre royal de la Monnaie, il a fallu renoncer à quelques événements dont la pandémie a eu raison, mais il en est d’autres que la fermeture temporaire des théâtres a, au contraire, favorisés. En février dernier, à Toulouse, aurait dû être donné en concert La Carmélite, opéra de jeunesse de Reynaldo Hahn. Devant l’impossibilité d’enregistrer cette œuvre ambitieuse, exigeant solistes nombreux, grand chœur et grand orchestre, le Palazzetto Bru Zane a dû faire preuve d’ingéniosité et trouver un programme alternatif. Avec deux solistes seulement, La Princesse jaune de Saint-Saëns s’est ainsi imposée comme partition « Covid-compatible » et a donc fait l’objet d’une gravure impromptue. Quelques mois plus tard, le disque sort, d’autant plus opportunément que cette même Princesse jaune sera à l’affiche à Tours, formant diptyque avec la rare Djamileh de Bizet. Avait-on revu en France l’opéra-comique en un acte de Saint-Saëns depuis les représentations données en 2012 à Rennes ? Pas sûr du tout, mais 2021 était le moment où jamais de la reprogrammer.
Composé en 1871–72, La Princesse jaune tranche sur bon nombre d’œuvres de la même époque au sens où le livret s’attache à démonter/dénoncer le goût de l’exotisme qui faisait alors fureur. Là où tant d’autres sautait à pieds joints dans le piège de l’orientalisme au premier degré, Louis Gallet, alors débutant, conçoit une anecdote qui montre comment les Occidentaux succombent aux séductions imaginaires d’un Orient fantasmé. En 1883, Lakmé présentera au public de la Salle Favart un soldat britannique fasciné par l’Inde mystérieuse, ou plutôt par une mystérieuse Indienne. Dix ans avant, La Princesse jaune donne à voir un médecin néerlandais qui, cocaïne aidant, plonge régulièrement dans des rêveries le transportant dans un Japon de carte postale. Il faudra l’intervention de sa très amoureuse cousine pour le ramener à la réalité et lui faire oublier son irréelle princesse nipponne (qui, curieusement, porte le nom très chinois de Ming). Autrement dit, un livret qui n’est pas dupe de l’attraction exercée sur les Européens par un ailleurs n’existant que dans leur esprit. Ce qui n’empêchera pas Saint-Saëns, musicien voyageur par excellence, véritable globe-trotter en un temps où les voyages étaient infiniment moins faciles qu’aujourd’hui, de multiplier par la suite les compositions cherchant à évoquer des pays lointains…
Jusqu’ici, La Princesse jaune n’était connue qu’à travers deux enregistrements. L’un, pas si facile à se procurer, réunissait en 1957 Nadine Sautereau et Jean Mollien, avec l’inusable Orchestre Radio-Lyrique ; l’autre, enregistré en 1996 et sorti en 2000 chez Chandos, offrait une qualité sonore plus moderne, mais pâtissait d’interprètes italiens au français peu idiomatique. Autrement dit, la situation n’était ni grave, ni désespérée, et nous ne sommes pas ici dans un cas de « Premier enregistrement mondial », mais il y avait largement place pour une autre gravure.
Le Palazzetto Bru Zane a fait appel à deux de ses plus fidèles artistes. Bien connu des amateurs de Rameau, Mathias Vidal excelle dans les rôles de haute-contre à la française, mais il a aussi d’autres cordes à son arc, comme il l’a prouvé en enregistrant le rôle-titre du Cinq-Mars de Gounod et d’autres œuvres du XIXe siècle. En Kornélis, il déploie toute une richesse de nuances, allégeant sa voix en des pianissimos impalpables lorsque le héros décrit son rêve éthéré, adoptant un ton plus ardent, plus fébrile lorsque sa passion s’emballe. Quant à Judith van Wanroij, le Centre de musique romantique française a plusieurs fois fait appel à elle, puisqu’on a pu l’entendre aussi bien dans Phèdre de Jean-Baptiste Lemoyne que dans Le Tribut de Zamora, l’ultime opéra de Gounod. Elle prête à Léna toute l’espièglerie et la tendresse nécessaires, et l’on saluera le beau travail accompli pour les dialogues parlés. Car c’est aussi la différence de ce nouvel enregistrement par rapport à la version Chandos : au lieu de n’enregistrer que les numéros chantés, en fournissant un résumé de l’intrigue, le dialogue a ici été enregistré par les chanteurs.
Pour compléter cette heure de musique et de texte, le Palazzetto Bru Zane s’est livré à une démarche audacieuse, mais fort bienvenue, pour « fabriquer » un cycle de mélodies avec orchestre que Saint-Saëns n’a jamais écrit comme tel. Comme l’explique Alexandre Dratwicki dans le livret d’accompagnement, Mélodies persanes est à l’origine un recueil piano-chant paru en 1870, dont Saint-Saëns n’a d’abord orchestré que la deuxième des six mélodies, « La Splendeur vide ». Les autres pages ont elle aussi été orchestrées, mais bien plus tard, pour être intégrées à une vaste composition d’une trentaine de minutes, Nuit persane, pour ténor, contralto, chœur et orchestre, écrite en 1891 (elle sert de complément de programme à Hélène « poème lyrique en acte » de Saint-Saëns paru chez Melba en 2008). Le disque remet les pièces dans l’ordre qui était celui de Mélodies persanes en 1870, en mêlant les différentes orchestrations, toutes de la main de Saint-Saëns, et en y ajoutant un bref prélude et un « interlude » un peu plus développé.
On retrouve ici l’Orchestre national du Capitole de Toulouse, admirablement mis en valeur par une prise de son qui permet à l’oreille de ne perdre aucun des détails de l’orchestration, comme on s’en rend compte dans l’ouverture de La Princesse jaune. Habitué à diriger un répertoire extrêmement varié, Leo Hussain adopte une direction analytique qui, pour autant, ne dépouille pas cette musique du pouvoir de séduction qu’elle doit exercer. A six jeunes chanteurs français ont été confiées les six mélodies, avec cette inégalité de traitement que quatre d’entre elles dégagent un charme plus immédiat, par leur vivacité ou leur éclat. Plus difficiles à imposer s’avèrent ainsi les deux plus lentes et plus longues des six « Au cimetière », à laquelle Anaïs Constans prête néanmoins une grande pureté d’émission, ou « La Splendeur vide », dont Jérôme Boutillier souligne l’intériorité douloureuse. L’auditeur pourra se laisser plus immédiatement conquérir par les accents caressants de Philippe Estèphe dans « La Brise », par les aigus claironnants d’Artavazd Sargsyan dans « Sabre en main », au final tonitruant, par l’intensité et la densité de timbre d’Eléonore Pancrazi dans « La Solitaire », ou par l’ampleur maîtrisée d’Axelle Fanyo.
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Bien à vous
Wanderersite